SOURCE : 3ème civ, 8 octobre 2015, n°14-13179, FS – P+B
3ème civ, 30 juin 2010, n°09-13754, Publiée au Bulletin
Il est de jurisprudence constante que si le bailleur ne peut obtenir la résiliation du bail du locataire cessionnaire pour un motif imputable au locataire cédant[1], il peut valablement solliciter la résiliation du bail lorsque le cessionnaire refuse de mettre un terme à la poursuite d’un manquement commis par le cédant[2].
Un arrêt de rejet, publié au bulletin, du 30 juin 2010[3] dont la rédaction du conclusif :
« Mais attendu qu’ayant relevé, par motifs propres et adoptés, que l’état actuel de vétusté de l’appartement avait été constaté avant que [le cessionnaire] eût pris possession des lieux et que les dégradations en cause ne pouvaient dès lors lui être imputées, la cour d’appel en a exactement déduit que, si cette société était contractuellement tenue en vertu du contrat de cession de bail du 31 juillet 2001 des obligations de la société cédante, il ne pouvait lui être reproché à faute par le bailleur pour obtenir la résiliation du bail des manquements des précédents preneurs ; »
mais surtout du titrage trop « synthétique » de cette décision :
« Dès lors qu’elle relève que les dégradations des locaux loués ne pouvaient être imputées au cessionnaire du bail, ayant été constatées avant l’entrée dans les lieux de ce dernier, une cour d’appel en déduit exactement que, si la société cessionnaire était contractuellement tenue des obligations de la société cédante en vertu du contrat de cession de bail, il ne pouvait lui être reproché à faute par le bailleur, pour obtenir la résiliation du bail, les manquements des précédents preneurs »
avait toutefois jeté un trouble dans l’esprit des commentateurs qui, écartant la difficulté (pourtant déterminante de la décision) relative à la vétusté des ouvrages dont la réparation était demandée par le bailleur, ont érigé en principe l’impossibilité pour le bailleur d’agir en résiliation du bail contre le cessionnaire du contrat pour des fautes commises par le cédant avant la cession, et d’y élaborer des « parades » telles que la rédaction d’une « clause résolutoire prévoyant que la résiliation sera acquise de plein droit en cas de dégradation imputable au preneur, nonobstant les cessions de bail intervenues, faute pour le dernier occupant en titre de procéder à la remise en état des lieux loués un mois après un commandement infructueux du bailleur ».
Or la décision du 30 juin ne faisait en réalité que confirmer la jurisprudence de la Cour de cassation tout en précisant que le cessionnaire est tenu de mettre un terme à la persistance des manquements du cédant, sauf s’il en est dégagé par une législation ou règlementation contraire. En l’occurrence, cette « persistance du manquement » relevant de la vétusté avant son entrée en jouissance, comme le relevait la Cour d’appel de Caen, il n’appartenait pas au cessionnaire d’y mettre un terme, conformément aux dispositions de l’article 1755 du Code civile et de la jurisprudence y afférent, mais au bailleur. Et peu importe que cette vétusté soit issue du manquement des précédents preneurs…
Le présent litige est l’occasion pour la Cour de cassation de revenir sur cette interprétation doctrinale malheureuse pour y mettre un terme.
En l’espèce, à la suite de la cession d’un fonds de commerce, en ce compris le droit au bail, un bailleur avait signifié commandement au cessionnaire de remettre les locaux, transformés par le cédant, en l’état d’origine. Ce dernier refuse, excipant qu’il n’avait pas à assumer les manquements de son prédécesseur.
Le Bailleur l’assigne en constatation de la résiliation du bail par l’effet de la clause résolutoire.
La Cour d’appel de Versailles, à l’instar des premiers juges, le déboute de sa demande, partageant la position du preneur :
« (…) le cessionnaire du bail ne saurait être tenu des fautes et manquements aux clauses et conditions du bail dont il n’est pas l’auteur et que, la transformation des deux chambres en cuisine, réserve et wc avec démolition de la cloison séparative et reconstruction de nouvelles cloisons visée par le commandement du 11 juillet 2008 n’étant pas imputable à la société Bab, ce motif ne peut être retenu pour la mise en jeu de la clause résolutoire (…) »
Rappelant sa jurisprudence, l’arrêt est cassé par la Cour de cassation :
« Qu’en statuant ainsi, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si, à la suite des commandements qui lui avaient été délivrés, il n’incombait pas à la société Bab de mettre un terme à la persistance des manquements contractuels visés par le premier commandement (…), la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision au regard des textes susvisés (NDLR : 1134 du Code civil et L145-41 du Code de commerce) »
Le preneur cessionnaire mieux avisé aurait pu exiger du cédant et du bailleur un état des lieux de sortie/entrée et un positionnement ferme du bailleur sur l’état des locaux, afin de cristalliser les responsabilités voire…ne pas s’engager.
Cet état des lieux est d’ailleurs, depuis la loi PINEL du 18 juin 2014 et l’introduction de l’article L145-40-1 du code de commerce, obligatoire en cas de cession.
Sylvain VERBRUGGHE
Vivaldi-Avocats
[1] A propos du congé refus de renouvellement pour motif grave et légitime, transposable au commandement de payer visant la clause résolutoire : cf 3ème civ, 4 octobre 2000, n°99-12722 ; 3ème civ, 15 septembre 2010, n°09-14519 publiés au bulletin
[2] Cf Cass com., 1er décembre 1965, BAKHOUCHE / BELLILE; 3ème civ, 30 janvier 2002, n°00-16284 ; Dans le même sens, sur la responsabilité : 3ème civ, 9 juillet 2003, n°02-11794, Publiés au bulletin
[3] 3ème civ, 30 juin 2010, n°09-13754