CJUE : La France, mauvais élève en matière de qualité de l’air

Johanna HENOCQ
Johanna HENOCQ

Source : CJUE, 24 octobre 2019 n°C-636/18

 

La Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) vient de rendre un arrêt de manquement à l’encontre de la France pour méconnaissance des directives européennes relatives à la qualité de l’air ambiant.

 

Le recours en manquement est une procédure prévue par le Traité sur le Fonctionnement de l’UE (TFUE) permettant à la Commission européenne ou à un Etat membre de saisir la CJUE aux fins de dénoncer la méconnaissance, par un Etat membre, de ses obligations découlant des traités et directives européens.

 

C’est par le biais de cette procédure que la CJUE avait été saisie, en octobre 2018, par la Commission européenne.

 

Cette dernière imputait à la France deux manquements :

 

Le dépassement de la valeur annuelle pour le dioxyde d’azote (NO2) dans 12 agglomérations et zones de qualité de l’air ;

 

La systématicité et la persistance de cette méconnaissance depuis le 1er janvier 2010.

 

Les imputations étaient essentiellement fondées sur la directive n°2008/50/CE du 21 mai 2008 concernant la qualité de l’air ambiant et un air pur pour l’Europe dont l’article 1 dispose que :

 

 « La présente directive établit des mesures visant :

 

1) A définir et à fixer des objectifs concernant la qualité de l’air ambiant, afin d’éviter, de prévenir ou de réduire les effets nocifs pour la santé humaine et pour l’environnement dans son ensemble ;

 

2) Evaluer la qualité de l’air ambiant dans les Etats membres sur la base de méthodes et de critères communs ;

 

3) A obtenir des informations sur la qualité de l’air ambiant afin de contribuer à lutter contre la pollution de l’air et les nuisances et de surveiller les tendances à long terme et les améliorations obtenues grâce aux mesures nationales et communautaires. »

 

L’annexe XI de ladite directive prévoit que la valeur limite pour le NO2 doit être respectée au 1er janvier 2010. Cette valeur limite est fixée, par année civile, à 40 µg/m³ d’air.

 

En défense, la France soutenait que le dépassement des valeurs limites devait être apprécié d’une part au regard des difficultés structurelles rencontrées par le gouvernement et d’autre part, des efforts déployés lesquels ont tout de même permis une nette amélioration de la qualité de l’air ambiant dans les zones considérées.

 

Saisie du recours, la CJUE rappelle en premier lieu que la constatation objective de la méconnaissance de la directive par le dépassement de la valeur limite pour le NO2 suffit à démontrer le manquement de l’Etat.

 

La CJUE constate en l’espèce que les rapports annuels sur la qualité de l’air établissent qu’entre 2010 et 2016, la France a très régulièrement dépassé les valeurs limites pour le NO2 dans 12 agglomérations et zones françaises ainsi que la valeur limite horaire pour ce polluant.

 

Selon la Cour, ce dépassement est donc persistant.

 

En second lieu, la Cour juge que la circonstance que le dépassement des valeurs limites serait dû à des difficultés structurelles rencontrées par la France est sans incidence aucune sur les obligations posées par la directive et auxquelles les Etats membres sont tenus.

 

La Cour est donc indifférente aux négligences des Etats membres et aux difficultés techniques et structurelles qu’ils peuvent rencontrer dans l’application de la directive.

 

En outre et pour sa défense, la France soutenait que la libre-circulation des marchandises, et donc le trafic routier, limite considérablement la marge de manœuvre des Etats dans l’adoption de mesures visant à réduire les émissions de N02.

 

Cet argument est lui aussi rejeté par la Cour, laquelle précise qu’une interdiction sectorielle de circuler demeure possible sous réserve qu’il n’existe pas de mesures moins restrictives.

 

En dernier lieu, la France soutenait que la réduction significative des émissions de NO2 sur son territoire devait être prise en compte par la Cour dans l’appréciation du manquement qui lui était imputé.

 

La CJUE fait fi de cet argument, jugeant ainsi que la simple amélioration de la qualité de l’air est insuffisante et insusceptible d’infirmer le constat du manquement.

 

Dans le cadre de l’analyse du manquement, la Cour profite de l’occasion qui lui est donnée pour nous livrer sa grille d’analyse de la qualité et de l’effectivité des plans relatifs à la qualité de l’air adoptés par les Etats membres.

 

6 facteurs sont ainsi pris en compte :

 

Le dépassement des valeurs limites sur une longue durée

 

La durée estimée du dépassement des valeurs limites pour l’avenir

 

Le niveau absolu du dépassement des valeurs limites (plus l’écart à combler est important, plus l’absence d’ambition est révélée)

 

L’évolution relative de la concentration annuelle de NO2 dans l’air ambiant

 

Le contenu formel des plans adoptés par l’Etat membre

 

Le contenu matériel des plans (adéquation entre le diagnostic et les mesures)

 

En l’espèce, et au regard de ces critères, la CJUE juge que les plans de la France pour les 12 agglomérations en litige sont nécessairement inefficaces puisqu’ils n’ont pas permis de mettre un terme aux dépassements persistants depuis 2010.

 

En conséquence, la CJUE accueille le recours de la Commission européenne en constatant que la France a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de la directive 2008/50.

 

Soulignons qu’application de l’article 260 du TFUE, la France est tenue de prendre les mesures que comporte l’exécution de l’arrêt.

 

Si tel n’est pas le cas, la Commission européenne pourra saisir de nouveau la Cour en indiquant cette fois le montant de la somme forfaitaire ou de l’astreinte à payer par la France qu’elle estime adapté aux circonstances.

 

Au vu du manquement persistant de la France en la matière, il n’est pas impossible que celle-ci se voit prochainement condamnée pécuniairement par la Cour…

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