Quand un chef cuisinier étoilé – mais surendetté – ne peut pas se permettre de gagner le SMIC…

Thomas LAILLER
Thomas LAILLER

 

 

Source : CA Douai, 8ème ch., 2ème sect., 21 janv. 2016, RG n°15/03423

 

Cette décision est intéressante car elle aborde la question de la bonne foi du débiteur, une des conditions générales de recevabilité d’une demande de traitement d’une situation de surendettement des particuliers, mais dans une espèce sortant quelque peu de l’ordinaire.

 

Un débiteur doit faire face à un passif assez conséquent (392.640 €), et pour espérer sortir de ses difficultés financières, sollicite une commission de surendettement. Celle-ci recommande l’ouverture d’un rétablissement personnel sans liquidation judiciaire.

 

Un créancier forme un recours devant le tribunal d’instance, estimant que le débiteur est de mauvaise foi. Le juge d’instance,  statuant en matière de surendettement des particuliers, vérifie la caractérisation d’une situation irrémédiablement compromise, mais aussi la bonne foi du débiteur, conditions essentielles d’éligibilité aux procédures de surendettement des particuliers selon l’article L.330-1 du Code la consommation. Il confirme la recommandation de la commission de surendttement.

 

Un appel est interjeté par le même créancier.

 

Le constat de la Cour d’appel de Douai est sans équivoque : le débiteur déclare un revenu mensuel de 1.294,35 €, sans rapport avec ses compétences. En effet, le débiteur est un cuisinier professionnel âgé de 42 ans, s’avérant être un chef de grand renom ayant déjà travaillé aux côtés d’autres grands chefs « multi-étoilés » (Bernard LOISEAU entre autres). Il s’avère également que le débiteur a déjà eu l’occasion d’œuvrer dans plusieurs lieux prestigieux (le restaurant parisien « La Tour d’Argent », l’hôtel « le Bristol », l’Elysée, l’ambassade d’Angleterre). La cour d’appel relève également que ses compétences lui ont permis, entre autres, d’obtenir une étoile au guide Michelin dès l’âge de 29 ans, et d’obtenir une notation de 16/20 au guide Gault et Millau.

 

Au vu de ce parcours hors normes, la cour d’appel considère que la faiblesse des ressources du débiteur ne peut résulter que d’une démarche volontaire de sa part, faute d’autre explication rationnelle. Pour la juridiction, c’est sciemment que le débiteur s’est placé dans une situation de précarité, en se contentant d’un salaire dérisoire et sans rapport avec ses compétences, sa réputation et son relationnel, lesquels devraient lui permettre de prétendre à des revenus bien plus conséquents de nature à permettre d’apurer son passif, même partiellement.

 

Elle en déduit que c’est donc volontairement que le débiteur s’abstient de faire le nécessaire pour obtenir une rémunération en phase avec ses capacités professionnelles. Au regard de l’article L.330-1 du Code de la consommation précité, la cour d’appel estime que la mauvaise foi du débiteur est caractérisée en l’espèce. Par conséquent, elle infirme le jugement du tribunal d’instance, et déclare le débiteur irrecevable en sa demande de traitement de sa situation de surendettement.

 

La décision de la Cour d’appel de Douai ne peut être que saluée, car elle écarte ainsi toute instrumentalisation des procédures de surendettement dans le seul but d’échapper à un passif considérable.

 

L’esprit des textes est sauvegardé : il faut différencier le débiteur malheureux imprudent du débiteur de mauvaise foi, qui organise frauduleusement son insolvabilité, après avoir créée ou aggravé sciemment un endettement excessif (train de vie somptuaire par exemple).

 

Le Code la consommation présume la bonne foi du débiteur. Il faut donc en pratique démontrer la mauvaise foi du débiteur, qui doit avoir un lien de causalité avec l’état d’endettement. Les critères d’appréciation sont divers et relèvent de la casuistique : caractère nécessaire ou somptuaire des dépenses, niveau socioprofessionnel ou culturel du débiteur, événements personnels affectant le débiteur (perte d’emploi, maladie, décès d’un proche etc.).

 

La jurisprudence est pléthorique sur la question, et caractérise le plus souvent une mauvaise foi confinant à une fraude (fausse déclaration, dissimulation de ressources, souscription frauduleuse ou sur la base de déclarations mensongères de nombreux crédits etc.), ou à tout le moins une légèreté fautive.

 

Par exemple, un débiteur a été également jugé de mauvaise foi parce qu’il bénéficiait de la retraite de son épouse invalide et hébergée par un Etablissement d’Hébergement pour Personnes Âgées et Dépendantes (EHPAD), percevait une aide au logement qu’il conservait également, le tout sans régler les frais d’hébergement[1]

 

C’est finalement le comportement global du débiteur qui est analysé, et gare aux impostures…

 

Thomas LAILLER

Vivaldi-Avocats

 


[1] CA Riom, 10 févr. 2016, RG n°15/01548

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