Lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme (LBFT) et responsabilité de l’établissement financier à l’égard des tiers

Eric DELFLY
Eric DELFLY - Avocat associé

Le manquement d’un établissement bancaire à ses obligations liées à la LBFT, n’autorise pas la victime de l’agissement frauduleux à engager la responsabilité extra contractuelle de l’établissement.

Source : Cass, com 21 septembre 2022 n°21-12335 F-B

I –

Le litige soumis à l’analyse de la Cour de Cassation, est porté par deux clients (un couple) d’un établissement bancaire à qui ils reprochent d’avoir exécuté des virements à destination de sociétés proposant des investissements à leur clientèle dénoncés comme potentiellement frauduleux par l’autorité des marchés financiers (l’AMF).

Pour essayer de récupérer leur mise, lesdits clients engagent une action en responsabilité, reprochant à la Banque :

  • D’avoir exécuté fidèlement l’ordre de virement sans avoir procédé aux vérifications auxquelles ils auraient dû se livrer avant d’imprudemment transférer leurs économies à l’étranger (responsabilité contractuelle) ;
  • Mais surtout, de ne pas avoir procédé à une déclaration de soupçon dans le cadre du dispositif TRACFIN que tous les lecteurs CHRONOS connaissent[1]

Dans l’esprit du client investisseur, tout ou partie des opérations de virement auraient dû être rejetées dès lors que les sociétés bénéficiaires de ces virements situées d’ailleurs en ROUMANIE, BULGARIE, POLOGNE et République Tchèque et MALTE avaient dès 2011, fait l’objet de signalement par l’Autorité des Marchés Financiers pour leur mise en cause régulière dans des escroqueries aux investissements.

Il semble à cet égard :

  • Qu’il ait été soutenu une obligation de mise en garde de la Banque qui à partir de 2015 n’avait consenti à exécuter les virements qu’après une décharge préalable de responsabilité ;
  • Auxquels s’ajouterait l’interdiction au regard des dispositions du CMF et plus particulièrement du dispositif TRACFIN, d’exécuter une opération qu’elle savait (à la différence de soupçonnait) frauduleuse.

L’obligation de mise en garde doit conduire l’établissement bancaire ou financier à simplement attirer l’attention de son client sur le risque de l’opération qu’on lui demande de réaliser au nom et pour son compte. Pour autant, lorsqu’il apparait que ce risque est certain, cette obligation doit la conduire à refuser d’exécuter l’opération. Encore faut-il que pour des opérations de virement, même à l’étranger, une telle obligation ait été consacrée par le droit positif.

Quant aux manquements de l’établissement bancaire à son obligation liée à LBFT, elle reste là encore assez mystérieuse, puisque par principe, la déclaration de soupçon doit rester secrète[2].

Ainsi faire grief à un établissement bancaire d’un manquement à une obligation déclarative de soupçon devrait conduire à justifier de l’existence ou l’inexistence d’une déclaration de soupçon, qui doit, par nature, rester confidentielle au sens de l’article L.561-18 du Code Monétaire et Financier.

Force est de constater que la Cour de Cassation ne va pas plus loin dans son raisonnement, lorsqu’elle rejette la responsabilité de l’établissement bancaire vis-à-vis de son client qui avait quand même au passage perdu à peu plus de 2,8M€.

II –

II – 1

Tout d’abord, implicitement mais nécessairement, la Cour de Cassation écarte l’obligation de mise en garde de l’établissement bancaire sur les opérations de virements en rappelant que :

« Le devoir de vigilance impose au banquier de déceler parmi les opérations que l’on lui demande de traiter celles qui présentent une anomalie apparente et en présence d’une telle anomalie tout mettre en œuvre pour éviter le préjudice qui résulterait pour le client ou pour un tiers de la réalisation de cette opération ».

La Cour retient, que la banque n’était pas tenue de la recherche d’anomalies dès lors que le compte était resté toujours créditeur, et que le montant viré était en rapport « avec l’importance du patrimoine des époux ». En définitive, cette réponse de la Cour aurait pu laisser planer le doute d’une possible action en responsabilité des établissements bancaires, si son paragraphe VI ajoutait que « L’arrêt ajoute que le fait que la Banque ait fait preuve, à compter de septembre 2015, d’une vigilance dépassant le cadre légal de ses obligations en effectuant des recherches sur l’identité des organismes bénéficiant des derniers virements ordonnés par [ les clients] ne saurait être retenu contre elle et relève que, même informé de certaines anomalies découvertes par la Banque aux termes de recherches auxquelles elle n’était pas tenue [ le client]  a persisté dans sa volonté de poursuivre ce type d’opération en signant une décharge de responsabilité circonstanciée au bénéfice de la Banque ».

Conscient que la Cour d’Appel ne commettait aucune erreur de droit, en jugeant qu’une Banque dépassait ses obligations de vigilance en effectuant des recherches sur l’identité des organismes bénéficiant des virements ordonnés ou en procédant à des recherches sur les sociétés bénéficiaires des virements « auxquelles elle n’était pas tenue », la Cour limite le champ de vigilance de la Banque à des éléments purement matériels que sont l’incidence de ces virements sur le solde du compte bancaire (positif et négatif) et la corrélation de l’importance de ces virements par rapport au patrimoine global qui peut être identifié.

II – 2

En rejetant globalement tout examen d’une possible faute de l’établissement bancaire dans son obligation de lutte contre le blanchiment et financement du terrorisme, caractérisée par une possible absence de déclaration de soupçon se rattachant au virement litigieux, la Cour est encore plus claire, et rappelle que ces obligations légales ont pour seule « finalité la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme », de sorte qu’il s’agit d’une obligation destinée à protéger la société et pas les individus qui la compose.

Sur ce point, le raisonnement s’impose par des arguments de toute logique. En effet, l’intérêt de la déclaration de soupçon et de pouvoir investiguer en toute discrétion,                                      grâce à des enquêtes préliminaires ou des instructions judiciaires confidentielles.

D’ailleurs, même dans les dossiers d’instruction la déclaration de soupçon n’y apparait pas et encore moins le nom des auteurs dont le secret de l’identité est un gage pour leur sécurité.

Au regard des objectifs poursuivis, le particulier n’y trouve pas sa place ce d’autant plus, comme le rappelle là encore la Cour de Cassation, la confidentialité de l’article L.561-18[3]interdit de toute façon à la Banque de révéler la déclaration de soupçon ou de son contenu en dehors des personnes expressément désignées par le Code Monétaire et Financier.

Le client de l’établissement bancaire ne fait pas partie de ces destinataires, de sorte que celui-ci ne peut, lors d’un procès, soutenir avec pertinence que la Banque a manqué à son obligation de procéder à une déclaration de soupçon, au motif qu’elle ne l’a pas produit, puisque précisément elle ne peut pas la produire.

L’arrêt publié s’inscrit dans un droit prétorien déjà consacré par la Chambre commerciale de la Cour de Cassation[4]qui pose un principe de l’impossibilité pour la victime d’agissement frauduleux de se prévaloir de l’inobservation d’obligations en matière de lutte contre le blanchiment afin d’obtenir des dommages et intérêts par l’établissement financier.

Eric DELFLY

VIVALDI-AVOCATS


[1] Pour mémoire TRACFIN est un service de renseignement placé sous l’autorité du Ministère de l’Economie des Finances. Il est chargé de lutter contre les circuits financiers clandestins, le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme, il est à cet égard chargé de recueillir, d’analyser et d’enrichir des déclarations de soupçon que les professionnels assujettis sont tenus par la loi de lui déclarer via la déclaration de soupçon (L.661-15 du Code Monétaire et Financier).

C’est-à-dire déclarer au service « Les sommes ou opérations dont ils savent, soupçonnent ou ont des bonnes raisons de soupçonner qu’elles proviennent d’une infraction passible d’une peine privative de liberté supérieure à 1 an ou participant au financement du terrorisme »[1]

[2] Article L.561-18 du Code Monétaire et Financier

[3] Même si la Cour cite par erreur de plume l’article L.561-19

[4] Cass.com 28 avril 2004, n°02-15054, publié au Bulletin

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