La date de la perte de la qualité d’associé en cas d’exclusion.

Eléonore CATOIRE
Eléonore CATOIRE - Avocat

Source : Cour d’Appel de PARIS – 19 Octobre 2021, N°19/14402

 

Ainsi, l’associé exclu, qui n’a pas encore été payé du rachat forcé de ses titres, conserve-t-il ses droits ?

 

I – En principe, tout associé a le droit de rester dans la société sans être contraint de vendre ses titres sociaux. Il bénéficie de ce qu’on appelle « le droit au maintien de la qualité d’associé ».

 

Il existe cependant deux exceptions, qui reposent sur des dispositions légales ou statutaires. Par exemple, le législateur prévoit certaines hypothèses dans lesquelles l’associé peut être contraint de céder ses actions, notamment quand il manque à ses obligations, ou lorsque la survie de la société le requiert en cas de redressement judiciaire.

 

Cela étant, des clauses spécifiquement inclues dans les statuts peuvent aussi prévoir, outre le retrait volontaire, l’exclusion d’un associé par le rachat forcé de ses titres.

 

En effet, le Code de commerce prévoit à l’article L227-16 que :

 

« Dans les conditions qu’ils déterminent, les statuts peuvent prévoir qu’un associé peut être tenu de céder ses actions.

 

Ils peuvent également prévoir la suspension des droits non pécuniaires de cet associé tant que celui-ci n’a pas procédé à cette cession ».

 

La validité de la clause d’exclusion est alors soumise au respect de plusieurs conditions imposant de fixer, avec précision, les conditions de l’exclusion permettant d’éviter toute décision arbitraire : l’organe compétent, les motifs potentiels d’exclusion, et la procédure à respecter.

 

Bien qu’il n’ait pas le droit d’imposer la présence de son avocat à ses côtés le jour même des délibérations, l’associé concerné par la résolution d’exclusion n’est pas privé de son droit de vote. Il conserve le droit de participer à la décision et de voter sur la proposition liée à son exclusion, à défaut de quoi il pourra en solliciter la nullité.

 

Conformément à l’article 1843-4 du Code Civil, si les statuts ne prévoient pas de modalité de détermination du prix, ou en cas de contestation, un expert, désigné par les parties ou par le juge compétent, fixe le prix.

 

La jurisprudence[1] a par ailleurs d’ores et déjà considéré qu’en l’absence de dispositions statutaires spécifiques, les titres sont évalués par l’expert à la date la plus proche du rachat effectif, et non à la date de l’exclusion de l’associé.

 

Cette décision des juges du quai de l’horloge laissait déjà présager de la réponse à la question posée dans le cas d’espèce, à savoir : à quelle date un associé exclu perd-il véritablement la qualité d’associé ?

 

Il s’agissait de déterminer si la perte de la qualité d’associé intervenait :

 

  A la date du retrait ou de l’exclusion. L’associé retrayant étant alors considéré comme un créancier vis-à-vis de la société.

 

  A la date de l’indemnisation effective de ses titres.

 

II – A la base de ce contentieux, l’assemblée générale d’une SAS décide, conformément à ses dispositions statutaires, la révocation de son Président, et son exclusion en qualité d’associé.

 

Ce dernier accepte de signer un protocole transactionnel relatif à la détermination du prix de cession de ses actions, mais s’estimant floué a posteriori, il revendique, la nullité de cet accord contractuel considérant entre autres griefs, avoir été victime d’une « triple erreur de droit ».

 

L’une d’entre elle consistait dans le fait qu’il pensait avoir conclu cet accord en tant qu’associé, alors qu’il en aurait en réalité perdu cette qualité dès la décision d’exclusion. Il développe un argumentaire selon lequel il serait devenu simple titulaire d’une créance sur la société, qui ne pouvait refuser de la payer puisqu’ils étaient tombés justement d’accord sur son montant.  Il y avait donc vice du consentement eu égard à l’erreur qu’il alléguait.

 

La question qui s’est posée auprès des juges était de déterminer :

 

  Si la simple exclusion entrainait la perte de la qualité d’associé/actionnaire, avec un véritable transfert de propriété automatique des actions de ce dernier,

 

  Ou si l’associé exclu conservait temporairement cette qualité, et dans l’affirmative, jusqu’à quand ?

 

III – La Cour d’Appel de Paris est limpide sur la réponse apportée à cette problématique.

 

Elle a débouté l’associé exclu de sa demande de nullité sur ce point précisément, considérant l’erreur de droit comme non établie, car à ses yeux, l’associé exclu n’est pas un simple créancier de la société, il demeure temporairement associé.

 

En effet, la Cour a considéré :

 

  Compte tenu de l’article L227-16 du Code de commerce applicable aux SAS :

 

« il se déduit de ces dispositions que la décision d’exclusion n’opère pas de transfert de propriété des actions de l’actionnaire concerné ».

 

C’est-à-dire qu’au jour du vote de l’exclusion, l’associé ne perd pas automatiquement la propriété de ses titres, ce transfert n’apparait que plus tard.

 

  Compte tenu des statuts de la SAS, il résultait que « l’actionnaire exclu doit céder la totalité de ses actions dans le délai de 60 jours à compter de l’exclusion aux autres actionnaires au prorata de leur participation au capital» à un prix fixé d’un commun accord avec les parties, et à défaut dans les conditions prévues à l’article 1843-4 du Code civil.

 

Par voie de conséquence, la décision d’expulsion par ses coassociés n’emportait pas perte de la qualité d’actionnaire.

 

« C’est donc à juste titre que les intimés arguent qu’à la date de signature de la transaction, la valeur de ses droits sociaux ne lui ayant pas été remboursés, M.Y était encore actionnaire de la société (…) ».

 

En conclusion, outre les précisions apportées par les statuts, spécifiques au cas d’espèce, les juges parisiens déduisent de l’article 227-16 précité, que l’actionnaire exclu conserve sa qualité jusqu’au remboursement effectif de ses droits sociaux.

 

Cet arrêt confirme la jurisprudence de la Cour de cassation d’ores et déjà confirmée en matière de société civile, et l’applique aux sociétés par actions.

 

En effet la première chambre civile avait déjà considéré que l’exclusion de l’associé d’une société civile ne peut le priver de sa qualité d’associé qu’à compter du remboursement de ses droits sociaux[2].

 

Cet arrêt s’inscrit également dans le prolongement de celui de la Cour de cassation[3] qui précisait qu’un associé exclu d’une SAS, qui s’était vu suspendre l’exercice de ses droits non pécuniaires conformément à l’alinéa 2 de l’article L227-16 du Code de commerce, jusqu’à la cession de ses actions, était sans incidence sur la conservation de sa qualité d’associé.

 

[1] Cass. Com 16 septembre 2014, N°13-17.807

 

[2] Cass.1ère Civ, 28 septembre 2016, N°15-18.482

 

[3] Cass. Com, 16 septembre 2014 – N°13-17.807

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