Source : CA DOUAI 29 avril 2022 – RG 20/00861
I –
Par sa décision, la Cour d’Appel met, tout au moins au fond, le délai de pourvoi n’étant pas expiré, fin à un litige qui a opposé une société à son ancien salarié et par ailleurs mandataire social, devant diverses juridiques pendant près de 14 ans (2008/2022).
La complexité du litige tient au fait que le collaborateur avait occupé pendant les premiers temps, des fonctions de direction opérationnelle du Groupe avant d’occuper un poste d’administrateur de la Holding constituée sous forme de société anonyme, puis de prendre la présidence du conseil d’administration en même temps qu’il devenait gérant de la filiale constituée sous forme de société en nom collectif.
Le collaborateur démissionnera de ses fonctions et retrouvera un poste de directeur général administratif qu’il occupera jusqu’à ce qu’il soit licencié pour faute grave par le cessionnaire de la Holding.
Le salarié va alors contester le caractère réel et sérieux de son licenciement devant les Juridictions Prud’homales, mais surtout évoquer l’existence d’une convention qui aurait été prétendument autorisée par le Conseil d’Administration, à l’époque où il en occupait la présidence qui le rémunérait en pourcentage des cessions d’actif appartenant à la filiale (la SNC). Le montant de cette rémunération variable était assez significative, puisqu’il portait sur 1.7 M€, soit un coût employeur de l’ordre de 2.2 M€.
Le cessionnaire s’est alors rapproché du cédant, notamment au titre de la mise en cause de la garantie d’actif et de passif attachée à la cession, lequel a contesté la validité du Conseil d’Administration qui aurait approuvé cette convention. Sans succès toutefois, puisque si le salarié, aux termes d’une plainte pénale avec constitution de partie civile a été renvoyé devant les Juridictions Correctionnelles, celui-ci a été relaxé des poursuites.
De son côté, le Conseil des Prud’hommes saisi, tant du caractère sérieux de la faute que de la demande en paiement de la partie variable de la rémunération, va, par une première décision mixte, juger que le licenciement était fondé sur une faute grave et surseoir à statuer jusqu’à ce que les Juridictions Pénales saisies se soient prononcées sur la validité du procès-verbal du Conseil d’Administration dont le faux était allégué.
La validité du procès-verbal du Conseil d’Administration sur laquelle s’appuyait la convention litigieuse, ne pouvant plus être contestée, le salarié s’est, de nouveau, présenté devant la Juridiction Prud’homale, estimant que la reconnaissance du contrat de travail, en ce compris pendant la période où il disposait du statut, tant de président du Conseil d’Administration de la société que de gérant de la SNC filiale, l’autorisait à réclamer le paiement desdites sommes au titre de complément de rémunération salariale.
A tort, répond le Conseil des Prud’hommes par une décision du 16 décembre 2019[1] qui estime que la nature des rémunérations revendiquées par le salarié, était rattachable à ses mandats sociaux et que, dès lors, pour être opposable à la société, celle-ci devait suivre le mécanisme d’approbation tout autant applicable dans les sociétés anonymes que dans la société en nom collectif.
Mécontent, le salarié relève appel de la décision de première instance.
II –
Pour comprendre la motivation de confirmation de la Cour d’Appel, il faut préciser, qu’entre temps, la Holding (SA) avait absorbé sa filiale (SNC) avec une Juridiction qui avait à juger la validité d’une convention, non pas sur la base d’un faux (écartée par les Juridictions Pénales), mais :
Sur la base d’un procès-verbal du Conseil d’Administration de la Holding qui autorisait l’un des actionnaires qui n’occupait aucun poste de représentation dans la Holding, ni dans la filiale, à signer une convention avec le président du Conseil d’Administration (et, par ailleurs, salarié) ;
Au nom et pour le compte de la SNC (la filiale) qui cédait ses actifs.
C’est ici toute la singularité de ce dossier puisque (i) le Conseil d’Administration de la SA autorise la signature d’une convention réglementée qui concerne sa fille, mais l’autorisation ne suit pas le processus habituel, pourtant obligatoire, posé à l’article L.225-38 du Code de Commerce qui nécessite la transmission de la convention réglementée au Commissaire aux comptes, lequel dépose un rapport spécial en vue de la ratification par l’Assemblée Générale des actionnaires, de la convention réglementée préalablement autorisée. De surcroît, (ii) la convention est signée entre le salarié et gérant de la SNC, en violation des statuts de la SNC qui soumettait l’approbation de telles conventions, à l’approbation préalable d’un conseil de surveillance puis de l’Assemblée Générale. Pour autant, (iii) il n’était pas contesté que le collaborateur avait été salarié au sein de la société, de son embauche jusqu’à son licenciement pour faute grave, en ce compris, si l’on se réfère à la décision de première instance, au cours de la période où il avait exercé un mandat social dans la Holding et dans la filiale, de sorte que, pendant l’exercice des mandats du salarié, il était constaté un cumul du contrat de travail avec un mandat social.
Dès lors que le salarié percevait une rémunération pour ses fonctions opérationnelles, la question, qu’avaient à trancher les Juridictions, était de savoir si la part variable de la rémunération dont le paiement était réclamé et qui était attachée à un pourcentage de la cession des actifs opérée par la filiale constituée sur la SNC, se rattachait au contrat de travail ou au contrait au mandat social.
Pour retenir que la rémunération, dont le paiement était sollicité, se rattachait au mandat social, la Juridiction du premier degré va d’abord opérer une distinction entre la rémunération ordinaire du collaborateur avec les rémunérations complémentaires, dont il fallait rechercher si elle se rattachait à la rémunération courante ou, au contraire, s’inscrivait dans le cadre des mandats sociaux.
Pour rattacher cette rémunération au mandat social, la décision du premier degré va comparer la rémunération ordinaire (un peu supérieure à 100 000 €) avec la rémunération exceptionnelle (2.2 M€ coût employeur) et considérer que la convention litigieuse « conclue entre la société et l’un de ses dirigeants concerne bien des missions exceptionnelles » rattachables à l’exercice du mandat social.
Cette même Juridiction aurait pu, à notre avis, juger de la même manière que la cession d’actifs étant une prérogative du mandataire social, voire de l’Assemblée de la société, celle-ci s’inscrivait par nature dans la prérogative du mandataire social.
Une fois la qualification de la rémunération donnée, la Juridiction du premier degré va considérer que le processus des conventions réglementées n’ayant pas été respecté ni dans la mère (société SA), ni dans la fille (SNC), la convention sur laquelle s’appuyait le salarié pour fonder sa demande était nulle.
Plus radical, la Cour d’Appel s’appuie uniquement sur les dispositions statutaires de la filiale débitrice des sommes pour constater que, irrégulièrement signées, les conventions étaient-elles opposables à la société.
Il faut retenir de cette décision, relativement rare, qu’un cumul d’un contrat de travail et d’un mandat social est possible, ce qui peut paraître surprenant, même quand le mandataire social est gérant de SNC et que la reconnaissance d’un contrat de travail n’exclut pas qu’une partie des rémunérations versées au mandataire social puisse être affectée au compte du mandat et non de la rémunération.
III –
Le cumul d’un contrat de travail et d’un mandat social dans les sociétés anonymes n’est pas nouveau, il a été posé, en principe, par un Arrêt publié au bulletin de la Cour de Cassation en 1997[2]. La solution, bien qu’ancienne, reste logique puisque, fondamentalement, ce qui était le cas soumis à la Cour d’Appel de DOUAI, le mandataire social n’est pas actionnaire de la ou des sociétés dont il est mandataire social et qu’il existe nécessairement une dépendance juridique et économique qui sert traditionnellement à qualifier un contrat de relation de travail.
Plus surprenante, mais néanmoins admissible, est la qualification, par la Cour d’Appel de MONTPELLIER, des fonctions de gérant de société de SNC (qui a la qualité de commerçant), avec un contrat de travail, dès lors que le gérant « apporte la preuve de l’exercice d’une activité distincte de celle de sa fonction de gérant »[3].
Au cas particulier, la rémunération du collaborateur est restée la même ou a évolué de façon progressive, de son entrée dans la société jusqu’à sa sortie, qu’il ait été directeur opérationnel, directeur général administratif ou mandataire social, administrateur / président du Conseil d’Administration / gérant de la SNC.
Les Juridictions du fond auraient pu estimer que le contrat de travail du collaborateur était suspendu au moins pendant toute la période où celui-ci occupait le mandat de gérant dans la SNC, mais à y regarder de près, celui-ci percevant la même rémunération avant, pendant et après son mandat, l’idée même d’une rémunération, plutôt attachée à un contrat de travail, c’est-à-dire indépendante du mandat social, était tout à fait défendable, de sorte que la décision de première instance, comme de la Cour d’Appel était logique.
Pour autant, et c’est ici l’intérêt de cette décision, le statut de salarié n’est pas comme un « trou noir » qui va absorber toutes les rémunérations en les qualifiant de salaires. Il faut, pour qualifier la rémunération, rechercher systématiquement si celle-ci se rattache à l’exercice d’un contrat de travail ou, au contraire, d’un mandat social. Dans le second cas, la rémunération ne sera valable que si (i) elle a été approuvée selon les modalités fixées par la loi ou les statuts et (ii) la procédure sur les conventions réglementées a été respectée.
[1] CPH LILLE – formation paritaire : 16 décembre 2019 – RG : 17/00350
[2] Cass. Soc. 04 mars 1997 n° 93-44.805, bull. civ. V n°95
[3] CA MONTPELLIER, 5° CH – Section 1 du 17 juin 2002, n° 01-04127