Liquidation prématurée d’une entreprise : Attention à la responsabilité du liquidateur amiable. 

Eléonore CATOIRE
Eléonore CATOIRE - Avocat

Le liquidateur amiable d’une société assignée en responsabilité pour défaut de souscription d’une assurance décennale pendant les travaux effectués, peut-il clôturer les opérations de liquidation au détriment de créanciers « éventuels » ?

Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 15 février 2023, 21-21.294, Inédit

Dans un arrêt quoi qu’inédit, la Cour de Cassation était saisie de la question de l’engagement de la responsabilité d’un liquidateur amiable, qui avait procédé aux opérations de liquidation trop rapidement.

I –

En effet, dans cette affaire, une société vend un appartement. Les acheteurs invoquent la survenance de désordres, et assignent le liquidateur, es qualité, et en son propre nom, pour engager la responsabilité de la société.

Les juges du fond ont considéré, pour écarter toute responsabilité du liquidateur, que les manquements reprochés étaient formulés à l’encontre du gérant, à qui il était justement reproché l’absence de souscription d’une police de garantie décennale, mais que, comme cette souscription aurait du être faite au moment des travaux, le liquidateur qui n’avait pas encore pris ses fonctions, ne pouvait se voir reprocher de tels manquements.

Si certes, les faits litigieux n’étaient pas reprochés au liquidateur amiable, mais bien au gérant, la Cour d’Appel a refusé d’examiner la propre responsabilité du liquidateur, nécessairement distincte. Sauf qu’en matière de liquidation amiable, le liquidateur désigné est souvent… l’ancien gérant.

Pure schizophrénie me direz-vous…

Les juges du fond considèrent donc, que les demandeurs auraient du formuler leurs demandes à l’encontre de la société et de son ancien gérant es qualité, au besoin, en demandant la désignation d’un mandataire ad hoc.

Les demandeurs déboutés en font le grief, au motif que le liquidateur amiable avait liquidé, et réparti le boni entre les associés «  en méconnaissant le litige les opposant à la société et en faisant en sorte qu’ils ne puissent pas être désintéressés », créant une faute autonome de la première reprochée au gérant.

La Cour d’appel, qui considère simplement que le défaut de souscription de police d’assurance par le gérant n’impacte pas la responsabilité du liquidateur, nommé postérieurement, ne répond pas à la question qui lui était posée.

II –

La Cour de cassation recentre le débat autour de la responsabilité du liquidateur, encadrée par l’article L237-12 du Code de commerce :

« Le liquidateur est responsable, à l’égard tant de la société que des tiers, des conséquences dommageables des fautes par lui commises dans l’exercice de ses fonctions.

L’action en responsabilité contre les liquidateurs se prescrit dans les conditions prévues à l’article L. 225-254 ».

En effet, la question n’est pas de déterminer qui a commis ou non un manquement s’agissant de la police d’assurance non souscrite, mais bien de déterminer si le liquidateur, en clôturant les opérations de liquidation, et en répartissant les actifs de la société entre ses associés sans tenir compte des éventuels nouveaux créanciers, n’avait pas, prématurément agit.

Si les acheteurs obtenaient gain de cause, la société, à ce stade déjà liquidée, ne pourrait pas payer les sommes mises à sa charge au titre des dommages et intérêts….

La Cour de cassation décide donc dans cet arrêt, de censurer ses confrères du fond, et indique :

« Vu l’article L. 237-12, alinéa 1er, du Code de commerce :

4. Aux termes de ce texte, le liquidateur est responsable, à l’égard tant de la société que des tiers, des conséquences dommageables des fautes par lui commises dans l’exercice de ses fonctions.

5. Pour rejeter les demandes de MM. [H] et [T] en paiement de dommages et intérêts formées à l’encontre de M. [P] à raison de l’exercice des fonctions de liquidateur amiable de la société (X), l’arrêt retient que seules les fautes du liquidateur postérieures à sa nomination peuvent engager sa responsabilité et ajoute qu’alors qu’ils auraient dû rechercher la responsabilité de la société elle-même ou de son gérant pour des fautes de gestion, en tant que de besoin en la faisant revivre par la nomination d’un mandataire ad hoc, MM. [H] et [T] recherchent la responsabilité du liquidateur pour des manquements du gérant de la société, puisqu’ils reprochent l’absence de souscription d’une police de garantie décennale, laquelle aurait nécessairement dû être faite au moment des travaux et à une époque où le liquidateur n’avait pas pris ses fonctions.

6. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si M. [P] n’avait pas commis une faute en procédant à la liquidation de la société Far concept sans tenir compte du litige opposant MM. [H] et [T] à celle-ci et en faisant en sorte que ces derniers ne puissent être désintéressés par elle, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision. »

Les juges suprêmes expliquent alors, que, certes les manquements initiaux sont reprochés au gérant lui-même, mais que la Cour d’Appel aurait dû prendre position et vérifier si le liquidateur n’avait pas commis lui aussi, une faute autonome de celle reprochée au gérant, en refusant de tenir compte du litige opposant les acheteurs à la société, et en, par ces opérations de clôture de liquidation, faisant en sorte que ceux-ci ne puissent être désintéressés directement par la société, qui n’existait dès lors plus.

L’affaire est renvoyée devant la Cour d’Appel de Douai, laquelle devra, dans un sens ou dans un autre, prendre position sur la responsabilité du liquidateur, qui, de toute évidence pourra être recherchée pour avoir prématurément liquidé une société.

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