Source : Cass. Com. 04 novembre 2021 n° 19-25.451
Cette Jurisprudence est transposable, bien entendu, aux Commissaires aux apports et pose, en toile de fonds, la question de la nature juridique de la responsabilité du Commissaire aux compte et, par ricochet, du délai de la prescription de l’action.
I –
Le litige, tranché par la Cour d’Appel de GRENOBLE, contre lequel les auteurs de l’action en responsabilité d’un Commissaire à la transformation s’étaient pourvus, s’inscrivait dans un cas classique des « mauvaises surprises » de la prise de contrôle d’une société dont la valorisation s’appuie nécessairement sur la production des comptes sociaux, dont la sincérité s’inscrit dans le cadre d’une obligation de résultat.
La découverte des irrégularités, voire de l’insincérité des comptes, est souvent identifiée au cours des travaux de révision du premier exercice et peut même se prolonger au-delà si la révision est assurée par un Expert-comptable dont les défaillances, non identifiées, comme en l’espèce par le Commissaire aux comptes, se poursuivent d’un exercice sur l’autre.
L’Arrêt ne mériterait pas les commentaires de Chronos, si l’action en responsabilité avait été engagée contre le Commissaire aux comptes. Mais en l’espèce contre le Commissaire à la transformation puisque, là encore, comme il est d’usage en pareille matière, les protocoles préalables aux opérations de cession des titres prévoient, notamment pour plafonner le droit des enregistrements, la transformation de la société lorsqu’elle est constituée sous forme de SARL en SAS, d’où la nécessité d’avoir recours aux services d’un Commissaire à la transformation qui est une mission dévolue au visa de l’article L.821-1-1 du Code de Commerce issu de la loi Pacte, au Commissaire aux comptes dont la mission comprend celle « de missions de contrôle légal et d’autres missions qui lui sont confiées par la loi et par le règlement ».
Toute la difficulté consiste à apprécier le délai de prescription et son point de départ.
II –
Puisque le Commissaire aux comptes est en charge d’une mission de contrôle légal, c’est-à-dire de certification des comptes, mais également d’autres missions … tout autant légales, puisque les Commissaires aux apports et à la transformation doivent être choisis sur la liste des Commissaires aux comptes, le pas est vite franchi pour considérer que le régime des actions en responsabilité des Commissaires à la transformation et des Commissaires aux apports, doit être calqué sur celui des Commissaires aux comptes.
Pour mémoire, l’article L.822-17 du Code de Commerce, dispose que les Commissaires aux comptes sont responsables, tant à l’égard de la personne ou de l’entité que des tiers, des conséquences dommageables des fautes et négligences par eux commises dans l’exercice de leurs fonctions.
L’article L.822-18 du même Code ajoute que l’action en responsabilité contre les Commissaires aux comptes se prescrit dans les conditions prévues L-225-254 toujours du Code de Commerce. Le texte concerne la responsabilité contre les administrateurs ou les directeurs généraux, dont la prescription de l’action est de trois ans « à compter du fait dommageable ou s’il a été dit dissimulé de sa révélation ».
Et le délai de trois ans peut parfois paraître court comme dans l’espèce commentée, ce d’autant plus que si la notion de dissimulation peut se comprendre pour les représentants légaux d’une société, dès lors qu’il est rapporté la preuve d’un intérêt à cette dissimulation, caractérisée notamment par un abus de biens des crédits de la société ou un abus de confiance, en ce qui concerne le Commissaire aux comptes, il est très rare que celui-ci soit, en quelque sorte, le complice du représentant légal, sa responsabilité devant, les trois quarts du temps, être recherchée sur le fondement de la responsabilité civile, ce qui exclut toute faute intentionnelle.
Ainsi, le point de départ commencera-t-il à la date à laquelle le Commissaire aux comptes a certifié les comptes sociaux et, plus vraisemblablement, à la date à laquelle il les a présentés à l’Assemblée Générale de la société qui les approuvé, alors qu’à l’inverse, si ces comptes inexacts relèvent une dissimulation des dirigeants, le point de départ commencera à courir à compter de la date révélation du fait susceptible d’engager la responsabilité du dirigeant.
Evidemment, dans la plupart des cas, une dissimulation porte sur des faits étrangers aux fonctions d’organe social et sont caractérisés, à chaque fois qu’il est rapporté la preuve d’une faute (i) commise intentionnellement par le dirigeant, (ii) d’une particulière gravité, (iii) incompatible avec l’exercice normal des fonctions sociales parmi lesquelles on identifiera à nouveau, cette liste n’étant pas limitative, l’abus de biens des crédits de la société ou l’abus de confiance.
Dans ce cas, la responsabilité des mandataires sociaux, s’agissant d’une faute qui ne relève pas d’un acte de gestion dans l’intérêt de la société, n’est plus encadré par le délai de prescription de trois ans de l’article L.221-4 du Code de Commerce, mais est recherchée sur les fondements de la responsabilité civile délictuelle posés l’article 1240 du Code Civil (ancien article 1389 du Code Civil) qui est de cinq ans à compter de la découverte des faits délictueux.
Cette responsabilité pourra être recherchée par la société, représentée, après sa prise de contrôle par les nouveaux représentants légaux ou par l’actionnaire qui a pris le contrôle pour la partie du préjudice personnel distinct de celui subi par la société.
Il s’agit donc d’une action en responsabilité à deux étages :
Le premier et principal concerne (s’agissant plus spécialement des fautes commises au préjudice de la société), la condamnation des dirigeants et, accessoirement, des Commissaires aux comptes qui ont failli dans leur mission de contrôle en remboursement du préjudice ;
La seconde du tiers et, pour rester dans le thème de l’article, de l’acquéreur des titres qui pourra solliciter la réparation de son préjudice personnel distinct de celui que subi la société.
Autrement dit, il s’agit, lorsque des détournements ont été identifiés, d’un cas d’école, puisque le principe de réparation intégrale du préjudice conduit à ce que l’indemnisation de la société vide les préjudices directs ou indirects subis par l’associé.
Il existe cependant une hypothèse, celle qu’avait à examiner la Cour d’Appel de GRENOBLE, puis la Cour de Cassation, selon lesquelles les comptes sont juste faux et trompent l’acquéreur sans pour autant que ce manquement constitue un préjudice pour la société.
C’est dans cette hypothèse que se pose la question de la responsabilité du Commissaire aux comptes dans ses trois missions.
III –
Si c’est la responsabilité du Commissaire aux comptes qui est recherchée dans sa mission de certification des comptes, la règle de la prescription triennale n’est pas en débat. Plus délicate est à apprécier la mission du Commissaire aux comptes es-qualité de Commissaire à la transformation et de Commissaire aux apports, et pour ce faire, la Cour d’Appel de GRENOBLE avait fait l’amalgame des trois missions du Commissaire aux comptes et aligner le délai de prescription de trois ans, conformément à l’article L.225-254 précité.
A tort, selon la Cour de Cassation qui casse et annule l’arrêt selon un raisonnement qui ne peut être qu’approuvé.
IV –
La Cour de Cassation considère, en effet, que le délai de prescription réduit ne vise que la mission permanente de contrôle légal des comptes (le Commissariat aux comptes) et renvoie aux dispositions de l’article 1240 du Code Civil, la responsabilité du Commissaire aux comptes lorsqu’il intervient pour valoriser un apport ou certifier une transformation.
Ce délai de deux ans supplémentaires est une bouffée d’air pour les acquéreurs puisque, conformément aux règles de la responsabilité délictuelle, le point de départ ne va courir qu’à compter de la découverte du fait fautif pour une prescription au terme d’une période quinquennale qui est celle applicable au droit commun de la responsabilité civile.
Le refus de l’extension de la mission de certification des comptes du Commissaire aux comptes à ses autres missions s’inscrit d’ailleurs en harmonie avec la Doctrine de la Compagnie Nationale des Commissaires aux Comptes (CNCC) qui admettait que le bénéfice de la prescription abrégée concernait les seules actions en responsabilité exercées à l’encontre du contrôleur légal des comptes chargé de les certifier[1], alors que pour les missions autres que la certification des comptes annuels ou des comptes consolidés, les dispositions de l’actuel article 2224 du Code Civil seraient aujourd’hui applicables et telles étaient nécessaires dans le cas pour les missions d’évaluation confiées ponctuellement à un Commissaire à la transformation.
Les lecteurs de Chronos comprendront évidemment l’intérêt pour les acquéreurs d’une société, lorsqu’ils se sont fiés aux déclarations du Commissaire à la transformation, les engageant, comme en l’espèce dans une certitude de valeur, que la correction des comptes a contredit, la différence constituant un préjudice réparable directement au bénéfice du cessionnaire.
[1] Lettre info CNCC du 31 janvier 2020