Petit guide âne sur les conclusions du rapporteur public

Stéphanie TRAN
Stéphanie TRAN

 

CE, sect., 21 juin 2013, req. n° 352427

 

 

L’importance du rôle du rapporteur public devant les juridictions de l’ordre administratif est connue.

 

Anciennement dénommés Commissaires du gouvernement, on leur doit parmi les plus belles pages du droit administratif. Il n’est que de se rappeler les Conclusions de Léon Blum précédant l’arrêt du Conseil d’état du 26 juillet 1918 « Epoux Lemonnier c. Commune de Roquecourbe ».

 

En même temps qu’il a rebaptisé les commissaires en rapporteur public – dénomination moins connotée d’ordre public – le décret du 7 janvier 2009 a officialisé le droit d’obtenir la communication du sens des conclusions avant l’audience Les articles R. 711-3 et R. 712-1 du CJA prévoient depuis l’entrée en vigueur, le 1er février 2009, du nouveau dispositif, que « si le jugement de l’affaire doit intervenir après le prononcé de conclusions du rapporteur public, les parties ou leurs mandataires sont mis en mesure de connaître, avant la tenue de l’audience, le sens de ces conclusions sur l’affaire qui les concerne ». Et, pour  rendre effectif ce droit, il est prévu que l’avis d’audience « mentionne également les modalités selon lesquelles les parties ou leurs mandataires peuvent prendre connaissance du sens des conclusions du rapporteur public […] ».

 

Cette réforme de janvier 2007 codifie donc une pratique ancienne devant le Conseil d’Etat mais plus récente devant les autres juridictions administratives, c’est-à-dire devant les Tribunaux administratifs et les Cours administrative d’appel.

 

Selon Jean-Marc SAUVE, cette réforme a eu « un impact pratique très important en promouvant les échanges avec les parties » (J.-M. SAUVE, Le juge administratif face au défi de l’efficacité – Retour sur les pertinents propos d’un Huron au Palais-Royal et sur la « critique managériale », RFDA 2012 p. 613).

 

Concrètement, l’avocat a donc la faculté d’obtenir – en quelque sorte en « avant-première » – une indication sur le sens de la décision à intervenir. : le « sens des conclusions » du rapporteur public est mis en ligne la veille de l’audience sur le site internet SAGACE et, grâce aux codes qui figurent sur le bulletin d’audience adressé par le greffe, il est possible de les consulter.

 

Toutefois, il convient de rappeler que les conclusions n’ont qu’une valeur consultative et il n’est pas si rare que la juridiction ne « suive » pas le sens des conclusions du rapporteur public.

 

Dans un arrêt récent du 21 juin 2013, le Conseil d’état est venu préciser, de façon pédagogique, le régime juridique applicable aux conclusions du rapporteur public.

 

L’arrêt est en premier lieu riche d’information sur l’étendue de la mission du rapporteur public : « le rapporteur public, qui a pour mission d’exposer les questions que présente à juger le recours sur lequel il conclut et de faire connaître, en toute indépendance, son appréciation, qui doit être impartiale, sur les circonstances de fait de l’espèce et les règles de droit applicables ainsi que son opinion sur les solutions qu’appelle, suivant sa conscience, le litige soumis à la juridiction à laquelle il appartient, prononce ses conclusions après la clôture de l’instruction à laquelle il a été procédé contradictoirement ».

 

Ce rôle fondamental, préparatoire à la décision, doit toutefois être distingué de l’instruction elle-même et ne s’insère pas dans le strict cadre du contradictoire. C’est ainsi que le Conseil d’Etat précise que « l’exercice de cette fonction n’est pas soumis au principe du caractère contradictoire de la procédure applicable à l’instruction ; qu’il suit de là que, pas plus que la note du rapporteur ou le projet de décision, les conclusions du rapporteur public – qui peuvent d’ailleurs ne pas être écrites – n’ont à faire l’objet d’une communication préalable aux parties ; que celles-ci ont en revanche la possibilité, après leur prononcé lors de la séance publique, de présenter des observations, soit oralement à l’audience, soit au travers d’une note en délibéré ; qu’ainsi, les conclusions du rapporteur public permettent aux parties de percevoir les éléments décisifs du dossier, de connaître la lecture qu’en fait la juridiction et de saisir la réflexion de celle-ci durant son élaboration tout en disposant de l’opportunité d’y réagir avant que la juridiction ait statué ».

 

Dans cet arrêt du 21 juin 2013, la promotion d’un échange avec les parties, voulue par le Vice Président du Conseil d’état Jean-Marc SAUVE semble clairement au cœur de la description du rôle du rapporteur public.

 

L’arrêt est en outre riche d’instructions en ce qu’il éclaire la notion de « sens des conclusions ».

 

C’est d’abord le principe du droit des parties de connaître ces dernières qui est évoqué « les parties ou leurs mandataires doivent être mis en mesure de connaître, dans un délai raisonnable avant l’audience, l’ensemble des éléments du dispositif de la décision que le rapporteur public compte proposer à la formation de jugement d’adopter, à l’exception de la réponse aux conclusions qui revêtent un caractère accessoire, notamment celles qui sont relatives à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ».

 

Le conseil d’état ne manque par ailleurs pas de rappeler que « cette exigence s’impose à peine d’irrégularité de la décision rendue sur les conclusions du rapporteur public ».

 

La sanction de cette exigence était déjà connue en jurisprudence. Avant même la réforme de 2007, c’est-à-dire à l’époque où cette exigence résultait seulement de la pratique, le Conseil d’Etat avait décidé que s’il est établi qu’une demande préalable en ce sens a été formée par la partie intéressée la décision finalement intervenue était irrégulière (CE 26 avr. 2006, Daubernard, req. n° 265039: Lebon. T. 1024). De même, une décision a été jugée irrégulière faute de communication préalable par le greffe du code permettant l’accès à l’application SAGACE de l’avocat, alors que celui-ci établit avoir effectué une démarche complémentaire en ce sens, restée sans réponse (CE 2 févr. 2011, Mme Marchesini, req. n° 330641).

 

Cette exigence d’une faculté de consulter le sens des conclusions du rapporteur public est absolue. Un arrêt de la Cour administrative d’appel de PARIS de 2010 a en effet décidé que le rapporteur public doit communiquer le sens de ses conclusions, même si sa position n’est pas arrêtée (CAA PARIS 29 juin 2010 n° 09PA02821)[1].

 

Le rapporteur public doit donc rendre disponible le sens de ses conclusions quand bien même celles-ci sont indéterminés. Et, en cas de modification du sens des conclusions lors de l’audience, il lui appartient d’informer préalablement la partie en ayant reçu auparavant communication à sa demande ; ce défaut d’information, préalablement à l’audience, sur le changement des sens des conclusions est sanctionné par l’irrégularité du jugement, quand bien même la partie concernée a pu produire une note en délibéré (CE 5 mai 2006, Sté” Mullerhof, req. n° 259957: Lebon 232).

 

Le régime juridique du « sens des conclusions » du rapporteur public mérite donc d’être connu en ce que sa méconnaissance est de nature à invalider la décision finalement intervenue.

 

C’est enfin les termes de l’obligation de motivation du rapport qui sont précisées dans l’arrêt du 21 juin 2013 : « il appartient au rapporteur public de préciser, en fonction de l’appréciation qu’il porte sur les caractéristiques de chaque dossier, les raisons qui déterminent la solution qu’appelle, selon lui, le litige, et notamment d’indiquer, lorsqu’il propose le rejet de la requête, s’il se fonde sur un motif de recevabilité ou sur une raison de fond, et, de mentionner, lorsqu’il conclut à l’annulation d’une décision, les moyens qu’il propose d’accueillir ; que la communication de ces informations n’est toutefois pas prescrite à peine d’irrégularité de la décision ».

 

 

Stéphanie TRAN

VIVALDI Avocats

 

 

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