Demande de remboursement du compte courant : l’acquéreur peut-il être tenu solidairement ?

Eléonore CATOIRE
Eléonore CATOIRE - Avocat

Dans un nouvel arrêt quoi qu’inédit, la Chambre civile de la Cour de cassation revient sur la demande de remboursement du compte courant qui peut faire l’objet de nombreux contentieux entre les associés. Dans un contexte particulier où un solde demeure impayé par la société, le cédant peut-il obtenir le paiement directement de l’associé acquéreur ?

Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 27 septembre 2023, 22-15.146, Inédit

I –

Pure dérogation au monopole des établissements de crédit, tel que prévue à l’article 312-2 du Code Monétaire financier, le compte courant n’est toutefois pas défini légalement.

Il est défini par la pratique comme une avance, un prêt consenti par un associé de la société, qui l’a versée directement dans les fonds de la société, ou laissée à la disposition de la société provisoirement.

Pour faire face aux besoins de la société, il est fréquent que les associés participent aux besoins de trésorerie momentanés, sans réaliser d’apports supplémentaires, mais en consentant des avances en compte courant à la société.

L’associé préteur devient alors également créancier de la société au titre des sommes figurant sur son compte courant.

Il cumule deux casquettes aux statuts différents.

Sa mise en place ne requiert pas de formalisme spécifique, de sorte qu’en principe le remboursement du compte courant par l’associé peut être demandé à tous moment. Toutefois, le compte courant étant régi par la liberté contractuelle, la société peut prévoir des aménagements quant à son remboursement.

II – 

A l’origine de ce contentieux, une société anonyme française, qui faisait fabriquer ses produits par sa filiale turque, laquelle entretenait des relations commerciales avec d’autre sociétés turques, lesquelles étaient constituées par certains associés de la société française.

Un jour, l’un des trois associés de la société française décide de racheter ses deux autres associés pour devenir l’associé unique, et quelques temps après, invoque des actes de concurrences déloyales pour assigner les associés des sociétés turques qui travaillaient avec la filiale de la société française.

La difficulté est que ces deux sociétés turques étaient justement détenues par les anciens associés (et associé unique de chacune d’entre elles) de la SA.

Un important contentieux nourrit la relation conflictuelle, et amène nos protagonistes devant la Cour de cassation, notamment s’agissant du remboursement d’un compte courant.

L’un des cédants de la SA demande à l’acquéreur de ses actions, de payer le solde de son compte courant.

Les juges du fond ont condamné la société française, son associé unique, et son épouse, in solidum, à payer ledit solde.

C’est l’un des griefs portés devant la Haute Cour, les demandeurs au pourvoi invoquaient justement les casquettes différentes d’une part, de l’associé et d’autre part, du titulaire d’un compte courant dans la SA, de sorte que celles-ci étaient indépendantes l’une de l’autre.

Ils revendiquent que « la cession de ses titres par un associé n’emporte pas cession de son compte courant »

Et ainsi donc « qu’en condamnant (…) à payer au cédant, le montant du solde créditeur de son compte courant d’associé dans la société (….) sans rechercher, comme elle y était invitée, si, dès lors que l’acte de cession des parts sociales de la société (…) se bornait à prévoir en son article 5, que le compte courant d’associé détenu par le vendeur dans les livres de la société est remboursé par la société, cette dernière ne restait pas seule débitrice du solde du compte courant, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 1134 devenu 1103 du code civil »

III –

La Cour de cassation, reprend l’article 1134 du Code Civil, qui précise :

« Les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.

(…) ».

Sur ce fondement, elle précise que l’acquéreur ne peut être condamné à rembourser le solde du compte courant s’il ressort des stipulations de l’acte sous seing privé signé entre eux, que seule la société est tenue à ce remboursement.

« 12. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si en application de l’article 5 de la convention de cession des actions de la société (…), le remboursement du compte courant d’associé détenu par ce dernier dans les livres de la société n’incombait pas uniquement à celle-ci, la cour d’appel a privé sa décision de base légale »

La Haute Cour censure ses confrères du fond, en considérant qu’ils auraient dû rechercher si, en application de la convention, le remboursement du compte courant de l’associé cédant n’incombait pas exclusivement à la société.

Ainsi donc, sauf à ce que le contrat de cession d’actions n’indique clairement que l’acquéreur des actions puisse être tenu de rembourser le solde du compte courant non payé par la société, c’est bien la société et elle seule qui est tenue d’y procéder.

Ne ratez plus l’actualité !

Abonnez-vous à notre newsletter hebdomadaire, personnalisable en fonction des thèmes qui vous intéressent : Baux commerciaux, banque, sociétés, immobilier, ressources humaines, fiscalité… tout y est ! 

Partager cet article