SOURCE : 3ème civ, 20 mai 2015, n°13-27367, FS-P+B+R+I
Est-ce la dernière « étape » de l’interprétation des effets de la loi MURCEF du 11 décembre 2001 sur l’article L 145-38 du Code de commerce, qui fera l’objet de la publication la plus large possible pour un arrêt de la Haute juridiction ? Cet arrêt de section du 20 mai 2015 sera analysé au rapport annuel de la Cour de cassation et publié sur son site internet.
Le lecteur se souviendra de l’intervention du législateur en 2001 visant à mettre un terme aux arrêts Privilège[1] et Multichauss[2], qui permettait à un preneur à bail, trois ans minimum après sa conclusion, d’obtenir la révision du loyer à une valeur inférieure à celle contractuellement fixée, lorsque ce prix convenu était supérieur à la valeur locative.
Par l’effet de la déconnexion opérée par la loi « MURCEF » du 11 décembre 2001, entre l’article L145-33 du code de commerce, qui pose en principe la fixation du loyer révisé à la valeur locative, et l’article L145-38 du même code, le législateur mettait un terme à cette possibilité de réviser le loyer en cours en deçà d’un plancher : la convention des parties.
La Cour de cassation en prenait acte par un arrêt du 11 juillet 2007[3] illustrant ainsi un nouveau principe : en l’absence de modification matérielle des facteurs locaux de commercialité ayant entrainé par elle-même une variation de plus de 10% de la valeur locative, le loyer en cours constitue un loyer plancher que la révision triennale légale ne peut excéder. En conséquence, à défaut de modification des facteurs locaux de commercialité,
Lorsque la valeur locative se situe entre le loyer plancher et le loyer plafond, le loyer révisé doit être fixé à la valeur locative[4] ;
Lorsque la valeur locative excède la variation des indices ICC / ILC / ILAT intervenue depuis la fixation amiable ou judiciaire du loyer, le loyer révisé doit être fixé au montant plafonné ;
Lorsque la valeur locative se situe en deçà du loyer plancher, le loyer révisé doit correspondre au loyer plancher.
Cette jurisprudence laissait toutefois en suspend la notion de « loyer plancher » lorsque le bail contient une clause d’indexation. En d’autres termes, lorsqu’une clause d’indexation a déjà été appliquée (à la hausse), que la valeur locative est en deçà du loyer contractuel et que la révision triennale est demandée par le preneur, le loyer fixé par le juge doit-il être le loyer contractuel ou le loyer indexé ? Telle est la question posée à la Cour de cassation dans le présent arrêt commenté, opposant la SNCF à un bailleur.
Approuvant expressément la Cour d’appel de PARIS, y ajoutant que toute autre position aurait été censurée, la Haute juridiction considère que le loyer indexé selon l’un des indices légaux constitue ce loyer plancher :
« Mais attendu qu’ayant relevé qu’en présence dans le bail d’une clause d’indexation sur la base de la variation de l’indice du coût de la construction régulièrement appliquée, le loyer en vigueur est le résultat de l’application de cette clause qui fait référence à un indice légal, la cour d’appel a exactement décidé, par ces seuls motifs, qu’à défaut de modification des facteurs locaux de commercialité ayant entraîné par elle-même une variation de plus de 10 % de la valeur locative, il n’y avait pas lieu à révision du loyer sur le fondement de l’article L. 145-38 du code de commerce qui écarte, par dérogation à la règle posée à l’article L. 145-33 du même code, la référence de principe à la valeur locative ; »
A contrario, tout loyer ayant évolué par l’effet d’une clause d’indexation ne sera pas considéré comme « loyer plancher ». Il faudra, pour ce faire, être « en présence d’une clause » :
« faisant référence à un indice légal ». La question se posera de ce qu’est un « indice légal ». S’agira-t-il des seuls ILC et ILAT prévus par le statut des baux commerciaux, a l’exclusion de l’indice ICC depuis la loi Pinel ? Ou d’un des indices énoncés sous l’article L112-2 du Code monétaire et financier : ILC, ILAT et ICC ? Ou de tout autre indice qui n’est pas réputé interdit au sens de l’article L112-2 du CMF ?
« régulièrement appliquée ». Ces mots sont également source d’interrogations : S’agit-il simplement pour le juge de corriger les erreurs du bailleur dans le calcul de l’indexation du loyer, ou doit-on ne réserver aucun effet, dans la révision, à la clause d’indexation figurant dans le bail mais dont l’exécution a été « oubliée » par le bailleur ?
L’arrêt du 20 mai 2015 répond donc à une question essentielle sur la détermination du loyer plancher, tout en créant de nouvelles difficultés d’interprétation qui, nous l’espérons, seront résolues par le rapport qui sera publié, dans quelques mois, sur le site internet de la Cour de cassation, et sur lequel Vivaldi-chronos ne manquera pas de revenir.
Sylvain VERBRUGGHE
Vivaldi-Avocats
[1] 3ème civ, 24 janvier 1996, n°93-20842
[2] 3ème civ, 30 mai 2001, n°99-17837
[3] 3ème civ, 11 juillet 2007, n°06-12888, FS – P+B
[4] 3ème civ, 6 février 2008, n°06-21983, FS-P+B+I