Les conditions de validité de la clause d’échelle mobile

Sylvain VERBRUGGHE
Sylvain VERBRUGGHE

 

La clause d’échelle mobile, qui doit être distinguée de la clause recette[2] et de la clause de surloyer[3], permet une réévaluation régulière et automatique du loyer du bail suivant les variations du prix d’une denrée, d’un service ou d’un indice.

 

Si le principe de la clause d’indexation est admis par le législateur, qui en aménage les effets au travers de l’article L145-39 du code de commerce, et par la jurisprudence[4], son contenu est en revanche, susceptible d’entrainer sa nullité.

 

I – La rédaction de la clause.

 

Les cas de nullité fondée sur la rédaction de la clause d’échelle mobile sont de deux ordres :

 

– D’une part, si la fréquence de variation de la clause peut être librement fixée par les parties, qui peuvent convenir de la faire jouer chaque année, bisannuellement, trisannuellement, …, il est impératif que la période retenue pour déterminer l’évolution indicielle soit au plus égale à la durée qui s’est écoulée entre deux fixations du loyer [5]. En d’autres termes, s’il est possible de prévoir que le loyer augmentera tous les deux ans, suivant l’évolution, lors de la dernière année, de l’indice choisi, il est illicite de convenir que le loyer augmentera chaque année suivant la variation, pendant les deux dernières années, de l’indice choisi[6].

 

– D’autre part, la clause ne doit pas avoir pour objet ou pour effet de déroger aux dispositions de l’article L145-39 du Code de commerce instituant une fixation du loyer à la valeur locative dans le cas où, par le jeu de la clause d’indexation, le loyer a varié de plus d’un quart par rapport au prix précédemment pratiqué. En effet, sur le fondement de l’article L145-15 du même code, la clause contenant une telle stipulation serait nulle.

 

Les cas de dérogation directe à cette disposition ne sont pas fréquents, contrairement aux cas de dérogation indirecte, qui apparaissent en jurisprudence sous la question de la validité  des clauses d’indexation évoluant uniquement à la hausse. Aux termes de ces clauses, l’indexation ne joue pas si l’indice choisi évolue à la baisse. Ces clauses posent une difficulté théorique puisque, par le jeu de la clause d’indexation, le loyer devrait diminuer de plus de 25%, mais la présence de cette stipulation[7] empêche le loyer de varier et corrélativement, de mettre en application l’article L145-39 du Code de commerce, ce qui pourrait constituer une entrave aux dispositions d’ordre public de cet article.

 

La Cour d’appel de Douai a déjà pu invalider ce raisonnement[8], à juste titre selon nous. A cette occasion, les juges du fond ont considéré que la clause d’indexation uniquement à la hausse est « licite et conforme à la liberté contractuelle », même lorsqu’elle soustrait le loyer du domaine d’application de l’article L145-39 du Code de commerce.

 

Il est en effet important de distinguer les clauses dérogeant à l’article L145-39 de celles qui soustraient le bail de son domaine d’application. Dans ces conditions, une clause par laquelle le loyer ne pourra à aucun moment varier de plus de 24% nous semble parfaitement valable : Elle ne contrecarre pas les effets de l’article L145-39, mais le rend inapplicable. La différence est de taille.

 

II – Le choix de l’indice

 

Tout aussi intéressante est cette cause de nullité, puisque l’indice doit être choisi dans le respect des dispositions de l’article L112-2 du CMF :

 

« Dans les dispositions statutaires ou conventionnelles, est interdite toute clause prévoyant des indexations fondées sur le salaire minimum de croissance, sur le niveau général des prix ou des salaires ou sur les prix des biens, produits ou services n’ayant pas de relation directe avec l’objet du statut ou de la convention ou avec l’activité de l’une des parties. Est réputée en relation directe avec l’objet d’une convention relative à un immeuble bâti toute clause prévoyant une indexation sur la variation de l’indice national du coût de la construction publié par l’Institut national des statistiques et des études économiques ou, pour des activités commerciales ou artisanales définies par décret, sur la variation de l’indice trimestriel des loyers commerciaux publié dans des conditions fixées par ce même décret par l’Institut national de la statistique et des études économiques.

Est également réputée en relation directe avec l’objet d’une convention relative à un immeuble toute clause prévoyant, pour les activités autres que celles visées au premier alinéa ainsi que pour les activités exercées par les professions libérales, une indexation sur la variation de l’indice trimestriel des loyers des activités tertiaires publié par l’Institut national de la statistique et des études économiques dans des conditions fixées par décret. »

 

II – 1. Une indexation sur les prix des biens, produits ou services ayant une relation directe avec l’activité de l’une des parties ou l’objet du contrat.

 

Seront nulles toutes clauses comprenant un indice dépourvu de lien direct avec l’activité d’une des parties ou l’objet du contrat.

 

A)   Indexation en corrélation avec l’objet du contrat

 

En matière de bail, l’objet de la convention étant le droit de jouissance d’un immeuble ou d’un local, l’indice de référence pourrait être l’indice de référence ” loyers et charges ” servant à la détermination des indices généraux des prix de détail qui, bien que non valable en matière de loyers d’habitation[9] demeure valable dans le cadre d’un bail commerciale, ou encore l’indice de référence des loyers (IRL)pour la révision des loyers des logements vides ou meublés. Les juges du fond ne s’étant, à notre connaissance, pas penchés sur la question de leur validité, celle-ci demeure très théorique.

 

B)   Indexation en corrélation avec l’activité professionnelle des parties au contrat.

 

Il n’est pas nécessaire que l’indice soit en relation directe avec l’activité principale d’une des parties ni avec un élément prépondérant de l’activité de l’une des parties[10], du moment que l’indice ait un caractère professionnel.

 

Est donc théoriquement valable l’indice fondé :

– sur le salaire d’une catégorie professionnelle déterminée[11] bien que l’indexation sur le Smic ou le niveau général des prix et salaires est illicite ;

– sur le prix des marchandises vendues ou fabriquées par le locataire, tel le pain pour le boulanger ou le kilowattheure pour l’EDF.

 

L’emploi de ces indices doit le plus souvent être déconseillé :

– D’une part, l’appréciation de la licéité de l’indice de référence étant laissée à l’appréciation des juges du fond, celle-ci peut se révéler aléatoire

– D’autre part, les variations de ces indices, surtout si ceux-ci sont fondés sur le coût des matières premières, risquent d’être sans commune mesure avec l’évolution économique, de sorte que l’une des parties ne manquera pas de saisir le juge d’une demande de révision du loyer fondée sur l’article L145-39 du Code de commerce.

 

Pour pallier ce caractère aléatoire, le législateur a retenu plusieurs indices réputés en corrélation avec toute convention relative aux immeubles.

 

II – 2 Les indices réputés en relation directe avec l’objet d’une convention relative à un immeuble bâti.

 

Echappent au contrôle du juge :

 

A)   L’Indice du Coût de la Construction publié par l’INSEE (ICC)

 

Il doit être différencié des autres indices du coût de la construction :

– Celui publié par la Fédération nationale du bâtiment BT 01;

– Celui publié par la section centrale des architectes;

qui ne bénéficient pas de la présomption d’adéquation,  et qui ne peuvent en toutes hypothèses être utilisés que dans les domaines où l’une des parties a une activité de constructeur, le fait que la convention soit un bail étant insuffisant[12].

 

L’indice INSEE du coût de la construction est réputé en relation directe avec tout contrat relatif à un immeuble bâti, et ne peut donc encourir la nullité.

 

B)   L’Indice des loyers commerciaux (ILC)

 

Cet indice a été créé afin de palier les variations excessives de l’indice ICC publié par l’INSEE. Il est composé pour partie des prix à la consommation, de l’indice INSEE du Cout de la construction et de l’indice du chiffre d’affaire du commerce de détail.

 

Afin de le rendre valable, l’article L112-2 prohibant toute clause fondé sur le niveau général des prix, la loi n°2008-776 du 4 aout 2008 a modifié l’article L112-2 du CMF, de sorte que l’indice des loyers commerciaux est réputé en relation directe avec l’objet de la convention lorsqu’il s’inscrit dans le cadre d’une activité commerciale ou artisanale. Réciproquement, puisque sa licéité provient exclusivement de son insertion expresse dans le texte de l’article L112-2 du CMF, utiliser les indices le composant (notamment le niveau général des prix) en référence exclusive de la clause d’indexation s’avérera être une mauvaise idée que le juge ne manquera pas de sanctionner…

 

L’utilisation de l’ILC n’est cependant pas réputée en relation direct avec l’objet d’un contrat concernant une activité commerciale exercée dans des locaux à usage exclusif de bureaux, plateformes logistiques et activités industrielles[13].

 

L’ILC ne peut donc être utilisée dans un bail dont le preneur est en profession libérale, sans exposer la clause du bail contenant cet indice au prononcé par le juge de la nullité de cette clause.

 

C)   L’indice des loyers des activités tertiaires (ILAT)

 

Introduite par la loi n°2011-525 du 17 mai 2011, l’ILAT est constitué de 3 indices :

– Les prix à la consommation ;

– L’ICC

– Le produit intérieur brut en valeur

 

L’ILAT a vocation à être appliquée aux activités exclues par l’article D112-2 (ancien) du CMF relatif à l’ILC et répute en relation directe avec l’objet d’une convention relative à un immeuble, l’utilisation de cet indice, dès lors que l’activité des parties relève de la catégorie des professions libérales et des entrepôts logistiques[14].

 

L’indice utilisé dans un bail conclu avec un preneur en profession libérale pourra donc être l’ICC ou l’ILAT. En revanche, l’utilisation de l’ILAT comme indice de référence dans un contrat de bail conclu à raison d’une activité commerciale pourra permettre au juge d’apprécier la validité de la clause se référant à cet indice.

 

III – Conséquence de la nullité de la clause contenant un indice illicite.

 

Même si les parties ont pris soin, dans leur contrat, de stipuler que l’application de la clause d’échelle mobile est déterminante, et que sa non application entraine la nullité du bail, la jurisprudence refuse de prononcer cette nullité, en ayant recours à la notion de fraude à la loi[15] puis à la violation du droit au renouvellement du locataire (Article L145-15 du Code de commerce)[16]. Seule la clause du bail sera nulle, lorsque la référence à l’indice déterminé est illicite.

 

De plus, le juge ne dispose pas du pouvoir de remplacer l’indice par un autre, et de valider par là même la clause d’indexation, d’où l’intérêt pour le bailleur, lorsqu’il souhaite utiliser des indices « non conventionnels » au sein de clauses d’indexation, de prévoir un indice subsidiaire[17] (ou plusieurs ?[18]), applicable au cas où le premier viendrait à disparaître ou à être annulé, l’indice de remplacement, véritable roue de secours, devant bien évidement être l’un de ceux réputés conforme à l’objet du contrat et l’activité des parties !

 

Sylvain VERBRUGGHE

Vivaldi-Avocats



[1] Cf Lamy Droit Commercial 2012 – Partie 2 Baux commerciaux

[2] 3ème civ, 5 janvier 1983, n°80-12108

[3] 3ème civ, 14 juin 1983, n°81-12764

[4] 3ème civ, 2 juin 1977, n°76-13199, Bull civ III n°241

[5]Article L112-1 alinéa 2 du Code de commerce.

[6] Mais sur la question de la validité des clauses d’indexation du loyer à indice de base fixe, cf notre article

[7] Une évolution du loyer uniquement à la hausse

[8] CA DOUAI, ch2 sect2, 21 janvier 2010, n°08/08568

[9] Article L112-1 alinéa 3 du CMF

[10] 3ème civ, 15 février 1972, n°70-13280

[11] Même arrêt

[12] 3ème civ, 2 février 1982, Inédit

[13] Article D112-2 du CMF ancien

[14] Article D112-2 du CMF nouveau

[15] 3ème civ, 6 juin 1972, n°71-11279

[16] 3ème civ, 9 juillet 1973, n°72-12660

[17] En ce sens, 3ème civ, 9octobre 1984, n°83-10383

[18] A condition d’être ordonnés pour éviter toute confusion.

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