Exercice illégale de la profession d’expert-comptable et droit de la preuve

Antoine DUMONT

Dans un arrêt en date du 17 septembre 2025, la chambre commerciale de la Cour de cassation a eu l’occasion de préciser à la fois les critères éventuels permettant de caractériser l’exercice illégal de la profession d’expert-comptable et de réaffirmer les conditions dans lesquelles la preuve déloyale peut être admise dans les débats.

Source : 17 septembre 2025, Cour de cassation, pourvoi n° 24-14.689

I –

Le conseil régional de l’Ordre des experts-comptables de Provence-Alpes-Côte d’Azur a demandé et obtenu la désignation d’un huissier de justice afin de procéder à des constatations dans les locaux d’une société. Se basant sur les constatations réalisées, mais également sur un rapport établi par un détective privé, le même conseil a assigné en référé ladite société afin qu’il soit ordonné la cessation de toute activité de comptabilité ainsi qu’une provision d’une prestation à valoir sur son préjudice.

Il faut ici préciser que le rapport du détective privé avait été établi après que celui-ci s’était fait passer pour un faux client avec un projet de création d’entreprise et de suivi de comptabilité.

En cause d’appel, les demandes du conseil régional sont rejetées par la Cour d’appel d’Aix-en-Provence dans un arrêt du 18 janvier 2024, cette dernière déclarant notamment irrecevable le rapport du détective privé.

Le conseil régional de l’Ordre des experts-comptables de Provence-Alpes-Côte d’Azur forme alors en pourvoi qui donnera lieu à l’arrêt à l’étude.

Pour les demandeurs au pourvoi, il avait été fait la constatation de saisie informatique de données comptables dans un logiciel dédié, ce qui, pour lui, devrait être considéré comme de l’exercice illégale de la profession d’expert-comptable.

De plus, ils considéraient que le rapport du détective privé aurait dû être jugé recevable malgré son illicéité ou la déloyauté dans son obtention. En effet, l’assemblée plénière dans un arrêt du 22 décembre 2023[1] a posé un nouveau paradigme quant à la possibilité de recevoir une preuve déloyale ou illicite.

La Cour de cassation, dans l’arrêt à l’étude, effectuera une cassation partielle.

II –

Concernant l’exercice illégale de la profession d’expert-comptable, la Cour de cassation va rejeter rapidement le moyen des demandeurs : « la saisie informatique de données comptables dans un logiciel dédié ne relève pas, à elle seule, du champ de compétence réservé aux experts-comptables. » Au cas d’espèce, l’exercice illégal de la profession d’expert-comptable ne peut être caractérisé.

Concernant la recevabilité du rapport du détective privé, la Haute Cour va considérer que la Cour d’appel d’Aix-en-Provence a manqué au contrôle de proportionnalité qu’elle doit désormais nécessairement opérer entre plusieurs droits fondamentaux, notamment au visa de l’article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et de l’article 9 du code de procédure civile.

En d’autres termes, lorsqu’une preuve obtenue de manière déloyale ou illicite, le juge du fond doit apprécier si la production d’une telle preuve, qui porte nécessairement atteinte au caractère équitable du procès, est indispensable à établir le fait prétendu et si cette production est proportionnelle à l’établissement dudit fait.

La Cour d’appel, pour rejeter le rapport du détective privé, a considéré que recueillir une preuve par le truchement d’un mensonge entache la preuve d’illicéité et doit donc conduire à l’écarter des débats, et a notamment refusé d’opérer un contrôle de proportionnalité.

III –

La Cour de cassation réaffirme la nécessité du contrôle de proportionnalité entre la manière dont est obtenue une preuve et le but poursuivi par cette obtention afin de décider d’écarter ou de recevoir une preuve déloyale aux débats.

L’arrêt ne se prononce par sur le fait de savoir si la preuve obtenue par le truchement d’un mensonge est acceptable ou non, cette décision revient au juge du fond qui doit nécessairement opérer un contrôle de proportionnalité : la preuve déloyale n’est plus, depuis l’arrêt de l’assemblée plénière précité, systématiquement écartée des débats.

Si l’arrêt permet d’affiner la caractérisation de l’exercice illégale de l’activité d’une profession réglementée, ici l’expertise-comptable, il permet surtout de réaffirmer les nouvelles règles en droit de la preuve et le nécessaire contrôle de proportionnalité à opérer pour écarter la preuve déloyale ou illicite.


[1] Cour de cassation, Assemblée plénière, 22 décembre 2023, 20-20.648, Publié au bulletin

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