SOURCE : Cour de cassation, Chambre commerciale 2 juin 2021, N°20.13.735 / Inédit.
I – A défaut de définition légale, le dirigeant de fait est défini conjointement par la jurisprudence et la doctrine, comme toute personne physique ou morale qui, sans avoir été régulièrement désignée en qualité de dirigeant de droit, se sera distinguée par une activité positive dans la direction et la gestion de la personne morale, exercée en toute indépendance.
A contrario, le dirigeant de droit est la personne physique ou morale, investie dans ses fonctions par la loi et/ou les statuts. Il a officiellement un mandat pour agir.
La notion de dirigeant de fait, fait l’objet d’un contentieux d’interprétation abondant, et s’entend plus précisément par la participation à la conduite générale de l’entreprise, active, régulière, et comportant la prise de décision.
Ayant pour effet principal de dissuader la mise en place d’une gestion de la société par un tiers non dirigeant de droit (les fameux « hommes de paille »), elle ne permet toutefois pas d’exonérer le dirigeant officiel de sa responsabilité personnelle au prétexte que ses propres prérogatives auraient été en réalité exercées exclusivement par un tiers, dirigeant de fait, qui en pratique aurait commis les fautes[1]. Les dirigeants de fait encourent les mêmes sanctions que s’ils avaient été dirigeants de droit.
Généralement caractérisé par quelqu’un qui s’est volontairement et soigneusement abstenu de prendre la qualité de dirigeant de droit, le droit prétorien organise la repêche des personnes physiques complaisantes, qui exercent des prérogatives réservées pourtant aux organes sociaux, pour réussir à atteindre ceux qui ont sciemment exercé, sans prérogatives officielles, les pouvoirs des dirigeants. Par cette notion, les juges tentent de déjouer toute fraude, et démasquer ceux qui se cachent derrière un simple prête nom.
La notion apparaissant dans de nombreux textes, elle est notamment transposée dans le domaine des procédures collectives, son application est laissée à l’appréciation des circonstances par les juges. C’est justement l’objet de l’arrêt étudié.
Le Code de commerce prévoit, notamment à l’article L 653-1 que lorsqu’une procédure de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire est ouverte, les dispositions du chapitre relatif aux sanctions de faillite personnelle et autres mesures d’interdiction sont applicables :
« 1° Aux personnes physiques exerçant une activité commerciale ou artisanale, aux agriculteurs et à toute autre personne physique exerçant une activité professionnelle indépendante y compris une profession libérale soumise à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé,
2° Aux personnes physiques, dirigeants de droit ou de fait de personnes morales ;
3° Aux personnes physiques, représentants permanents de personnes morales, dirigeants des personnes morales définies au 2° ».
Les dispositions précitées impliquent donc que le dirigeant de fait, s’il est caractérisé, peut, conformément à l’article L653- 8 du Code de commerce, se voir condamner à :
« l’interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, soit toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale, soit une ou plusieurs de celles-ci ».
II – A la base de ce contentieux, une société est mise en liquidation judiciaire, avec désignation d’un tiers liquidateur. Conformément aux textes susmentionnés, le Procureur (sur demande du liquidateur), sollicite que soit prononcée une mesure de faillite personnelle ou d’interdiction de gérer à l’encontre des deux associés :
la gérante personne physique, et associée minoritaire (30 %)
et le représentant personne physique de la société, associée majoritaire (70%).
L’associé indirect, ni mandataire, ni salarié de la société, est condamné à une interdiction de diriger, gérer, administrer, ou contrôler, directement ou indirectement toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole ou toute personne morale, pour une durée de 4 ans, au même titre que la gérante.
Mécontent d’être sanctionné de manière aussi sévère, alors qu’il n’avait aucun mandat dans la société, il contestait la caractérisation de dirigeant de fait, et reposait sa défense sur l’absence d’activité positive, considérant qu’il s’était abstenu d’accomplir les actes en lieu et place de la gérante.
Pourtant, la Cour de cassation rejette le pourvoi, considérant que malgré l’absence de statut de mandataire ou de salarié, l’associé indirect présentait des éléments constitutifs du Dirigeant de fait, savoir :
Qu’il disposait d’une adresse électronique au sein de la société, ce qui n’est nullement justifié par la simple qualité d’actionnaire, même majoritaire, et que, l’étude des échanges intervenus avec la gérante et divers prestataires, révèle que, par ses messages, il avait un « rôle moteur »,
La gérante de droit « lui demandant, non seulement des avis sur toutes les décisions importantes, mais agissant comme sa simple exécutante ». Il décidait, elle agissait.
L’associé indirect s’entretenait directement avec les avocats de la société, des instances en cours et donnait des instructions pour la cession de terrain, la gérante n’intervenant que pour transmettre certains documents, sans que parfois, elle ne soit même informée des sujets importants.
L’associé indirect donnait les consignes de virement pour organiser un voyage de signature d’acte de cession de terrain,
Les différentes interventions de l’associé indirect auprès des salariés et des prestataires extérieures le faisaient apparaitre comme ayant un véritable rôle de décideur.
Par appréciation souveraine des circonstances d’espèces, les juges ont valablement déduit que l’associé indirect était en réalité un dirigeant de fait de la société. Le représentant personne physique d’une société, associée majoritaire, est donc sanctionné à titre personnel.
[1] CA PARIS, 12 janvier 2010, N°09.02887
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