Prescription de l’action en responsabilité personnelle d’un gérant de société civile immobilière en cas de faute séparable de ses fonctions.

Eléonore CATOIRE
Eléonore CATOIRE - Avocat

En l’absence de disposition dérogatoire, l’action en responsabilité délictuelle contre un gérant de société civile (immobilière en l’occurrence) se prescrit selon les modalités du droit commun.

Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 14 novembre 2023, 21-19.146, Publié au bulletin

I –

L’article 1850 du Code civil encadre le régime juridique de la responsabilité des gérants de sociétés civiles en ces termes :

«  Chaque gérant est responsable individuellement envers la société et envers les tiers, soit des infractions aux lois et règlements, soit de la violation des statuts, soit des fautes commises dans sa gestion.

Si plusieurs gérants ont participé aux mêmes faits, leur responsabilité est solidaire à l’égard des tiers et des associés. Toutefois, dans leurs rapports entre eux, le tribunal détermine la part contributive de chacun dans la réparation du dommage »

Il résulte donc que leur responsabilité ne peut être retenue à l’égard d’un tiers que s’ils ont commis une « faute séparable de leurs fonctions ».

Cette notion est définie par la jurisprudence de la Cour de cassation comme celle commise intentionnellement par le dirigeant, d’une particulière gravité, incompatible avec l’exercice normal des fonctions sociales (C.Cass, Com, 20 mai 2003, N°99.17.092).

Par exemple, constitue une faute séparable de ses fonctions :

  • L’infraction pénale intentionnelle du dirigeant (C.Cass, com, 28 septembre 2010, N°09.66.255).
  • L’omission de la déclaration de créance au passif d’une société faisant l’objet d’une procédure collective lorsque cette société fait parti d’un groupe de société (C.Cass, com, 27 mai 2014, N°12.28.657)

II –

Aux prémices de ce contentieux, une SCI a fait évaluer par un notaire un immeuble lui appartenant, et l’a vendu, par le truchement d’un second notaire, à une SAS.

La difficulté dans cette affaire est que :

  • L’immeuble aurait été surévalué par rapport au prix du marché,
  • La SAS est placée quelques temps plus tard en liquidation judiciaire.
  • Les deux sociétés sont représentées par un même dirigeant personne physique.

Le liquidateur désigné par la procédure collective conteste évidemment l’évaluation faite par le premier notaire, et invoque diverses manœuvres dolosives commises par le dirigeant. Il l’assigne alors, es qualité de gérant de la SCI, avec le premier notaire en charge de l’évaluation, en paiement de dommages et intérêts sur le fondement de la responsabilité civile délictuelle.

Il engageait la responsabilité personnelle du gérant de la SCI au nom et pour le compte de la SAS, et ainsi donc en qualité de tiers. Il fallait nécessairement caractériser une faute du gérant, séparable de ses fonctions.

Le dirigeant poursuivi invoque une fin de non-recevoir tirée de la prescription de l’action, argument qui ne trouve pas écho dans l’oreille des juges du fond, qui le condamnent in solidum avec le notaire, à payer au liquidateur judiciaire de la SAS, plus de sept cent mille euros au titre de la réparation du préjudice lié à la surévaluation de l’immeuble. Les juges répartissent même la part contributive de chacun (75% pour le dirigeant, 25% pour le notaire).

III –

Le dirigeant mécontent se pourvoit en cassation pour contester cette décision, en se fondant sur l’article L223-23 du Code de commerce, applicable aux SARL, qui précise :

« Les actions en responsabilité prévues aux articles L. 223-19 et L. 223-22 se prescrivent par trois ans à compter du fait dommageable ou, s’il a été dissimulé, de sa révélation. Toutefois, lorsque le fait est qualifié crime, l’action se prescrit par dix ans. »

La Cour d’Appel a relevé :

  • en premier lieu que les consentements réciproques des sociétés cocontractantes (SCI et SAS) dépendaient d’une même personne physique, qu’elles ne pouvaient donc s’exprimer que par l’intermédiaire de ce dernier.
  • ensuite qu’en prenant la décision de vendre l’immeuble à la SAS, à un prix qu’il savait surévalué par rapport aux prix du marché, le dirigeant a commis une faute dolosive, laquelle justifie l’engagement de sa responsabilité civile envers la SAS.
  • Enfin, qu’en matière de SCI il n’existe pas de dispositions dérogatoires à la prescription de droit commun.

C’est ainsi que pour déclarer l’action recevable, fondée sur une responsabilité délictuelle, les juges ont, en l’absence de dispositions dérogatoires applicables aux sociétés civiles, appliqué strictement l’ancien article 1382 du Code Civil lequel était soumis à la prescription quinquennale de l’article 2224 du Code Civil.

Le texte applicable aux SARL est écarté par les juges de la Haute Cour, qui appliquent donc strictement les dispositions de droit commun.

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