Dans une SCI, les juges interviennent pour déterminer si le défaut de convocation d’une assemblée générale ayant pour ordre du jour la nomination d’un nouveau gérant peut justifier la désignation d’un administrateur provisoire.
Cour de cassation, civile, Chambre civile 3, 12 octobre 2022, 21-18.348, Inédit
I –
Comme les lecteurs de Chronos, qui se sont dûment abonnés à la newsletters ( https://vivaldi-chronos.com/inscription-a-la-newsletter/ ), ont l’occasion de le constater régulièrement, les conditions de désignation tant d’un mandataire ad hoc, que d’un administrateur provisoire font l’objet d’une pléthore de jurisprudence[1].
Dans la présente hypothèse, la question s’est posée à la Haute Cour de déterminer si le simple défaut de convocation d’une assemblée générale afin de nommer un nouveau gérant pouvait justifier la désignation d’un administrateur provisoire ?
Pour mémoire, la désignation d’un administrateur provisoire, création purement prétorienne, nécessite la démonstration de deux conditions précises, ce qui rend la nomination de ce dernier, bien plus exigeante que celle du mandataire ad hoc.
Les conditions sont prévues par le droit prétorien (C.Cass, Comm, 18 mai 2010, N°09.14.838) :
- La preuve de circonstances rendant impossible le fonctionnement normal de la société,
ET
- L’exposition de l’intérêt social à la menace d’un péril imminent
Ces conditions sont expressément cumulatives.
Cela s’explique par leurs fonctions, biens distinctes : Le mandataire ad hoc intervient pour une mission précise, fixée par le juge, et par essence, temporaire, le dirigeant conserve ses pouvoirs. A contrario, l’administrateur provisoire intervient quant à lui pour remplacer le dirigeant jugé défaillant, et assure à sa place la gestion des affaires sociales. Cette dernière désignation porte directement atteinte à la souveraineté des associés, et constitue une mesure exceptionnelle, à solliciter avec précaution.
II –
Dans ce cas d’espèce, les associés d’une SCI veulent nommer un nouveau gérant de droit, mais l’actuel gérant « de fait »[2] s’y oppose.
Selon les demandeurs, la SCI ne fonctionnait « pas normalement » parce que le gérant de fait organisait des consultations écrites des associés, plutôt que des réunions physiques, et refusait d’inscrire la désignation d’un gérant à l’ordre du jour….
La gérance étant devenue vacante, cette demande d’intervention d’un tiers paraissait d’autant plus fondée, et ce, au visa de l’article 1846 du Code civil, applicable aux sociétés civiles exclusivement.
Ce texte prévoit en son dernier alinéa :
« Si, pour quelque cause que ce soit, la société se trouve dépourvue de gérant, tout associé peut réunir les associés ou, à défaut, demander au président du tribunal statuant sur requête la désignation d’un mandataire chargé de le faire, à seule fin de nommer un ou plusieurs gérants ».
Ainsi les juges du fond considéraient que cette situation portait incontestablement atteinte au fonctionnement normal de la SCI, et que la désignation de l’administrateur provisoire s’imposait donc sans conteste.
L’administrateur provisoire devait selon eux être désigné afin de gérer la société en attendant l’organisation de ladite assemblée générale, et la nomination du nouveau gérant de la SCI.
« la cour d’appel spécialement constaté que les insuffisances de gestion alléguées à l’encontre du gérant de la SCI n’étaient nullement caractérisées ; que pour ordonner néanmoins la désignation d’un administrateur provisoire, la cour d’appel a seulement relevé que la société n’avait plus de gérant de droit depuis le 18 janvier, mais seulement un gérant de fait, M. [LE] [Z], et que la société ne fonctionne pas normalement car celui-ci organise des consultations écrites des associés plutôt que des réunions physiques cependant que la désignation d’un nouveau gérant n’est pas inscrite sur les ordres du jour malgré la demande de plusieurs associés en ce sens ; qu’en fondant ainsi sa décision sur le seul dysfonctionnement des organes sociaux, sans constater que la société était menacée d’un péril imminent, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 1846 du code civil. »
La Cour d’appel faisait l’économie de la seconde condition prétorienne, laquelle exige la menace d’un péril imminent.
C’est ce qui causera sa censure !
La Cour de cassation s’en émeut donc, et censure ses collègues girondins en considérant que l’une des conditions indispensables à la désignation d’un administrateur provisoire n’était pas démontrée: La Cour d’Appel aurait dû rechercher si les circonstances de l’espèce faisaient courir à la SCI un péril imminent.
Si en toute hypothèse, les juges suprêmes laissent les juges du fond le soin d’apprécier la gravité de la crise sociale qui leur est soumise, permettant ou non de vérifier l’application des conditions de désignation d’un administrateur provisoire, encore faut-il que leur décision soit suffisamment motivée : Ainsi, à défaut de justifier précisément en quoi le cas d’espèce présentait un péril imminent pour la société, la demande de désignation d’un administrateur provisoire ne peut aboutir.
La Cour indique :
« 4. Pour accueillir la demande de désignation d’un administrateur provisoire, l’arrêt retient que les associés n’ont pu obtenir ni la tenue d’une assemblée générale au siège social de la SCI ni que soit inscrite à l’ordre du jour une résolution concernant la nomination d’un nouveau gérant que beaucoup appellent de leurs voeux, cette demande étant de plus fort justifiée depuis janvier 2018, date à laquelle la gérance est devenue vacante, que cette situation porte incontestablement atteinte au fonctionnement normal de la SCI, et que la désignation d’un administrateur provisoire s’impose pour gérer la SCI dans l’attente de l’organisation d’une assemblée générale.
5. En se déterminant ainsi, sans rechercher si les circonstances faisaient courir à la société un péril imminent, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision ».
Cette décision s’inscrit dans le strict prolongement d’un arrêt inédit, d’ores et déjà rendu le 16 Novembre 2017 (N°16.23.685) [3] lequel censurait les juges du second degré, qui se contentaient d’évoquer l’absence d’un gérant de droit, comme étant un dysfonctionnement grave.
En effet, les juges du fond n’avaient pas non plus recherché si la vacance de gérant engendrait des réelles difficultés dans le fonctionnement de la société, mettant en péril l’intérêt social.
Les deux conditions relatives à la désignation d’un administrateur provisoire sont donc bien strictes, et les juges du fond doivent veiller à les motiver suffisamment.
III –
Cette décision semble pragmatique, ce d’autant plus que le législateur prévoit, pour les sociétés civiles une alternative possible en cas d’absence de gérant, pour quelque cause que ce soit :
- Soit tout associé peut réunir les autres associés
- Soit demander au Président du Tribunal, statuant sur requête, la désignation d’un mandataire (sous-entendu mandataire ad hoc) chargé de réunir les associés, à seule fin de nommer un ou plusieurs gérants.
Ainsi, la question demeure : Pourquoi avoir sollicité la désignation d’un administrateur provisoire, alors que le texte prévoit littéralement deux autres alternatives à cette sortie de crise.
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[1] Voir par exemple :
- Sur la désignation d’un mandataire ad hoc en référé : https://vivaldi-chronos.com/designation-dun-mandataire-ad-hoc-en-refere-pas-besoin-de-circonstances-rendant-impossible-le-fonctionnement-normal-de-la-societe/
- Sur les conditions de désignation d’un administrateur provisoire : https://vivaldi-chronos.com/conflits-dassocies-et-strictes-conditions-de-designation-dun-administrateur-provisoire-nouvelle-illustration/
- Sur le récent revirement en matière de désignation d’un mandataire ad hoc : https://vivaldi-chronos.com/designation-de-mandataire-ad-hoc-et-conformite-a-linteret-social-revirement-de-jurisprudence/
[2] Définition d’un dirigeant de fait rappelée au sein de l’article suivant : https://vivaldi-chronos.com/insuffisance-de-la-seule-procuration-sur-les-comptes-bancaires-comme-indice-permettant-de-caracteriser-un-dirigeant-de-fait/
[3] « Qu’en statuant ainsi, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si les sociétés ne fonctionnaient pas sans difficulté en dépit de la vacance de droit de la gérance et sans s’expliquer sur les « difficultés » qu’elles retenait, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard du texte susvisé » ; https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000036056048?page=1&pageSize=10&query=*1623685&searchField=ALL&searchType=ALL&sortValue=DATE_DESC&tab_selection=juri&typePagination=DEFAULT