Source : Cass. Soc. 4 novembre 2020 n°18-24.451 et autres
En l’espèce, des salariés de nationalité polonaise ont été mis à disposition de deux entreprises spécialisées dans les travaux publics par une société de travail temporaire de droit chypriote pour exercer une activité salariée sur le chantier de construction des réacteurs nucléaires de la nouvelle génération sur le site de FLAMANVILLE.
Les salariés ne bénéficiaient pas de certificats E101 ou A1, retirés par l’institution compétente de l’État Chypriote et la société de travail temporaire de droit chypriote n’a pas procédé aux déclarations auprès des organismes de sécurité sociale français.
Les salariés saisissent la juridiction prud’homale de demandes d’indemnités pour travail dissimulé et sollicitent que leur situation soit régularisée.
Ils demandent également que la solidarité financière de la société de travaux publics soit engagée et qu’elle soit condamnée au paiement d’une indemnité forfaitaire.
Condamnée, l’entreprise utilisatrice se pourvoit devant la Cour de Cassation, et conteste que l’entreprise de travail temporaire ait exercé un travail dissimulé,
Elle soutient :
S’agissant de la législation applicable et du travail dissimulé :
Qu’au sens du droit de l’Union, la législation applicable en matière de droit du travail est celle du siège social de l’employeur, soit le droit chypriote puisque les salariés exercent leur activité dans au moins deux Etats membres pour le compte d’employeurs différents.
Que le régime du détachement ne pouvait être appliqué et qu’à supposer que le régime du détachement soit applicable, le certificat E101 délivré par l’institution désignée par l’autorité d’un Etat membre et son retrait ne démontre pas le défaut d’affiliation du travailleur détaché au régime de sécurité sociale de l’Etat membre dans lequel son employeur a son siège social.
Elle avance également que l’immatriculation d’une société étrangère dépourvue de siège en France ne s’impose qu’autant qu’existe un établissement en France et donc une activité stable ; qu’en l’occurrence, la société de travail temporaire n’a pas d’activité stable.
Sur ce point, la Cour de Cassation rappelle la jurisprudence de la CJUE et les différents règlements relatifs à l’application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés / non-salariés qui se déplacent à l’intérieur de la communauté, aux règlements propres à la coordination des systèmes de sécurité sociale.
Elle ajoute que les situations de travail détaché et d’exercice normal d’une activité salariée dans deux ou plusieurs états membres font exception à la règle générale selon laquelle c’est la législation de l’Etat d’exercice de l’activité salariée qui a vocation à s’appliquer.
Elle énonce que l’institution désignée vérifie si une situation de détachement est caractérisée en sorte que la législation applicable est celle de l’Etat membre de l’institution ou détermine en cas d’activité salariée dans deux ou plusieurs états membres, la législation applicable.
Ainsi, l’institution dans le cadre d’une situation de détachement est celle de l’Etat où l’employeur exerce normalement son activité.
Lorsqu’il s’agit d’une activité salariée dans deux ou plusieurs Etats membres, cette institution est celle de l’Etat membre de résidence de la personne concernée, désignée par l’autorité compétente de cet Etat membre.
La Haute Cour déduit qu’en l’absence de certificat E101 / A1 provenant d’un refus de délivrance ou d’un retrait par l’institution compétente, seule la législation de l’Etat membre dans lequel s’exerce l’activité salariée s’applique.
Cette conclusion ajoute la Cour de Cassation ne laisse aucun doute raisonnable au regard de toute difficulté d’interprétation ou de divergence de jurisprudence au sein de l’Union de sorte qu’il n’y a pas lieu de saisir la CJUE d’une question préjudicielle.
La Haute Cour approuve en conséquence la décision de la Cour d’Appel qui a retenu à juste titre constatant :
– L’exécution par les salariés mis à disposition d’une activité salariée sur le territoire français
– Le retrait des certificats A/E101 par l’Institution chypriote
Que la législation française était applicable.
S’agissant de la solidarité financière liée à l’application de la législation française :
L’entreprise de travaux publics reproche à la Cour d’Appel d’avoir décidé que sa solidarité était engagée alors qu’elle n’avait simplement qu’obligation de détenir les demandes de certificats E101 et non nécessairement les certificats eux-mêmes.
Elle ajoute que la société de travail temporaire n’était ni sous-traitant ni sub-délégataire, de sorte que l’article L8222-5 du Code du Travail n’avait pas vocation à s’appliquer.
Elle soutient ainsi que le paiement de l’indemnité pour travail dissimulé au titre de la solidarité financière et de la société de travail temporaire n’est pas prévu par l’article L8222-5 alinéa 2 du Code du Travail.
La Cour de Cassation répond sur ce point que les article L8222-2 et L8222-5 du Code du Travail figurent dans le chapitre du Code intitulé « Obligations et solidarité financière des donneurs d’ordres et des maîtres d’ouvrage » qui instaure une garantie de l’ensemble des créances dues par l’employeur qui exerce son travail dissimulé à la charge des personnes qui recourent aux services de celui-ci afin de prémunir ses créanciers du risque d’insolvabilité du débiteur principal.
En conséquence ces dispositions sont applicables lorsque les salariés sont employés par des entreprises de travail temporaire.
La Cour d’Appel est approuvée : elle a relevé que le donneur d’ordres s’était abstenu d’enjoindre la société de travail temporaire de mettre fin à la situation irrégulière des salariés et en a tiré les conséquences.