La caractérisation nécessaire d’un ensemble contractuel interdépendant dans la sollicitation de la caducité d’un contrat issu d’un tel ensemble

Thomas Chinaglia

Une partie à un contrat faisant partie d’un ensemble contractuel doit nécessairement caractériser l’ensemble contractuel interdépendant en question lorsqu’est sollicité par ce dernier la caducité dudit contrat inclus dans un tel ensemble.

Com. 5 février 2025, n°23-16.749

I –

En l’espèce, un contrat de crédit-bail est conclu entre deux sociétés et dont l’objet porte sur du matériel d’éclairage destiné à permettre des économies d’énergie. Le contrat prévoit expressément que ledit matériel serait fourni et installé par une troisième société. La société disposant du matériel (la « société bénéficiaire ») décide également de contracter avec cette dernière (la « crédit preneur ») un contrat de maintenance et de service pour une durée de dix ans.

La société de maintenance, connaissant des difficultés financières, est placée en redressement puis en liquidation judiciaire. Le juge-commissaire désigné dans le cadre de la procédure décide de constater la résiliation du contrat de maintenance et de service.

Une société tierce, venant aux droits du crédit-preneur, estime que le crédit-bail ainsi que le contrat de maintenance et de service sont interdépendants. Elle considère ainsi que la caducité devait être prononcée dans une telle situation.

Les juges du fond refusent ce raisonnement en estimant que le contrat de maintenance n’est pas démontré par celui qui oppose la caducité, de plus, les juges du fond soulignent que l’interdépendance ne concernait que le bon de commande du matériel et le crédit-bail, en d’autres termes, le contrat de maintenance et de service devait être considéré comme un contrat indépendant du montage contractuel ayant permis d’acquérir ledit matériel.

La société venant aux droits du crédit-preneur se pourvoit en cassation. La Cour de cassation accueille favorablement son pourvoi et casse l’arrêt rendu par la cour d’appel de Lyon.

II –

La Cour de cassation casse l’arrêt rendu par les juges du fond à double titre.


Premièrement en ce que les juges du fond avaient estimé que la société demanderesse n’avait pas fait la démonstration de l’existence du contrat de maintenance et de service contre entre le premier crédit-preneur et le crédit-bailleur. Cette question est, effectivement, cruciale car s’il n’y a pas de contrat de maintenance, toute la démonstration de la caducité s’écroule d’un coup faute d’ensemble contractuel interdépendant intéressant la cause discutée par les parties. Si le raisonnement peut se comprendre sous un angle probatoire, il vient enfreindre les règles issues du code de procédure civile en l’espèce.

Pour rappel, l’article 4 du Code de procédure civile dispose :

« L’objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties.

Ces prétentions sont fixées par l’acte introductif d’instance et par les conclusions en défense. Toutefois l’objet du litige peut être modifié par des demandes incidentes lorsque celles-ci se rattachent aux prétentions originaires par un lien suffisant. »

La société demanderesse affirmait qu’aucune des parties n’avait remis en cause ce point précis dans leurs différentes conclusions présentées devant la cour d’appel de Lyon. Dans la mesure où aucun plaideur n’avait contesté l’existence d’un contrat de maintenance, dès lors, cette convention ne pouvait pas être remise en cause par le juge sous peine de modifier les termes du litige.

Deuxièmement, les juges du fond avaient motivé leur décision en affirmant « qu’à supposer même que la société H. se soit engagée à assurer la maintenance du matériel loué, la société T. n’apporte aucun élément de nature à caractériser le défaut de fonctionnement des équipements loués et ne prétend pas avoir été privée de leur usage ni avoir dû les faire remplacer par une entreprise tierce, et en déduit que l’interdépendance contractuelle ne concerne que le bon de commande du matériel et le contrat de crédit-bail. »

Ce raisonnement, qui ne suit pas la jurisprudence constante sur la question depuis plusieurs années, est balayée par la Cour de cassation. La cassation intervenant pour défaut de base légale, il sera nécessaire de scruter avec attention l’arrêt qui sera rendu par la cour d’appel de renvoi et notamment le fait de savoir si le contrat de crédit-bail avait bien été inscrit en considération du contrat de maintenance et de service. Dans l’affirmative, la résiliation de ce dernier devrait entrainer la caducité du contrat de crédit-bail par interdépendance. D’après les faits, il parait difficile d’imaginer que la cour d’appel de renvoi ne pourrait pas reconnaitre la caractérisation de l’ensemble contractuel interdépendant.

Pour rappel, l’article 1186 du Code civil dispose à ce titre :

« Un contrat valablement formé devient caduc si l’un de ses éléments essentiels disparaît.

Lorsque l’exécution de plusieurs contrats est nécessaire à la réalisation d’une même opération et que l’un d’eux disparaît, sont caducs les contrats dont l’exécution est rendue impossible par cette disparition et ceux pour lesquels l’exécution du contrat disparu était une condition déterminante du consentement d’une partie.

La caducité n’intervient toutefois que si le contractant contre lequel elle est invoquée connaissait l’existence de l’opération d’ensemble lorsqu’il a donné son consentement. »

La cour d’appel s’est placée sur un terrain qui n’était pas au cœur de la prétention soulevée par la société crédit-preneuse. Elle aurait dû analyser si l’exécution du contrat de maintenance et de service était ou non une condition déterminante de son consentement à la conclusion du crédit-bail, et ce, en raison de l’interdépendance pouvant naturellement exister entre les deux contrats.

Thomas CHINAGLIA
Avocat – Barreau de Lille

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