SOURCE : Cass com 2 novembre 2016, n° 14-29.723, FS-PB
I –
Tel est le sens de l’attendu de principe rendu par la Chambre Commerciale de la Cour de Cassation au bénéfice d’un établissement bancaire, qui après avoir été admis à la procédure collective du débiteur principal en 1999, avait attendu l’année 2011 pour introduire une action en paiement contre la caution, qu’elle avait quelques années auparavant vainement mis en demeure d’avoir à exécuter ses obligations.
Après avoir été condamné par la Cour d’Appel de CAYENNE[1], la caution formait un pourvoi en faisant grief à l’arrêt querellé, de ne pas avoir recherché « comme elle y était pourtant invité, si la tardiveté de l’action engagée contre la caution caractérisait une faute de la banque. »
L’argument est ainsi tourné que le défaut de base légale (violation des articles 1134 et 1147 du Code Civil) se justifierait par une sorte d’obligation pour les juridictions saisies d’examiner le préjudice allégué par le débiteur poursuivi, consécutif à un retard dans la mise en œuvre de l’action en paiement.
L’arrêt est cassé mais pas sur ce moyen, la Cour jugeant que la tardiveté de l’action, dès lors qu’elle n’est pas prescrite, n’est pas en elle-même fautive, sauf abus de droit dont la preuve est bien entendu à la charge de la partie qui déclare en avoir été victime.
L’arrêt est intéressant, mais à manier avec précaution.
II –
En effet, ce type de débat n’est pas nouveau, et certains créanciers ont été sanctionnés pour tardiveté, cette fois-ci pour manquement à l’obligation de bonne foi posé au visa des articles 1104 et 1134 alinéa 3 ancien du Code Civil. Ainsi, a-t-il été jugé :
– qu’une clause résolutoire n’est pas acquise, si elle a été mise en œuvre de mauvaise foi, de sorte qu’une Cour d’Appel est censurée pour ne pas avoir recherché « comme elle y était invitée, si la banque était créancière de bonne fois, alors que le montant principal du prêt avait été remboursé et que le prêteur avait attendu le 2 juillet 1990 pour délivrer commandement aux fins de saisie immobilière bien que sa créance fut exigible selon lui… depuis le 1er février 1984. »[2] ;
– que le bailleur commercial qui tarde à agir contre le débiteur principal et également à en informer la caution, concourt ainsi à l’accroissement de la dette de loyer par son inaction à obtenir la résiliation du bail, privant par la même occasion la caution de la possibilité d’agir dans son intérêt sur le fondement subrogatoire, soit en remboursement de tout ou partie des sommes avancées pour compte de tiers, ou d’obtenir la résiliation anticipée du bail commercial[3].
La grande différence entre ces décisions et celle commentée tient à la démonstration par le débiteur de l’aggravation de son préjudice liée à la tardiveté de l’action. Dans les deux arrêts Inédit, il est évident que le bailleur commercial qui tarde à mettre fin au bail à raison de loyers impayés, commet nécessairement une faute vis-à-vis de la caution, lorsqu’il lui demande de supporter les conséquences de sa propre incurie.
III –
Mais toute la difficulté est de faire le tri entre ce qui relève de l’exercice abusif d’un droit, de son exercice normal, même tardif. L’abus de droit est en effet bien compris en matière de droit de propriété, de servitude hypothécaire, de vote dans les sociétés, dans la dépendance économique[4], dans la fixation du prix du contrat cadre ou du contrat de prestation de services[5], mais il s’agit dans tous les cas d’un acte positif et non d’une abstention
Pour autant, en l’absence de définition légale des dispositions légales ou prétoriennes de l’abus, le praticien est confronté à une analyse pragmatique des décisions par le collationnement de toutes celles qui ont pu sanctionner ce qui a pu être considéré comme nuisible, excessif ou injuste. Mais en matière d’action tardive face à une action dont le principe n’est pas contestable, la seule sanction qui semblait être raisonnable est celle de la prescription, dont on ne sait plus désormais d’un point de vue doctrinal si elle est une présomption simple de paiement ou si elle ne se présente désormais pas comme une sanction autonome.
Dans ces conditions, on peut lire cette décision de deux manières :
– soit la Cour de Cassation a décidé d’opérer un revirement de sa jurisprudence, en considérant que la tardiveté à agir, sauf intention de nuire manifestée à l’encontre du débiteur, n’est pas fautive ;
– soit il faut considérer qu’à chaque fois que la tardiveté à recouvrer une créance peut préjudicier à un tiers, notamment un tiers garant, le créancier doit respecter une obligation de diligence et de bonne foi qui se transforme en abus si son manquement a causé un préjudice au débiteur. Cette seconde explication peut se nourrir des faits de l’espèce commentés, puisqu’à la différence des autres décisions commentées au § II, la caution reprochait à la banque d’avoir agi tardivement, en invoquant non pas un préjudice financier, mais un préjudice moral.
Eric DELFLY
VIVALDI-Avocats
[1] CA CAYENNE 22/09/2014
[2] Cass 1ère civ 31/01/1995, n° 92-20.654, bul civ 1, n° 57
[3] Voir en ce sens cass com 05/12/1995, n° 93-18936, Inédit ou Cass 1ère civ 07/07/1998, n° 96-17476
[4] Article 1143 Nouveau du Code Civil
[5] Articles 1164 et 1165 Nouveau du Code Civil