Le devoir de confidentialité dans les procédures de conciliation et de mandat ad hoc

Victoria GODEFROOD BERRA
Victoria GODEFROOD BERRA

Source : Cass., com., 13 juin 2019, pourvoi n° 18-10.688, FS-P+B

 

I – FAITS ET PROCEDURE

 

Par ordonnances des 11 juillet et 26 septembre 2012, la société FHB a été désignée mandataire ad hoc puis conciliateur des sociétés du groupe Consolis sur le fondement des articles L. 611-3 et L. 611-5 du Code de commerce.

 

Lors de ces procédures, plusieurs articles ont été publiés en ligne sur le site Debtwire (spécialisé dans le suivi de l’endettement des entreprises et consultable par abonnement) de la société Mergermarket Limited.

 

Cette dernière a ainsi rendu compte de l’évolution des procédures en cours et exposé les négociations engagées avec les créanciers des sociétés du groupe Consolis notamment en citant des données chiffrées sur la situation financière de ces sociétés.

 

Par conséquent, les 23 et 24 octobre 2012, plusieurs sociétés du groupe Consolis et le conciliateur ont assigné la société Mergermarket devant le juge des référés pour obtenir :

 

1) le retrait de l’ensemble des articles contenant des informations confidentielles les concernant ; et

 

2) l’interdiction de publier d’autres articles.

 

Le juge de l’évidence a fait droit à leur demande.

 

Les demandeurs ont ensuite assigné la société Mergermarket en indemnisation des préjudices subis du fait de la publication des articles litigieux sur internet.

 

Les juges du premier et du second degré accèdent à ces demandes et condamnent, outre les interdictions de publication, la société britannique à indemniser les demanderesses sur le fondement de l’article 1240 (ancien 1382) du Code civil à plus de 175 000 €.

 

La société Mergermarket Limited forme un pourvoi au soutien de trois moyens.

 

II – LA POSITION DE LA COUR DE CASSATION

 

Pour mémoire, l’article L. 611-15 du Code de commerce prévoit que :

 

« Toute personne qui est appelée à la procédure de conciliation ou à un mandat ad hoc ou qui, par ses fonctions, en a connaissance est tenue à la confidentialité ».

 

II – 1.

 

La société Mergermarket soutient d’abord la non-conformité à la Constitution des dispositions de l’article L. 611-15 précité telles que la Cour de cassation l’interprète. En effet, la demanderesse au pourvoi estime que ces dispositions ainsi interprétées engageraient la responsabilité civile délictuelle d’un organe de presse (en l’espèce son site internet) pour avoir diffusé une information dont la confidentialité est protégée par la procédure de conciliation alors que le texte ne prévoirait cette sanction qu’à l’égard des seules personnes qui participent au mandat ad hoc ou à la procédure de conciliation ; ce qui n’est pas le cas du site Debtwire.

 

En réponse, la Cour de cassation rappelle sa propre jurisprudence[1] où elle a refusé de renvoyer au Conseil constitutionnel une QPC, jugée non sérieuse au motif que la confidentialité se justifie par la nécessaire protection due aux entreprises engagées dans un processus de négociation avec leurs créanciers, une telle divulgation étant de nature à compromettre le succès du processus en cours, voire la pérennité de l’entreprise.

 

II – 2.

 

La Haute juridiction poursuit sa réponse aux arguments de la société Mergermarket sous un angle plus pédagogique et permet ainsi de comprendre l’esprit du texte débattu.

 

« En imposant un devoir de confidentialité à toutes les personnes appelées à une procédure de conciliation ou de mandat ad hoc ou qui, par leurs fonctions, en ont connaissance, l’article L. 611-15 du code de commerce a posé le principe de la confidentialité des informations relatives à ces procédures, qui se justifie par la nécessité de protéger, notamment, les droits et libertés des entreprises qui y recourent ».

 

Et de poursuivre « l’effectivité de ce principe ne serait pas assurée si ce texte ne conduisait pas à ériger en faute la divulgation, par des organes de presse, hormis dans l’hypothèse d’un débat d’intérêt général, des informations ainsi protégées ».

 

Pour les juges de la Haute cour, « la société Mergermarket ne pouvait ignorer qu’elle publiait des informations protégées et que, ce faisant, elle risquait de causer un grave préjudice aux sociétés du groupe Consolis et, ainsi, d’engager sa responsabilité civile ».

 

II – 3.

 

Enfin, au grief d’absence de proportionnalité entre le montant des dommages et intérêts et la faute à réparer, la Cour de cassation répond que cette réparation qui doit être à la mesure du préjudice subi ne peut être disproportionnée. En divulguant des informations qu’elle savait couvertes par la confidentialité sans que cette divulgation soit justifiée par la nécessité d’informer le public sur une question d’intérêt général, la société Mergermarket a commis une faute à l’origine d’un préjudice. Et « c’est dans l’exercice de son pouvoir souverain et sans avoir à effectuer la recherche invoquée par la cinquième branche que la cour d’appel a évalué le montant de la réparation propre à indemniser ce préjudice ».

 

*****

 

Ainsi, pour la Cour de cassation, l’article L. 611-15 du Code de commerce perdrait toute son effectivité relative à l’obligation de confidentialité dès lors qu’elle ne serait applicable qu’aux personnes qui sont parties à la procédure de conciliation ou de mandat ad hoc.

 

[1] Com. 4 oct. 2018, n° 18-10.688 QPC

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