Source : CA PARIS – 21 OCTOBRE 2021 – n°18/21284
I – En droit commercial, la clause de non-concurrence résulte de la liberté contractuelle, elle n’est pas, soumise à des conditions strictes de validité comme en matière sociale (Cf. Infra). Les parties sont donc libres de prévoir contractuellement une contrepartie financière lorsqu’elles prévoient une telle clause.
Seulement, pour être valable, le droit prétorien[1] considère qu’elle doit respecter plusieurs conditions :
Ne doit pas interdire à son signataire l’exercice de toute activité professionnelle, ou l’empêcher de réaliser son objet social (pour les associés personnes morales),
Doit être limitée dans le temps et dans l’espace
Doit être proportionnée aux intérêts légitimes à protéger.
Le recours à ce type de clause apparait utile puisque la Cour de cassation a précisément affirmé que, l’associé n’est pas, par principe, (i) interdit d’exercer une activité concurrence ou (ii) même obligé d’informer la société qu’il en exerce une autre.
Elle affirme concrètement l’absence d’obligation de non-concurrence de plein droit mise à la charge de l’associé[2], puisque les titrages et résumés de l’arrêt référencé prévoient :
« Sauf stipulation contraire, l’associé d’une société à responsabilité limitée n’est pas, en cette qualité, tenu ni de s’abstenir d’exercer une activité concurrence de celle de la société, ni d’informer celle-ci d’une telle activité et doit seulement s’abstenir d’acte de concurrence déloyale ».
L’exercice d’une activité concurrente, par un associé, n’est pas qualifiable de concurrence déloyale en elle-même, puisqu’il n’est pas soumis à une obligation de loyauté, à la différence de l’associé gérant. Il commettra alors un acte de concurrence déloyale s’il créé une société exerçant une activité concurrente, sauf s’il obtient au préalable, l’accord des associés.[3]
II – En droit social, la clause de non-concurrence qui pèse sur le salarié pendant la durée du contrat de travail, est justifiée par la communauté d’intérêts qui le lie avec son employeur. A l’expiration dudit contrat, elle apparait pour limiter temporairement la liberté individuelle de l’ancien salarié, au bénéfice de la société, raison pour laquelle la jurisprudence encadre strictement ses conditions de validité.
Trois conditions doivent être réunies :
1. L’exigence du caractère indispensable à la protection des intérêts légitimes de l’entreprise.
Le droit prétorien[4] considère que la clause doit avoir pour seul but d’interdire une concurrence anormalement périlleuse par l’ancien salarié en raison de son activité passée dans l’entreprise, elle doit être justifiée par la seule nécessité de protection de celle-ci.
2. L’exigence de la sauvegarde du libre exercice professionnel du salarié.
De manière identique au droit commercial, une clause de non-concurrence en droit social se doit d’être strictement limitée dans l’espace et dans le temps, et doit prendre en considération les spécificités de l’emploi du salarié. Cette condition repose sur l’article L1121-1 du Code du travail qui prévoit que :
« Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché ».
Ainsi, dans le cadre d’un contentieux relatif à l’appréciation de l’éventuelle disproportion d’une clause de non-concurrence, les juges apprécient les répercussions concrètes de la clause sur la situation de l’ancien salarié, et notamment sur la possibilité d’exercer, malgré l’existence de cette clause, une activité conforme à sa formation et à son expérience professionnelle. La clause ne doit pas être une interdiction générale et absolue, à défaut de quoi elle portera une atteinte excessive à la liberté individuelle de l’ancien salarié.
3. L’exigence du versement d’une contrepartie financière.
La licéité d’une clause de non-concurrence d’un salarié est depuis le revirement de jurisprudence de 2002[5], obligatoirement conditionnée par l’octroi d’une contrepartie financière. D’application immédiate et rétroactive, cette condition a permis d’obtenir la nullité de toutes les clauses de non-concurrence contenues dans les conventions collectives et contrats de travail ne prévoyant pas cette contrepartie.
Cette contrepartie doit être nécessairement représentée par une somme d’argent. Elle peut être constituée d’une somme déterminée ou d’un pourcentage de salaire perçu par le salarié lorsqu’il travaillait dans l’entreprise. De surcroit, même si aucun barème minimum n’est fixé, les juges considèrent qu’une contrepartie dérisoire équivaut à absence de contrepartie, engendrant la même nullité de la clause.
Dans les deux cas, les conditions sont cumulatives, et le juge doit rechercher l’adéquation entre ces différentes exigences pour en vérifier le caractère proportionné.
En résumé, alors que le versement d’une contrepartie financière est exigé par la Chambre sociale de la Cour de cassation dans le cadre d’une clause de non-concurrence en droit du travail, la Chambre commerciale en revanche, refuse catégoriquement de l’étendre à la matière commerciale.
Pourtant, il est nécessaire de nuancer cette stricte délimitation.
III – Illustration par le cas d’espèce.
A la base de ce contentieux, une société de conseil en technologie digitale et édition de solutions marketing sur internet embauche un ingénieur généraliste en qualité de consultant salarié, qu’elle nomme au conseil de surveillance, et qui, par la suite, décide de souscrire au capital pour devenir actionnaire.
Un pacte extra-statutaire prévoit alors que les actionnaires s’engageaient à céder leurs actions aux personnes désignées en cas de démission, révocation ou licenciement motivé par une faute grave ou lourde, ou violation de certaines clauses du pacte comme l’obligation de non-concurrence.
La clause de non-concurrence était rédigée en ces termes :
« Chaque actionnaire Clé, en tant qu’il sera actionnaire et pendant une période de douze (12) mois à compter de la date à laquelle il cessera d’être actionnaire de la société, s’interdit de posséder, d’acquérir, directement ou indirectement une participation, de gérer, d’exploiter, de contrôler ou de fournir des services de conseil, de participer, de créer, d’être rémunéré par ou d’être lié d’une quelconque autre manière à une entité exerçant une activité concurrente et il n’acceptera pas un poste rattaché à une activité concurrente, dans toute l’Union Européenne ».
Le litige se cristallise lorsque, conformément aux accords contractuels, la SAS lui notifie le rachat forcé de l’intégralité de ses actions, en se prévalant (i) de son licenciement pour faute grave et (ii) de la violation de la clause de non-concurrence.
L’ingénieur s’oppose au rachat forcé de ses actions en contestant la violation du pacte, mais la société n’en tient pas compte et se transfert quand même la propriété des actions visées. C’est alors que l’associé évincé assigne la SAS devant la juridiction commerciale aux fins de voir jugée l’option d’achat nulle et nul d’effet, et de se voir rétablir dans ses droits d’actionnaires.
S’il apparait que finalement, le licenciement pour faute grave ne pouvait, à terme, justifier la mise en œuvre de la clause de rachat forcé, puisqu’il a été depuis lors jugé sans cause réelle et sérieuse, se posait alors la question de la violation de la clause de non-concurrence, et en réalité la question de son opposabilité au demandeur.
L’associé exclu contestait la réunion effective des conditions cumulatives exigées en matière de clause de non-concurrence, en se référant aux conditions fixées par la jurisprudence de Chambre sociale, c’est-à-dire en référence au droit du travail. A l’inverse, considérant que le pacte extra-statutaire était à l’origine signé par le demandeur, en sa qualité d’associé, la Société ne considérait pas avoir à réunir impérativement les conditions de validité de la clause de non-concurrence en matière de droit du travail.
La Cour d’Appel Parisienne a tranché, et considéré que, outre le caractère disproportionné de la clause, celle-ci était également dépourvue de contrepartie financière réelle. En effet, le pacte extra-statutaire prévoyait, comme contrepartie à la clause de non-concurrence, la possibilité d’acquérir des actions en cas de sortie de ses coassociés pendant la durée de l’association, mais ne prévoyait pas de contrepartie après sa propre sortie (volontaire ou forcée) de la société.
La clause étant irrégulière, elle est sanctionnée par la nullité.
Aux premiers abords, cette décision surprend en ce qu’elle applique à un associé/actionnaire, le régime de la Chambre sociale de la Cour de cassation, alors que la Chambre commerciale s’oppose à la transcription de ce régime en matière commerciale.
Comment s’explique cette décision ?
La clause de non-concurrence est jugée illicite par les juges, pour ne pas remplir les conditions applicables en droit social pour la simple et bonne raison qu’ils se fondent sur l’existence d’un contrat de travail au jour où l’associé/actionnaire s’engage dans le pacte d’actionnaire.
Les juges dissocient donc :
L’actionnaire/associé non salarié, pour lequel le droit commercial s’applique librement, la clause de non-concurrence n’a pas à réunir les conditions de la Chambre sociale.
L’actionnaire/associé également salarié de manière simultanée, pour lequel l’application du droit du travail prime pour déterminer le périmètre de la clause, qui doit donc recevoir impérativement une contrepartie financière. Le salarié se voit appliquer le régime protecteur du droit du travail, peu important l’acte sur lequel il s’engage : Contrat de travail ou pacte d’associés.
Cette position jurisprudentielle permet d’éviter que ne soit détournée la véritable clause de non-concurrence du salarié, par un acte distinct qui bénéficierait d’un régime plus souple. Il n’est pas envisageable d’éluder l’application des règles visant la protection du salarié en se fondant sur une qualité distincte, celle d’actionnaire/associé, puisque l’effet de la clause de non-concurrence imposée à un salarié est rigoureusement identique, qu’elle soit issue d’un contrat de travail ou d’un acte distinct comme un pacte d’actionnaire.
IV – La conformité de la décision au droit positif connu
Cette décision s’inscrit dans le prolongement de la jurisprudence d’ores et déjà appliquée par la Cour de cassation depuis 2011[6], qui a repris les conditions relatives à la clause de non-concurrence en matière de droit du travail pour l’appliquer à un actionnaire sortant.
Dans cet arrêt, un salarié récompensé pour ses « bons et loyaux services et à son implication personnelle » s’est vu attribuer des actions au sein de la société auprès de laquelle il était salarié. La cession des titres et ses conditions ont été formalisées dans un pacte extra-statutaire. Quelque temps après sa démission, la société tente de faire appliquer la clause de non-concurrence inclue dans le pacte à l’encontre de son ancien salarié.
Pour la première fois, la Chambre commerciale reprenait à son compte les critères posés par la Chambre sociale, et considérait la nécessité d’accorder à l’actionnaire/associé salarié, tenu d’une clause de non-concurrence, la même protection qu’un simple salarié. Pour être licite, elle devra donc réunir les conditions précitées en matière sociale
L’application des règles du droit social aux actionnaires/associés n’a pas pourtant vocation à être généralisée à tous les actionnaires/associés. Il ressort des règles prétoriennes que l’actionnaire/associé ne bénéficie de ce régime issu du droit du travail que parce qu’il est également salarié au moment où il s’engage. Cette qualité justifie à elle-même la protection issue du droit social, et donc l’exigence des conditions de validité de la clause de non-concurrence.
C’est également en ce sens que s’est positionnée la Cour de cassation en 2013[7] en précisant dans un attendu de principe :
« Attendu qu’une clause de non-concurrence prévue à l’occasion de la cession de droits sociaux est licite à l’égard des actionnaires qui la souscrivent dès lors qu’elle est limitée dans le temps et dans l’espace, et proportionnée aux intérêts légitimes à protéger, que sa validité n’est subordonnée à l’existence d’une contrepartie financière que dans le cas où ces associés ou actionnaires avaient, à la date de leur engagement, la qualité de salariés de la société qu’ils se sont engagés à ne pas concurrencer. »
Quid d’un associé cédant qui bénéficie, au jour de la cession, d’une promesse d’embauche ?
Récemment[8], la jurisprudence a précisé encore davantage sa position en déboutant le demandeur, revendiquant que, dès lors qu’elle précise l’emploi proposé, et la date d’entrée en fonction, la promesse d’embauche avait formé un contrat de travail imposant de prévoir une contrepartie financière.
L’associé cédant l’intégralité de ses actions s’est vu embaucher, le jour de la cession. Finalement licencié, et libéré de la clause de non-concurrence issue de son contrat de travail, il assigne la société en nullité de la clause de non-concurrence issue du protocole de cession.
Réponse de la Cour :
« (…) une clause de non-concurrence insérée dans une convention de cession est licite lorsque les obligés n’ont pas la qualité de salariés au jour de la souscription de l’obligation et que la clause est limitée dans le temps et dans l’espace, et proportionnée aux intérêts légitimes à protéger, l’arrêt relève que, lors de la signature du protocole de cession contenant la clause de non-concurrence contestée, M.(i), alors associé et dirigeant de la Société, n’avait pas la qualité de salarié de cette société et ne bénéficiait que d’une simple promesse d’embauche. En cet état, c’est à bon droit que la cour d’appel n’a pas soumis la validité de la clause de non-concurrence litigieuse à la condition qu’elle soit assortie d’une contrepartie financière ».
Il faut donc être effectivement associé au moment même ou l’actionnaire/associé s’engage, pour bénéficier du régime protecteur de la Chambre sociale.
[1] Cass, Com, 11 mars 2014, N°12.12074
[2] Cass, Com 15 novembre 2011, N° 10.15049
[3] Cass, Com 18 mars 2020, N° 18.17010
[4] Cass, Soc 14 mai 1992 – N° 89.45300
[5] Cass, Soc 10 juillet 2002 – 3 arrêts : N° 99.43334, N° 00.45387, et N° 00.45135
[6] Cass, Com, 15 mars 2011, N°10.13824
[7] Cass. Com 8 Octobre 2013, N°12-25984
[8] Cass. Com 23 juin 2021, N°19.24488