SOURCE : Cass Com., 11 janvier 2017, n°15-17134, FS-P+B
Certaines formes d’entente peuvent être considérées par leur nature même comme particulièrement nocives pour le bon fonctionnement du jeu normal de la concurrence[1] et réprimées sur le fondement des articles L420-1 du Code de commerce et 101 du TFUE quelles que soient leurs effets sur l’économie.
En effet, leur nocivité pour l’économie est telle qu’il devient inutile de rechercher leurs effets in concreto[2]. Il incombe cependant aux juridictions, avant de retenir ce critère, de caractériser clairement le « degré suffisant de nocivité » de l’accord.
Un accord sera ainsi anticoncurrentiel par son objet lorsque, en raison de sa teneur ainsi que de sa finalité et compte tenu du contexte juridique et économique dans lequel il s’insère, il se révèle concrètement apte à empêcher, à restreindre ou à fausser la concurrence au sein du marché commun[3].
Tel est le cas dans cette affaire dans laquelle un laboratoire détenteurs de droits sur le médicament « Subutex », anticipant l’expiration prochaine de ses droits de propriété industrielle, a mis au point avec son distributeur français un « plan stratégique » visant à retarder ou décourager l’entrée de médicaments génériques sur le marché français, par la mise en œuvre de dénigrements des produits concurrents et de saturation des stocks des officines.
Il s’agissait ainsi, pour le distributeur, d’adresser à l’ensemble des professionnels de santé des mises en garde contre les produits génériques et d’accorder des remises fidélisantes sur les produits du fabricant de manière à créer, chez ses différents partenaires, des stocks de plusieurs mois de produits.
L’autorité de la concurrence a ainsi poursuivi et sanctionné, tant le distributeur que le laboratoire pharmaceutique, sur le fondement de l’article L420-1 dudit code et 101 du TFUE, par une décision du 18 décembre 2013.
La Cour d’appel a confirmé cette décision y ajoutant que « l’élaboration d’une stratégie visant à retarder l’arrivée sur les marchés de médicaments des génériques, qui, après l’arrivée à leur terme des brevets, permettent de rétablir une concurrence jusqu’alors inexistante, constitue une pratique d’une particulière nocivité économique »
Le laboratoire s’est pourvu en cassation, reprochant principalement (4ème moyen) à l’arrêt d’avoir érigé en postulat l’effet particulièrement nocif de l’accord, sans s’intéresser à sa teneur, son contexte économique et juridique. Il prétendait en outre que la simple participation à la planification d’opérations de dénigrement ne peut être considéré comme opération particulièrement nocive pour l’économie.
La Haute juridiction a procédé à un contrôle approfondi de la motivation de l’arrêt des juges du fond.
Elle en déduit que la Cour d’appel a caractérisé des pratiques faussant le libre jeu de la concurrence, en tenant compte du « contenu de l’accord, les objectifs qu’il visait à atteindre et les éléments du contexte économique et juridique dans lesquels il s’insérait »de sorte qu’elle « a pu retenir que l’accord conclu entre les sociétés Reckitt et Schering-Plough avait un objet anticoncurrentiel, peu important que la société Reckitt n’ait pas procédé elle-même à la pratique de dénigrement ; »
La Cour de cassation rejette ainsi le pourvoi.
Sylvain VERBRUGGHE
Vivaldi-Avocats
[1] CJCE, 20 nov. 2008, aff. C-209/07, Beef Industry – CJUE, 4 juin 2009, aff. C-8/08, T-Mobile, CJUE, 11 juill. 2013, aff. C-429/11
[2] CJUE, 4 juin 2009, C-8/08 , Tomkin,- CJUE, 13 mars 2013, aff. C-32/11, Allianz Hungaria
[3] CJCE, 13 juill. 1966, aff. 56/64,CJCE, 4 juin 2009, aff. C-8/08, préc.