Résiliation annuelle des contrats assurance-emprunteur : conformité à la Constitution

Thomas LAILLER
Thomas LAILLER

 

Source : Cons. const., décision n°2017-685, QPC du 12 janvier 2018

 

I – Le texte

 

L’article L.313-30 du Code de la consommation, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2017-203 du 21 février 2017, ainsi que le paragraphe V de l’article 10 de cette même loi permettent à un assuré emprunteur de résilier tous les ans un contrat d’assurance de groupe, y compris les contrats en cours au 1er janvier 2018, en adressant à l’assureur une lettre recommandée au moins deux mois avant la date d’échéance.

 

II – L’avènement du texte

 

A l’émission d’une offre de prêt, il est fréquent que l’emprunteur se voit proposer la souscription d’un contrat d’assurance, garantissant l’établissement de crédit en cas de décès ou invalidité de l’emprunteur. En pratique, il s’agit le plus souvent d’un contrat d’assurance de groupe.

 

Le législateur a souhaité ouvrir davantage la concurrence en matière d’assurance-emprunteur. La loi n°2010-737 du 1er juillet 2010 portant réforme du crédit à la consommation, dite loi « Lagarde », a ainsi instauré un principe de « déliaison » entre le prêt immobilier et l’assurance-emprunteur. Les établissements de crédit devaient donc laisser leurs clients choisir le contrat d’assurance. La loi n°2014-344 du 17 mars 2014, dite loi « Hamon », a permis de changer de contrat dans l’année suivant la souscription du prêt, sous réserve que le nouveau contrat offre des garanties équivalentes au prêteur.

 

La jurisprudence s’est alors interrogée sur le fait de savoir s’il était également possible de faire jouer le droit commun des assurances, soit la faculté annuelle de résiliation visée à l’article L.113-12 du Code des assurances. La Cour de cassation a refusé une telle possibilité[1], dans une décision abondement commentée. La solution a été largement critiquée, au regard de la philosophie poursuivie par la loi Hamon.

 

Le législateur est donc intervenu, d’abord dans le cadre de l’adoption de la loi Sapin 2 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique. Un amendement a été déposé pour permettre à l’emprunteur de « résilier le contrat tous les ans […] et procéder à sa substitution […] ». Par une décision n°2016-741 DC du 8 décembre 2016, le Conseil constitutionnel a censuré cette disposition de la loi. Celle-ci n’avait aucun lien avec une loi relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique.

 

C’est finalement la loi n°2017-203 du 21 février 2017 qui a introduit le principe du droit à la résiliation annuelle de l’assurance-emprunteur. Celui-ci est désormais visé par l’article L. 313-30 du Code de la consommation.

 

III – La critique du texte

 

Une question prioritaire de constitutionnalité a été transmise par le Conseil d’État en octobre 2017[2], saisi par la Fédération bancaire française, rejointe notamment par des assureurs. Ils considéraient que le législateur affectait le contexte juridique et économique dans lequel évoluent les assureurs proposant des contrats assurance-emprunteur. Il en résulterait une atteinte à une situation légalement acquise et aux effets pouvant en être légitimement attendus.

 

Le nouveau texte instituerait un déséquilibre manifeste entre les engagements de l’assuré et ceux de l’assureur. Le premier pourra rechercher le meilleur prix chaque année, tandis que le second devra garantir son engagement pour toute la durée du prêt, sans pouvoir résilier ou modifier son tarif en cas d’aggravation du risque ou de déséquilibre technique du contrat.

 

Les risques d’effets pervers du système avaient été dénoncés, en ce qu’il résultera un effet de démutualisation poussée des contrats groupe proposés par les bancassureurs, au détriment des emprunteurs âgés ou présentant des risques de santé, avec à terme le risque que certains d’entre eux ne puissent pas concrétiser leur projet immobilier.

 

Par ailleurs, en prévoyant l’application de ces dispositions aux contrats en cours, une atteinte serait également portée au droit au maintien de l’économie des conventions légalement conclues.

 

Le Conseil constitutionnel écarte ces griefs. Il rappelle les évolutions successives apportées à ce droit et en déduit que la modification contestée de l’article L.313-30 du Code de la consommation ne constitue aucunement une atteinte à la garantie des droits et aux situations légalement acquises. Le Conseil considère en outre que l’application de ces dispositions aux contrats en cours, justifiée par la protection des consommateurs et un meilleur équilibre contractuel entre l’assuré et les établissements bancaires et leurs partenaires assureurs, répond à un objectif d’intérêt général.

 

En outre, les dispositions contestées n’ont pas pour effet d’entraîner directement la résiliation de contrats en cours, mais seulement d’ouvrir aux emprunteurs une faculté annuelle de résiliation.

 

Le texte est donc déclaré conforme à la Constitution. La (trop ?) pleine concurrence des assurances emprunteurs immobiliers est désormais bien ouverte.

 

Thomas LAILLER

Vivaldi-Avocats  


[1] Cass. civ. 1ère, 9 mars 2016, n°15-18.899

[2] CE 6 oct. 2017, n°412827

 

 

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