Mesures générales de prévention au harcèlement : quid de la preuve si l’employeur ne comparaît pas en cause d’appel ?

Dominique Guerin
Dominique Guerin

Cass. soc. 18-1-2023 n° 21-23.796 F-B, Sté Global ambulances c/ U.

Si l’employeur ne se présente pas devant la cour d’appel (ou si ses conclusions d’intimé sont irrecevables) pour justifier qu’il a bien respecté son obligation de sécurité envers une salariée se plaignant de harcèlement sexuel, les juges doivent, pour se prononcer, examiner les arguments admis par la juridiction de jugement.

Pour rappel, l’employeur est tenu de prendre toutes les dispositions nécessaires en vue de prévenir les actes de harcèlement sexuel, d’y mettre un terme et de les sanctionner.

Sa responsabilité au titre de cette obligation peut être écartée à condition qu’il ait mis en œuvre toutes les mesures de prévention prévues par les articles L 4121-1 et L 4121-2 du Code du travail, notamment des actions d’information et de formation, et a mis fin au harcèlement dès qu’il en a été avisé.[1]

L’employeur doit donc prouver avoir pris les mesures générales de prévention nécessaires et suffisantes, ce qu’il appartient aux juges du fond d’apprécier souverainement.[2]

Mais que se passe-t-il si l’employeur se présente devant le Conseil de prud’hommes, puis s’en abstient devant les juges d’appel ou si ses conclusions en appel ont été jugées irrecevables (communiquées après le délai de 3 mois) ? Comment les juges d’appel doivent-ils apprécier le respect ou non par l’employeur de son obligation de prévention du harcèlement ?

La Cour de cassation y répond dans son arrêt du 18 janvier 2023.

Une salariée, embauchée en qualité d’ambulancière, avait été licenciée pour inaptitude et impossibilité de reclassement. Elle avait saisi le Conseil de prud’hommes en nullité de son licenciement et en paiement de diverses sommes à titre de dommages et intérêts en faisant valoir que son inaptitude était la conséquence du harcèlement sexuel qu’elle avait subi de la part de l’un de ses collègues et d’un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité.

En première instance, le Conseil de prud’hommes avait écarté l’existence du manquement de l’employeur à son obligation de sécurité, tout en jugeant que le licenciement était sans cause réelle et sérieuse.

La Cour d’appel saisie du litige considère que, faute pour l’employeur de justifier qu’il a pris « une quelconque mesure nécessaire pour mettre un terme à la situation de harcèlement avérée subie » par la salariée, alors qu’il en avait connaissance et que cette situation était à l’origine de la dégradation de l’état de santé de la salariée, le manquement à l’obligation de sécurité doit être retenu. En conséquence, les juges déclarent le licenciement nul.

L’employeur a saisi la Cour de cassation, jugeant qu’en son absence la cour d’appel ne pouvait pas infirmer le jugement sans réfuter la motivation des premiers juges. Or ces derniers avaient constaté que, dès que l’employeur avait été mis au courant de la situation, il avait mis en place des mesures pour faire cesser le harcèlement.

Au visa des articles 472 et 954 du Code de procédure civile, la Cour de cassation rappelle deux principes :

–  si un intimé ne comparaît pas, il est néanmoins statué sur le fond et le juge ne fait droit aux prétentions et moyens de l’appelant que dans la mesure où il les estime réguliers, recevables et bien fondés ;

–  si, en appel, une partie ne rend pas de conclusions ou n’énonce pas de nouveaux arguments, alors il faut en conclure qu’elle demande la confirmation du premier jugement et s’en approprie les motifs.

Appliquant ces deux pri la Cour de cassation rappelle, en premier lieu, qu’il appartient à l’employeur de justifier du respect de son obligation de prévention du harcèlement, en l’occurrence sexuel.

Mais s’il ne se présente pas devant la Cour d’appel, il revient alors aux juges d’appel d’examiner la pertinence des motifs par lesquels le juge de première instance s’est déterminé pour juger que l’employeur avait satisfait à son obligation de prévention.

La Cour d’appel aurait donc dû se prononcer sur la question du respect ou non par l’employeur de son obligation de sécurité au regard des motifs admis dans le jugement. Celui-ci avait retenu deux mesures mises en place par l’employeur : il avait cessé de faire circuler la salariée et le collègue en cause dans la même voiture dès qu’il avait été informé de la situation et avait informé l’inspection du travail. Le conseil de prud’hommes en avait conclu que l’employeur avait effectué tout ce qui était en son pouvoir pour respecter son obligation de sécurité.

La Cour de cassation, reprochant à la cour d’appel de ne pas avoir procédé à l’examen qui lui incombait, censure sa décision pour violation de la loi et renvoie les parties devant la même cour autrement composée.

Cet arrêt permet également d’illustrer les mesures permettant à l’employeur de remplir son obligation de prévention en matière de harcèlement.


[1] Cass. soc. 1-6-2016 n° 14-19.702 ; Cass. soc. 5-10-2016 n° 15-20.140

[2] Cass. soc. 25-11-2015 n° 14-24.444 ; Cass. soc. 3-2-2021 n° 19-23.548

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