Usage professionnel du produit défectueux : la victime doit se conformer au carcan législatif des articles 1245 et suivants du Code civil

Sylvain VERBRUGGHE
Sylvain VERBRUGGHE

 

SOURCE : 1ère civ, 11 janvier 2017, n°16-11726, FS – P+B+I

 

L’article 1245-6 du Code civil (ancien article 1386-7), issu de la transposition de la directive 1985 85/374/CEE du 25 juillet 1985 a fait peser la responsabilité du fait des produits défectueux sur le seul producteur, à l’exclusion des organes de vente.

 

Ce n’est que si ce dernier n’est pas identifié que la responsabilité du vendeur peut être engagée, à moins qu’il n’indique à la victime, dans un délai de trois mois, l’identité du producteur ou de celui qui lui a fourni le produit. En d’autres termes, sauf à ce que l’identité du producteur demeure inconnue, la responsabilité du vendeur professionnel non-fabricant ne peut être recherchée pour les dommages causés par le défaut de sécurité du produit, sans que la victime ne puisse se retrancher derrière d’autres dispositions ayant la même finalité, puisque ce dispositif « exclut l’application d’autres régimes de responsabilité contractuelle ou extracontractuelle de droit commun fondée sur le défaut d’un produit qui n’offre pas la sécurité attendue » [2].

 

Il en résulte que la victime ne peut rechercher la responsabilité du fabricant sur le fondement de l’obligation de sécurité-résultat de l’article 1147 du Code civil (article 1231-1 nouveau), pas d’avantage que celle du vendeur sur le fondement de la responsabilité du fait des produits défectueux. Pour ce dernier, elle pourra que choisir d’autres fondements, comme la responsabilité pour faute ou la garantie des vices cachés[3].

 

Un arrêt de la 1ère chambre civile de la Cour de cassation du 17 mars 2016 semblait toutefois distinguer le produit de consommation du produit à usage professionnel :

 

« Mais attendu que, si le régime de la responsabilité du fait des produits défectueux qui ne sont pas destinés à l’usage professionnel ni utilisés pour cet usage n’exclut pas l’application d’autres régimes de responsabilité contractuelle ou extracontractuelle, c’est à la condition que ceux-ci reposent sur des fondements différents de celui d’un défaut de sécurité du produit litigieux, telles la garantie des vices cachés ou la faute (…) ».

 

Une lecture stricte de la motivation de cet arrêt conduisait le lecteur à considérer que le professionnel pouvait s’extraire du carcan législatif des articles 1245-1 et suivants du Code civil (ancien articles 1386-1 et suivants) pour les défauts de sécurité d’un produit à usage professionnel[4] : qu’il pourrait continuer de bénéficier du régime jurisprudentiel français de la responsabilité du fait des produits reposant sur l’obligation de sécurité-résultat.

 

Par son arrêt du 17 mars 2016, voué à une large publication, la Première chambre civile de la Cour de cassation dénonce cette interprétation, et interdit à la victime de rechercher la responsabilité du vendeur directement sur le fondement du défaut de sécurité du produit à usage professionnel.

 

En l’espèce, trois camions d’une société de transport routier prennent feu. L’expert conclut que ce sont les essieux, défectueux, qui sont à l’origine du sinistre.

 

La société de transport assigne le fabriquant et le vendeur des essieux ainsi que le vendeur des camions sur les fondements des articles 1386-1 du code civil, de l’obligation de sécurité résultat du produit de l’article 1147 et en garantie des vices cachés de l’article 1641.

 

La Cour d’appel de Grenoble retient la responsabilité du fabriquant sur le fondement de la responsabilité des produits défectueux, mais exclut celle des vendeurs, qu’elle met hors de cause.

 

La société de transport se pourvoi en cassation.

 

Dans son premier moyen, pris en ces trois premières branches, elle soutenait que la directive, et les dispositions légales qui la transposent, sont inapplicables à la réparation des dommages causés à une chose destinée à l’usage professionnelle, ce qui l’autorise à engager la responsabilité du vendeur sur le fondement de l’obligation de sécurité-résultat de l’article 1147 du Code civil.

 

La Cour de cassation confirme effectivement que, selon l’arrêt du 4 juin 2009 rendu par la CJCE[5], « (…) la réparation des dommages causés à une chose destinée à l’usage professionnel et utilisée pour cet usage ne relève pas du champ d’application de la directive (…) ». Mais elle distingue les dommages causés aux biens professionnels, des dommages causés par des biens professionnels, en précisant, pour la première fois à notre connaissance, que ces derniers entrent dans le champ d’application de la directive à l’instar des produits à usage non professionnelle.

 

Dans ce contexte, la responsabilité du fabricant peut être retenue sur le fondement des articles 1245 et suivants lesquels corrélativement, excluent la responsabilité des vendeurs sur le fondement du défaut de sécurité des produits.

 

La Cour de cassation indique en outre que le caractère professionnel du produit n’avait pas été évoqué devant les premiers juges au soutient de la demande de la société de transports, mais que cela est sans importance : le moyen aurait de toute façon était inopérant du seul fait de la condamnation du fabricant au titre du défaut du produit.

 

La Haute juridiction rejette donc les trois premières branches du moyen, mais accueille favorablement la quatrième, et considère que la Cour d’appel de Grenoble aurait dû rechercher si les vendeurs n’avaient pas engagé leur responsabilité sur le fondement de la garantie des vices cachés.

 

En effet, le régime de la responsabilité du fait des produits défectueux n’exclut pas l’application d’autres régimes de responsabilité contractuelle ou extracontractuelle reposant sur des fondements différents[6].

 

Sylvain VERBRUGGHE

Vivaldi-Avocats 



[1] 1ère civ, 17 mars 2016, n°13-18876, Publié au Bulletin

[2] Cass. com., 26 mai 2010, n° 08-18.545 : JurisData n° 2010-007167

[3] Même arrêt

[4] David BAKOUCHE, Régime autre que celui des articles 1386-1 et suivants du Code civil : condition, Responsabilité civile et assurances n°5, Mai 2016, comm 158

[5] CJCE, 4 juin 2009, aff 285/08, moteurs Leroy Somer,

[6] Cass. 1e civ. 10-12-2014 no 13-14.314 F-PB  et l’arrêt du 17 mars 2016 préc.

 

 

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