SOURCE : 3ème civ, 2 mars 2017, n°15-11419, FS – P+B
Un preneur à bail commercial édifie des locaux en extension de l’immeuble pris à bail. Toute la difficulté est que cette extension est implantée sur le terrain d’un tiers (EDF), ce qui n’émeut pas le bailleur qui, en fin de bail, accède à la construction et l’inclut dans l’assiette d’un nouveau bail conclu entre les mêmes parties, pour un loyer augmenté de plus de 50%.
En cours de bail, le preneur cède son fonds de commerce. Concomitamment, EDF prend connaissance de la construction litigieuse, et conclut avec le bailleur une convention d’occupation du domaine public, dans laquelle EDF se réserve le droit d’y mettre fin, à tout moment, sans préavis ni indemnité, pour des motifs de sécurité ou des motifs tirés de son exploitation et des nécessités de service public ou encore si une telle mesure lui était imposée par l’Etat.
Invoquant un risque d’éviction d’une partie importante des locaux, le cessionnaire a assigné le bailleur en résiliation du bail et en paiement de dommages et intérêts fondés sur le manquement du bailleur à son obligation de délivrance et de jouissance paisible (art 1719 du Code civil) :
« Le bailleur est obligé, par la nature du contrat, et sans qu’il soit besoin d’aucune stipulation particulière :
1° De délivrer au preneur la chose louée (…)
3° D’en faire jouir paisiblement le preneur pendant la durée du bail ; (…) »
Pour la Cour d’appel de Toulouse, le bailleur a effectivement manqué à son obligation de délivrance et de jouissance paisible, puisque l’exploitation d’une partie des locaux est soumise au bon vouloir d’un tiers disposant de droits incontestables lui permettant, à tout moment, de solliciter la restitution du bien concédé.
Les juges du fond reconnaissent qu’il n’est pas possible d’allouer des dommages-intérêts en réparation d’un préjudice purement éventuel, mais ajoutent qu’il en est autrement lorsque le préjudice, bien que futur, est certain, comme en l’espèce.
En conséquence, la Cour prononce la résiliation du bail, aux torts du bailleur, et ordonne une mesure d’expertise pour évaluer le préjudice du cessionnaire.
Le bailleur se pourvoi en cassation, reprochant à l’arrêt de prononcer la résiliation du bail sur la base d’un événement futur. Or, selon le bailleur, l’obligation de délivrance et de jouissance paisible supposent une éviction effective du preneur ou un trouble immédiat.
La Cour de cassation ne va cependant pas suivre le bailleur dans son argumentation, et rejette le pourvoi. Elle considère que le risque d’éviction du preneur à bail commercial par un tiers justifie la résiliation du bail et la réparation du préjudice futur et certain.
Sylvain VERBRUGGHE
Vivaldi-Avocats