Dans les sociétés civiles, les associés doivent se réunir au moins une fois par an, à l’initiative des gérants. A défaut, tout associé peut, après une vaine mise en demeure, saisir le Tribunal Judiciaire aux fins d’obtenir la désignation d’un Mandataire ad hoc qui se substituera à la carence du gérant. Mais quelle est la Juridiction compétente ? Attention aux statuts qui peuvent diriger l’associé dans une impasse judiciaire
- Cass. 3ème Civ. 28 mai 2025, n°23.20.769, FS – B
I –
Le litige soumis à la 3ème Chambre Civile opposait un associé de société civile à la gérance qui, bien que régulièrement mis en demeure, tardait à convoquer l’Assemblée Générale d’approbation des comptes.
Nous savons que dans les sociétés civiles, les associés doivent être réunis au moins une fois par an. C’est à cette occasion que les comptes sont présentés et qu’un débat peut naître sur la rentabilité de la société, ou même la conformité de certaines opérations par rapport à l’intérêt social.
Quand les associés en sont au stade de la mise en demeure, on peut déjà affirmer que la mésentente entre associés est consommée. En général, le ou les associés non-gérant reprochent au gérant une administration autocratique de la société dans son propre intérêt à l’inverse du gérant qui reproche à ses associés un pointillisme de mauvais aloi.
Certains gérants ont alors la tendance d’éviter tout débat en ne convoquant pas l’Assemblée Générale.
Ce blocage institutionnel est traité à l’article 39 du décret n°78-704 du 03 juillet 1978 sur les sociétés civiles (ci-après : « le Texte »), ainsi repris :
« Un associé non-gérant peut à tout moment, par lettre recommandée, demander au gérant de provoquer une délibération des associés sur une question déterminée.
Si le gérant fait droit à la demande, il procède, conformément aux statuts, à la convocation de l’assemblée des associés ou à leur consultation par écrit. Sauf si la question posée porte sur le retard du gérant à remplir l’une de ses obligations, la demande est considérée comme satisfaite lorsque le gérant accepte que la question soit inscrite à l’ordre du jour de la prochaine assemblée ou consultation par écrit.
Si le gérant s’oppose à la demande ou garde le silence, l’associé demandeur peut, à l’expiration du délai d’un mois à dater de sa demande, solliciter du président du tribunal de grande instance, statuant en la forme des référés, la désignation d’un mandataire chargé de provoquer la délibération des associés ».
On relèvera que le Texte ne vise pas obligatoirement l’Assemblée Ordinaire Annuelle qui doit se tenir dans les six mois de la clôture de l’exercice précédent[1], mais également sur toute question qu’un associé souhaitait mettre à l’ordre du jour d’une Assemblée à convoquer.
Rappelons, en effet, que par différence avec les sociétés commerciales dans lesquelles le droit à information, dans le silence des statuts ou d’un pacte extrastatutaire est assez limité, prévoit un droit à information et à copie permanent et illimité, conformément à l’article 48 du décret de 1978 précité ainsi repris :
« En application des dispositions de l’article 1855 du code civil, l’associé non-gérant a le droit de prendre par lui-même, au siège social, connaissance de tous les livres et documents sociaux, des contrats, factures, correspondance, procès-verbaux et plus généralement de tout document établi par la société ou reçu par elle.
Le droit de prendre connaissance emporte celui de prendre copie.
Dans l’exercice de ces droits, l’associé peut se faire assister d’un expert choisi parmi les experts agréés par la Cour de cassation ou les experts près une cour d’appel ».
Ainsi, un audit diligenté avec l’aide d’un Expert agréé pourrait-il susciter des questions, notamment sur la conformité de certaines opérations, lesquelles pourraient être, sans nul doute, débattues en Assemblée Générale. Dans de telles hypothèses, la réponse du gérant est celle de l’autruche.
Il reste alors à l’associé de solliciter de la Juridiction compétente la désignation d’un Mandataire ad hoc, c’est-à-dire d’un tiers commis par le Juge, avec mission de convoquer une Assemblée Générale conformément aux demandes de l’associé, avec cette précision tout de même que le Mandataire se contente de convoquer et que les droits d’expression et de vote restent entre les mains des associés, lesquels ne sont évidemment pas, par cette procédure, dessaisis de leurs pouvoirs politiques.
II –
Devant quelle Juridiction la demande doit-elle être présentée ?
La difficulté à l’origine de ce litige, qui est allé jusqu’à la Cour de Cassation, tient au fait que les statuts de la société avaient intégré la possibilité, pour un associé, de saisir le Juge des référés d’une telle demande. Ce que d’ailleurs, le Conseil de l’associé avait fait avec un certain succès en première instance, comme en appel. La Cour de Cassation censure la Cour d’Appel au motif que le Juge des référés était incompétent pour statuer sur une telle demande, la procédure entrant dans les pouvoirs exclusifs du Président statuant selon la procédure accélérée au fond.
Trois leçons sont à tirer de cette erreur d’aiguillage qui a coûté beaucoup de temps et d’argent, vraisemblablement, à notre associé malheureux :
- La première est que la procédure accélérée au fond s’impose, même en présence de dispositions contraires dans les statuts. Elle présente un caractère d’ordre public ;
- La saisine de Président selon la forme accélérée au fond est la seule procédure envisageable. Il faut, bien entendu, exclure selon les enseignements de la décision commentée, le Président qui statue en référé, mais également la Juridiction du fond avec, peut-être, une exception lorsque cette demande de désignation d’un Mandataire ad hoc s’inscrit en accessoire à une demande principale qui, elle, relèverait de la compétence des Juridictions du fond ;
- Saisir le Juge des référés conduit à souffrir d’une Ordonnance d’irrecevabilité.
Même si la Doctrine, à raison d’ailleurs, souligne la cohérence de cette décision par rapport au Texte, on ne peut que regretter qu’à la faveur des diverses réformes, un même Juge, c’est-à-dire le Président de la Juridiction qui, en lui-même, est une Juridiction autonomie, puisse être saisi de façon différente (et pour être encore plus complet, en référé, en procédure accélérée au fond ou en rétractation d’Ordonnance rendue à l’insu, c’est-à-dire sans débat contradictoire). Ne serait-il pas opportun d’homogénéifier les conditions de saisine de la Juridiction présidentielle et d’attribuer au Président des pouvoirs distincts en fonction de la demande qui est présentée ?
Cela éviterait tout débat par trop technique sur le distinction opérant entre compétence et pouvoir juridictionnel, notion à ce point délicate à appréhender que même la Cour de Cassation erre dans ses motivations[2].
Attention avant d’agir, oubliez la rédaction des statuts et fiez-vous uniquement au Texte en saisissant le Président de la Judiciaire dans le cadre de la procédure accélérée au fond qui agit d’ailleurs, normalement, dans les mêmes conditions de délais que le Juge des référés, mais selon des dispositions différentes[3].
[1] Article 24 du décret n°85-295 du 1er mars 1985
[2] Ainsi, par exemple, Cass. 1ère Civi. 18 décembre 2019 n° 18-25.721, le Président du Tribunal Judiciaire, statuant selon cette procédure est le seul compétent pour statuer sur la demande et, à contrario, Cass. 1ère Civ. 09 avril 2014 n° 12-35.270 ou Cass. Com. 07 mars 2018 n° 16-25.197, la demande relève de son seul pouvoir juridictionnel
[3] Il s’agira ici de l’article 481-1 du Code de Procédure Civile