Une commune décide d’abroger le plan d’occupation des sols, puis, de conserve avec le Préfet, établit une nouvelle norme d’urbanisme, une carte communale distinguant suivant le caractère constructible ou non.
Antérieurement, des sociétés s’étaient vus autoriser, sur la base de l’ancien Plan d’occupation des sols et dans le cadre d’un important projet de promotion immobilière, à lotir un terrain.
Les sociétés de promotion immobilière ont ainsi saisi le Tribunal administratif d’un recours plein contentieux, aux fins d’être indemnisées.
Aux termes d’un jugement en date du 13 mars 2007, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté leur demande, par un arrêt du 23 décembre 2008.
De la même façon, la cour administrative d’appel de Bordeaux a rejeté l’appel formé par la société d’aménagement du domaine de Château Barrault et la société Château Barrault contre ce jugement ainsi que leurs conclusions tendant à la condamnation de la commune de Cursan à verser à titre de dommages et intérêts la somme de 13 720 000 euros à la société d’aménagement du domaine de Château Barrault et la somme de 1 500 000 euros à la société Château Barrault, celle-ci ayant limité à ce dernier chiffre sa demande indemnitaire en appel.
Le Conseil d’Etat a rendu un premier arrêt de cassation en 2012 et a renvoyé devant la Cour administrative d’appel autrement composée.
Ce n’est qu’au terme d’une longue et sinueuse procédure que le Conseil d’Etat s’est trouvé à nouveau saisi avec, cette fois, la nécessité de se prononcer sur le fond et d’apporter une décision définitive, en droit et en fait.
Le Conseil d’Etat a estimé « que s’il était loisible à la commune de décider, en 2005, d’abroger le plan d’occupation des sols tel que révisé en 1987 et d’approuver, conjointement avec le préfet, une carte communale procédant au classement de terrains en zone naturelle non constructible pour le motif d’intérêt général tiré de la préservation du caractère rural de cette zone, l’approbation de cette carte a eu, en l’espèce, pour effet, en procédant au classement en zone inconstructible de la totalité des terrains dont la société d’aménagement du domaine de Château-Barrault est propriétaire, d’amoindrir la valeur vénale de sa propriété, laquelle occupe une partie substantielle du territoire de la commune, et de compromettre définitivement ses projets d’aménagement ».
Dans ces conditions, le Conseil d’Etat considère que « les dispositions ainsi adoptées doivent être regardées comme ayant fait peser sur cette société, qui a été seule affectée par ce classement, une charge spéciale et exorbitante, hors de proportion avec l’objectif d’intérêt général poursuivi ».
Il s’agit, en substance, d’une reprise de solution dessinée depuis la Jurisprudence Bitouzet (CE, sect., 3 juill. 1998, n° 158592) selon laquelle l’article. 160-5 du Code de l’Urbanisme. « ne fait pas obstacle à ce que le propriétaire dont le bien est frappé d’une servitude prétende à une indemnisation dans le cas exceptionnel où il résulte de l’ensemble des conditions et circonstances dans lesquelles la servitude a été instituée et mise en œuvre, ainsi que de son contenu, que ce propriétaire supporte une charge spéciale et exorbitante, hors de proportion avec l’objectif d’intérêt général poursuivi ».
L’arrêt est donc en cohérence avec les données positives du droit.
Deux circonstances particulières à l’arrêt méritent enfin d’être relevées.
En premier lieu, le Conseil d’Etat conclut à un partage de responsabilité, estimant que la carte communale avait été « approuvée conjointement par le conseil municipal et par le préfet, les préjudices en résultant sont de nature à engager la responsabilité conjointe de la commune et de l’État à son égard » :
« L’Etat et la commune de Cursan sont déclarés responsables à parts égales de la moitié des préjudices subis par la société d’aménagement du domaine de Château Barrault et résultant du montant des dépenses exposées en pure perte pour la réalisation de l’opération d’aménagement envisagée et de la perte de la valeur vénale des terrains dont elle est propriétaire »
En second lieu, le Conseil d’Etat fait choix de ne pas fixer le quantum l’indemnisation, et de renvoyer à la détermination par un expert :
« il sera, avant de statuer sur les conclusions de la société d’aménagement du domaine de Château Barrault tendant à la condamnation de l’Etat et de la commune de Cursan à lui verser une indemnité en réparation des préjudices subis du fait de la modification, en 2005, des règles d’urbanisme applicables dans la commune, procédé par un expert, désigné par le président de la section du contentieux du Conseil d’Etat ».
Le choix d’une mesure expertale apparaît cohérent, compte tenu de la complexité financière de ce dossier. Par ailleurs, on pointe souvent une tendance du juge administratif à minorer le chiffrage des préjudices imputables à l’Etat ; le fait de renvoyer à un tiers peut être source d’apaisement et de transparence.
D’un autre côté, une telle décision retarde encore l’effectivité de l’indemnisation.
S’agissant d’une instance introduite depuis dix ans, le Conseil d’Etat n’œuvre pas dans le sens de la célérité de la justice dont on sait qu’il a fait l’un de ses objectifs prioritaires.
Stéphanie TRAN
Vivaldi-Avocats