Pour mémoire, le Conseil d’Etat avait saisi la CJUE d’une question préjudicielle [1] sur la question suivante :
” Des prélèvements fiscaux sur les revenus du patrimoine (…), présentent-ils, du seul fait qu’ils participent au financement de régimes obligatoires français de sécurité sociale, un lien direct et pertinent avec certaines des branches de sécurité sociale énumérées à l’article 4 du règlement du 14 juin 1971 (…)et entrent-ils ainsi dans le champ de ce règlement ‘ “.
Cette question s’inscrit dans le cadre d’un débat récurrent qui oppose la France aux non-résidents de l’Union européenne qu’ils soient français ou étrangers.
Ainsi, dans deux arrêts rendus en 2000[2], la Cour de justice avait examiné si deux contributions sociales françaises (à savoir la contribution sociale généralisée – « CSG » – et la contribution pour le remboursement de la dette sociale – « CRDS ») pouvaient être prélevées sur les revenus d’activité et de remplacement[3] de travailleurs qui, bien que résidant en France, étaient soumis à la législation de sécurité sociale d’un autre État membre (en général parce qu’ils exerçaient une activité professionnelle dans ce dernier État). La Cour a jugé que les deux contributions en cause présentaient un lien direct et suffisamment pertinent avec la sécurité sociale, du fait qu’elles avaient pour objet spécifique et direct de financer la sécurité sociale française ou d’apurer les déficits du régime général de sécurité sociale français. Elle en a conclu que, s’agissant des travailleurs concernés, le prélèvement de ces contributions était incompatible tant avec l’interdiction du cumul des législations applicables en matière de sécurité sociale (Règlement n° 1408/71)[4] qu’avec la libre circulation des travailleurs et la liberté d’établissement.
Dans l’affaire examinée, le Conseil d’Etat demandait à la CJUE si ce raisonnement s’appliquait également lorsque les contributions en cause étaient perçues non pas sur les revenus d’activités et de remplacement, mais sur les revenus du patrimoine. Pour l’analyse des divergences opposant les non-résidents à la France, il a renvoyé à l’article mis en ligne par Chronos le 27 novembre 2014[5].
Dans son arrêt, la Cour déclare que l’interdiction de cumul édictée par le règlement n’est pas subordonnée à l’exercice d’une activité professionnelle et s’applique donc indépendamment de l’origine des revenus perçus par la personne concernée.
La décision rendue par la Cour était attendue, notre Ministre de l’Economie ne se faisait d’ailleurs aucune illusion sur la position qu’adopterait la Cour en la matière.
Il s’agit désormais, de tirer les conséquences pratiques de cette décision en droit français.
1) Quelles sont les personnes concernées par la décision ?
Il s’agit en fait :
– des non-résidents de nationalité française ou étrangère de l’Union européenne ; ou
– des résidents français (de nationalité française ou étrangère) qui travaillent dans un pays de l’Union européenne.
2) Quels sont les revenus concernés par la décision ?
Il s’agit sans distinction possible des revenus du patrimoine, c’est-à-dire :
– des gains et revenus immobiliers (plus-values de cession et revenus fonciers) ; mais également
– des gains et revenus mobiliers (plus-values de cession et dividendes)
3) Dans quel Etat doit-on payer ses charges sociales ?
Il faut pour cela se référer à l’article 14 du Règlement CE 1408/71, ainsi repris en extrait :
« 2) La personne qui exerce normalement une activité salariée sur le territoire de deux ou plusieurs États membres est soumise à la législation déterminée comme suit :
a)(…) Il s’agit du personnel roulant ou naviguant
b) la personne autre que celle visée au point a) est soumise :
i) à la législation de l’État membre sur le territoire duquel elle réside, si elle exerce une partie de son activité sur ce territoire ou si elle relève de plusieurs entreprises ou de plusieurs employeurs ayant leur siège ou leur domicile sur le territoire de différents États membres ;
ii) à la législation de l’État membre sur le territoire duquel l’entreprise ou l’employeur qui l’occupe a son siège ou son domicile, si elle ne réside pas sur le territoire de l’un des États membres où elle exerce son activité ;
3) la personne qui exerce une activité salariée sur le territoire d’un État membre dans une entreprise qui a son siège sur le territoire d’un autre État membre et qui est traversée par la frontière commune de ces États est soumise à la législation de l’État membre sur le territoire duquel cette entreprise a son siège ».
4)Peut-on payer des charges sociales dans plusieurs pays de l’UE ?
La réponse est non.
Vous ne payez vos charges sociales que dans un seul Etat qui est déterminé au regard des critères posés à l’article 2,3 et 14 du Règlement CEE1408.
Peu importe à cet égard :
– que vous exerciez une activité salariée sur plusieurs territoires d’Etats membres de l’UE ;
– que vous perceviez des revenus du patrimoine (mobiliers et immobiliers) sur plusieurs territoires d’Etats membres de l’UE.
5)Je n’ai aucun revenu soumis aux charges sociales sur mon territoire de résidence, dois-je payer la CSG/CRDS sur mes revenus du patrimoine en France ?
La réponse est oui.
Le Règlement CEE interdit que des charges sociales soient prélevées sur une même personne par plusieurs Etats membres de l’UE.
Dans une telle hypothèse, le pays de résidence ne prélevant aucune charge sociale, les cotisations CSG/CRDS restent donc dues en France sur les revenus du patrimoine.
6)Une petite partie de mes revenus mondiaux soumis aux charges sociales est perçue sur mon lieu de résidence, alors que l’essentiel de mes revenus provient de la gestion de mon patrimoine immobilier et mobilier en France. Dans quel pays dois-je payer mes cotisations sociales ?
Selon l’article 14-2 du Règlement CEE, les charges sociales ne sont prélevées que par l’Etat de résidence de sorte que les revenus du patrimoine perçus en France ne seront pas soumis à la CSG/ CRDS.
Attention toutefois à « l’optimisation sociale » si vous générez artificiellement une activité soumise à charge sur votre lieu de résidence dans le seul but d’échapper à la CSG/CRDS en France, vous tombez pour l’instant sous le coup de l’article L64 du LPF[6] (abus de droit fiscal). Mais vraisemblablement par la suite, si le gouvernement tire les conséquences de la décision rendue par la CJUE : l’article L243-7-2 du code de la sécurité sociale[7] deviendra applicable en lieu et place du LPF. En effet, si jusqu’à présent, les juridictions françaises, Conseil constitutionnel en tête, qualifiaient la CSG/CRDS d’impôt, la qualification de charge sociale par la Cour devrait normalement attribuer le contrôle et le contentieux dans ce domaine aux administrations et juridictions sociales.
Il faut donc suivre avec attention l’évolution jurisprudentielle ou plus vraisemblablement législative qui interviendra en suite de cette décision.
7)J’ai payé à tort de la CSG/CRDS en France, alors que je suis par ailleurs assujetti social sur mon lieu de résidence situé sur un autre territoire de l’UE ; puis-je en obtenir le remboursement et comment ?
La réponse est oui.
Une réclamation doit être portée devant les services des impôts compétents. A ce titre, pour les non-résidents la réclamation doit être envoyée aux services des impôts de Noisy-le-Grand. Pour rappel, le droit français considère, à tort, que la CSG/CRDS payée par un non-résident sur ses revenus du patrimoine est un impôt.
A ce titre, l’administration applique, en matière de prescription liée à toute contestation dans le domaine, l’article L169-1 du Code général des impôts, ainsi repris en extrait :
« Pour être recevables, les réclamations relatives aux impôts autres que les impôts directs locaux et les taxes annexes à ces impôts, doivent être présentées à l’administration au plus tard le 31 décembre de la deuxième année suivant celle, selon le cas :
a) De la mise en recouvrement du rôle ou de la notification d’un avis de mise en recouvrement ; »(…)
Cependant, l’arrêt rendu par la CJUE, de par la requalification qu’elle apporte à la CSG/CRDS, remet en question l’opportunité d’utilisation de l’article R196-1 du CGI qui ne concerne que les contestations liées à l’impôt.
Par conséquent, une passerelle devrait être effectuée au profit de l’article L243-6 du code de la sécurité sociale qui concerne les réclamations liées aux cotisations sociales et qui prévoit un délai de réclamation de trois ans au profit du contribuable :
« I. – La demande de remboursement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales indûment versées se prescrit par trois ans à compter de la date à laquelle lesdites cotisations ont été acquittées. »(…)
Il reste, maintenant, à savoir si l’administration tirera tous les conséquences de cette requalification et augmentera le délai offert aux contribuables pour contester une imposition d’une année.
8)L’administration fiscale est-elle compétente pour effectuer un contrôle et un redressement de la CSG/CRDS sur les revenus du patrimoine d’un non-résident ?
L’article 1600-0S du CGI instaurait une passerelle permettant à l’Administration fiscale de contrôler, et rectifier les cotisations CSG/CRDS et assimilées au titre des revenus du patrimoine. La qualification de charge sociale donnée par la CJUE va radicalement changer la donne. En effet l’article 350 terdecies[8] du Code général des impôts fixe les contours et les limites liés à la compétence des agents de l’Administration fiscale en matière de contrôles et de redressements fiscaux.
De manière globale, les compétences sont larges et variées. Néanmoins, le texte législatif ne prévoit pas d’attribution en faveur des agents de l’Administration fiscale dans le domaine des cotisations sociales.
Cette absence fâcheuse pourrait, à terme, entrainer l’annulation de l’ensemble des redressements formés par l’Administration fiscale dans ce domaine.
Cette carence législative devrait, par conséquent, contraindre l’Etat à rembourser l’ensemble des cotisations sociales recouvrées par son administration fiscale sur la base d’un redressement fiscal depuis trois ans.
Ainsi, l’Etat va devoir rapidement réformer son corps législatif en profondeur en attribuant de nouvelles compétences à ses agents de l’Administration fiscale.
9)A l’heure actuelle, quel organe administratif serait le plus à même de contrôler et redresser les non-résidents sur la CSG/CRDS qu’ils payent en France ?
L’article L213-1 du Code de la sécurité sociale[9] dispose que l’URSSAF est compétente pour recouvrer les cotisations et contributions sociales dues par les employés et les personnes exerçant des professions libérales, artisanales, industrielles et commerciales.
Ces dispositions législatives attestent que l’URSSAF jouit de la compétence législative pour assurer le contrôle et le recouvrement de ces cotisations sociales y compris pour les non-résidents.
Néanmoins, ces compétences posent en pratique des difficultés importantes :
comment l’URSSAF va-t-elle récupérer les litiges liés au recouvrement de la CSG/CRDS opéré par l’Administration fiscale ? L’URSSAF peut-elle reprendre les redressements en cours ou doit-elle former de nouveaux contentieux ?
L’ensemble de ces questions devra, très prochainement, être tranché par les tribunaux saisis par les non-résidents désireux de récupérer la CSG/CRDS payée à tort sur les revenus de leur patrimoine français.
Conclusion
Finalement, cette décision s’inscrit dans le processus de construction européenne, visant à limiter les entraves à la libre circulation des personnes au sein de l’UE. En ce sens, on peut saluer une décision qui met fin à une pratique injuste qui obligeait certains administrés à financer un système sociale qui ne leur profitait pas.
Néanmoins, l’arrêt place les administrés dans une position délicate puisque l’on ignore, a l’heure actuelle, quelles seront les conséquences factuelles de la requalification opérée par la CJUE.
Par ailleurs, budgétairement, il convient de souligner que cette décision va contraindre l’Etat français à trouver de nouvelles sources de financement, visant à combler le manque à gagner engendré par la requalification estimé à 50M€.
Enfin, à titre anecdotique, une telle qualification met fin au projet de fusion entre l’IR et la CSG/CRDS programmé par le gouvernement français.
Éric DELFLY
Vivaldi Avocats
Avec la collaboration de
David-Alexis MENNESSON
[1] CE 10ème et 9ème sous-section réunies 17/07/2013 numéro 334551 retour au texte]
[2] Arrêts de la Cour du 15 février 2000, Commission c/ France (affaires C-34/98 et C-169/98, voir CP n° 9/00).retour au texte]
[3] Les « revenus d’activité et de remplacement » recouvrent les salaires, pensions et allocations de chômage retour au texte]
[4] Règlement (CEE) n° 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l’application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et à leur famille qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté (JO L 149, p. 2), dans sa rédaction modifiée et mise à jour par le règlement (CE) n° 118/97 du Conseil, du 2 décembre 1996 (JO 1997, L 28, p. 1) et à nouveau modifiée par le Règlement n° 1992/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 18 décembre 2006 (JO L 392, p. 1).retour au texte]
[5] cf notre article du 27 novembre 2014, Prélèvements sociaux sur les revenus et gains immobiliers des non-résidents. retour au texte]
[6] « Afin d’en restituer le véritable caractère, l’administration est en droit d’écarter, comme ne lui étant pas opposables, les actes constitutifs d’un abus de droit, soit que ces actes ont un caractère fictif, soit que, recherchant le bénéfice d’une application littérale des textes ou de décisions à l’encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n’ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d’éluder ou d’atténuer les charges fiscales que l’intéressé, si ces actes n’avaient pas été passés ou réalisés, aurait normalement supportées eu égard à sa situation ou à ses activités réelles. »(…) retour au texte]
[7]« Afin d’en restituer le véritable caractère, les organismes mentionnés aux articles L. 213-1 et L. 752-1 sont en droit d’écarter, comme ne leur étant pas opposables, les actes constitutifs d’un abus de droit, soit que ces actes aient un caractère fictif, soit que, recherchant le bénéfice d’une application littérale des textes à l’encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n’aient pu être inspirés par aucun autre motif que celui d’éluder ou d’atténuer les contributions et cotisations sociales d’origine légale ou conventionnelle auxquelles le cotisant est tenu au titre de la législation sociale ou que le cotisant, s’il n’avait pas passé ces actes, aurait normalement supportées, eu égard à sa situation ou à ses activités réelles. »(…) retour au texte]
[8] (…) III. Les fonctionnaires mentionnés au premier alinéa du I et compétents territorialement pour procéder aux contrôles visés à l’article L. 47 du livre des procédures fiscales d’une personne physique ou morale ou d’un groupement peuvent exercer les attributions définies à cet alinéa pour l’ensemble des impositions, taxes et redevances, dues par ce contribuable, quel que soit le lieu d’imposition ou de dépôt des déclarations ou actes relatifs à ces impositions, taxes et redevances. (…) retour au texte]
[9] L’article L213-1 du Code de la sécurité sociale : Des unions de recouvrement assurent : (…)
2° Le recouvrement des cotisations d’allocations familiales dues par les employeurs et membres des professions libérales ;
3° Une partie du recouvrement des cotisations et contributions sociales dues par les employeurs et les personnes exerçant les professions artisanales, industrielles et commerciales, dans les conditions prévues aux articles L. 133-6-2 (…) retour au texte]