Loi Sapin 2 : modification de l’action en responsabilité pour insuffisance d’actif

Etienne CHARBONNEL
Etienne CHARBONNEL - Avocat associé

 

Source : Loi n° 2016/1691 du 9 décembre 2016, dite « Loi Sapin 2 ».

 

La Loi Sapin 2, relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, a été validée, dans les très grandes largeurs, par le Conseil Constitutionnel.

 

Elle modifie notamment un article du Livre VI du Code de Commerce, relatif à l’action pour insuffisance d’actif.

 

Une nouvelle phrase est ajoutée en fin du premier alinéa de l’article L. 651-2 du Code de Commerce :

 

«   Toutefois, en cas de simple négligence du dirigeant de droit ou de fait dans la gestion de sa société, sa responsabilité au titre de l’insuffisance ne peut être engagée. »

 

S’il faut en croire l’exposé des motifs de la Loi, cet alinéa a pour objectif de « simplifier le régime de la faute de gestion dans le cadre de l’action en insuffisance d’actif, afin de faciliter le rebond du dirigeant de bonne foi d’une société mise en liquidation judiciaire ».

 

Se pose tout d’abord, avant d’aborder le fond de la modification, la question de sa forme : en effet, la formule utilisée laisse entendre que la caractérisation d’une simple négligence constituera une cause d’irrecevabilité de l’action en insuffisance d’actif (puisque l’action ne pourra alors être engagée).

 

Simple rédaction hasardeuse, ou véritable modification des conditions de recevabilité de l’action en insuffisance d’actif, la jurisprudence nous le dira. S’il fallait retenir la cause d’irrecevabilité, cela ne se ferait pas sans questionnement pour les praticiens et les Tribunaux, qui seraient contraints d’aborder la question de la qualification de négligence dès le stade de la recevabilité, avant même d’aborder le fond des fautes alléguées.

 

Sur le fond, l’apport de l’alinéa est loin d’être neutre.

 

C’est clairement une exception posée au principe général du droit de la responsabilité auquel obéissait jusqu’à présent l’action en insuffisance d’actif. Traditionnellement, la jurisprudence retenait qu’il appartenait au demandeur à l’action de démontrer la ou les fautes de gestion, le préjudice subi et le lien de causalité. Tout aussi classiquement, et cette fois sur le fondement de l’article 1383 du Code Civil (désormais article 1241), la responsabilité était engagée, non seulement par les fautes commises, mais également par la négligence et l’imprudence.

 

L’ajout de la Loi Sapin 2 en matière d’action en insuffisance d’actif vise donc à exclure les fautes qui ne seraient qualifiées que de simples négligences.

 

Faute de définition textuelle, c’est à la jurisprudence qu’il était revenu de préciser les contours des fautes susceptibles d’engager la responsabilité du dirigeant sur le fondement de l’action en insuffisance d’actif. Les fautes de « simple négligence » avaient assez naturellement trouvé leur place au côté des fautes plus classiques, relevant cette fois de la mauvaise foi, ou de l’erreur intentionnelle.

 

Mais très clairement, la jurisprudence et les praticiens étaient essentiellement guidés par un certain pragmatisme : la faute était retenue, non pas en raison du degré de négligence ou de mauvaise foi du dirigeant mis en cause, mais sur la gravité des conséquences de cette faute, c’est-à-dire sur le lien de causalité avec le préjudice subi par les créanciers.

 

Dit autrement, une faute grave n’était sanctionnée (bien que sanctionnable) que si le préjudice était suffisamment impactant pour les créanciers. Il s’agit là du pouvoir d’appréciation du Tribunal de la faillite, qui a la faculté de moduler la sanction à prononcer à l’encontre du dirigeant, voire de ne pas sanctionner du tout, malgré l’existence de faute.

 

Ainsi, certaines fautes intentionnelles n’étaient pas sanctionnées, mais de simples négligences, aux conséquences dramatiques, étaient à l’inverse lourdement punies.

 

L’ajout de la Loi Sapin modifie donc le débat pour le porter sur le terrain de la bonne ou mauvaise foi. La sanction serait donc ainsi réservée à un comportement volontairement fautif, en parfaite connaissance de cause par le dirigeant, en faisant échapper aux sanctions les dirigeants simplement incompétents.

 

Il n’est pas sûr que le message adressé aux chefs d’entreprise soit le bon : « Entreprenez, vous ne risquez rien si vous échouez en n’étant « que » mauvais ».

 

Etienne CHARBONNEL

Vivaldi-Avocats

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