Caractérisation de l’existence d’un contrat de travail du gérant d’une EURL

Christine MARTIN
Christine MARTIN - Avocat associée

SOURCE : Arrêt de la Chambre Sociale de la Cour de Cassation du 22 janvier 2020, n°17-13.498 (F – D)

 

La filiale française d’une holding allemande a été immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Tours le 12 septembre 2007, la gérante de cette société, désignée à cette fonction le 27 août 2007 étant une salariée pressentie pour le poste de Directrice Administrative et Commerciale.

 

De fait, la gérante signait le 18 septembre 2007 avec la société, représentée par le représentant légal de la holding associée unique, un contrat de travail à durée indéterminé lui confiant le poste de Directrice Administrative et Commerciale.

 

Le contrat de travail stipulait en son article 2 que la salariée exercerait sous l’autorité de la Direction de la holding les fonctions principales de définition, mise en place et application de la politique commerciale et marketing de la société.

 

Était annexé au contrat de travail un protocole de subordination prévoyant que la salariée avait besoin du consentement préalable du conseil de direction de la holding pour les actions telles que la politique commerciale, les investissements, le financement, le personnel, les contrats litiges et actions diverses.

 

La gérante de l’EURL a été révoquée de son mandat le 6 mai 2014 par une décision de l’associé unique, puis par lettre du 9 mai 2014 elle a été convoquée à un entretien préalable à son licenciement fixé le 19 mai 2014, la société précisant qu’elle l’avait convoquée pour éviter toute contestation ultérieure, qu’elle contestait expressément son statut de salariée et l’existence réelle du contrat de travail signé le 18 septembre 2007.

 

Par lettre du 28 mai 2014, la société rappelait à la salariée les motifs de la révocation de son mandat de gérante, lesquels justifiaient également le licenciement qui lui était notifié pour faute grave, tout en contestant son statut de salariée et la qualification juridique du contrat de travail signé le 18 septembre 2007.

 

En suite de cette décision, la salariée a saisi la juridiction Prud’homale de diverses demandes de rappel de salaires et d’indemnités.

 

Saisi du litige, la Cour d’Appel d’Orléans, dans un arrêt du 20 décembre 2016, va relever que les cartes des secteurs commerciaux établissaient que la salariée avait un secteur commercial qui lui était dédié et que des courriels établissaient que celle-ci rendait compte de son activité au représentant légal de la personne morale associée, lequel, entre autres, approuvait les plans des ventes, déterminait le nombre de salariés du Service Commercial ainsi que le budget marketing.

 

La Cour d’Appel en déduit qu’il résulte de l’ensemble de ces éléments que la salariée avait exercé des fonctions spécifiques de direction administrative et commerciale, distinctes de son mandat de gérante, qui impliquaient des compétences techniques particulières en matière commerciale et qu’elle avait en charge, outre le suivi des commerciaux, un secteur géographique dédié et qu’en outre elle avait exercé ses fonctions sous la subordination de l’unique actionnaire de la société auprès de laquelle elle devait solliciter et obtenir l’autorisation avant de prendre certaines décisions, comme le prévoyait le contrat de travail, alors qu’elle disposait par ailleurs de pouvoirs étendus dans l’exercice de son mandat social.

 

La Cour d’Appel relève également qu’aucune rémunération autre que celle prévue au contrat de travail ne lui avait été versée au titre du mandat social.

 

Par suite, la Cour d’Appel estime qu’il est suffisamment démontré l’existence d’un contrat de travail entre la salariée et la société.

 

Estimant le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, elle alloue donc à la salariée l’ensemble des indemnités découlant de ses demandes.

 

En suite de cette décision, la société forme un pourvoi en cassation.

 

A l’appui de son pourvoi, elle relève un ensemble de griefs à l’encontre de l’arrêt d’Appel, parmi lesquels :

 

  Le Président de la société holding, qui avait signé le contrat de travail de la salariée, ne bénéficiait pas d’une délégation de pouvoirs à cet effet,

 

  Le fait que le Président de la société holding dispose d’un mandat apparent pour engager la société vis-à-vis de son gérant dans la conclusion d’un contrat de travail était un moyen soulevé d’office par la Cour, laquelle n’avait pas invité les parties à produire leurs observations à ce sujet,

 

  Il n’était pas établi que le Président de la holding avait pouvoir de procéder à l’embauche réalisée pour le compte de la société,

 

  Les fonctions techniques distinctes du mandat social dans un lien de subordination à l’égard de la société n’étaient pas établies,

 

  L’existence d’un contrat de travail auquel était annexé un protocole de subordination n’était pas suffisant pour déduire l’existence d’un lien de subordination de la salariée à l’égard de la filiale.

 

Mais la Haute Cour ne va pas suivre l’employeur dans son argumentation.

 

Soulignant que la Cour d’Appel avait constaté que l’intéressée assurait le suivi des commerciaux et avait un secteur commercial dédié, qu’elle rendait compte de son activité au représentant de l’associé unique et devait obtenir son autorisation avant de prendre certaines décisions, elle considère que la Cour d’Appel a pu en déduire que la salariée avait exercé des fonctions techniques de Direction Administrative et Commerciale distinctes de son mandat de Gérante dans un lien de subordination à l’égard de la société de sorte qu’elle avait ainsi caractérisé l’existence d’un contrat de travail et légalement justifié sa décision.

 

Par suite, la Haute Cour rejette le pourvoi.

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