Dans un arrêt publié au bulletin, la Cour de cassation a pu juger que l’absence de mise en cause des associés majoritaires n’était pas une cause d’irrecevabilité de la demande en annulation d’une délibération fondée sur un abus de majorité, la Cour précisant que cette solution était valable lorsque la demande était dépourvue de demande indemnitaire dirigée contre les associés représentant le vote majoritaire.
Source : Cass. com., 9 juillet 2025, n°23-23.484
I –
Dans un Groupement foncier rural, plusieurs associés se partagent le capital social dont une partie est démembrée.
Nu-propriétaire et usufruitier de parts minoritaires décident, par assignations en date du 21 mai 2021 et du 31 janvier 2022, d’assigner le Groupement foncier rural afin de faire annuler plusieurs délibérations d’assemblées générales.
Dans un arrêt en date du 12 octobre 2023, la Cour d’appel d’Aix-en-Provence juge irrecevable ces actions en annulation de délibérations d’assemblées générales pour abus de majorité.
Un pourvoi est formé donnant lieu à l’arrêt à l’étude.
II –
La Cour d’appel considérait en effet, tout en relevant que les demandes n’avaient pas pour objectif d’obtenir la condamnation personnelle du majoritaire, qu’une action visant à l’annulation de décisions d’assemblées générales pour abus de majorité devait mettre en cause le majoritaire sous peine d’irrecevabilité. Le raisonnement de la cour était le suivant : la demande en justice fondée sur l’abus de majorité revient à une remise en cause de la validité du vote du majoritaire, demander l’annulation des délibérations résultat du vote du majoritaire équivaudrait à critiquer les motivations de ce dernier qui serait donc le seul en mesure de se défendre.
La Haute Cour ne suit pas ce raisonnement.
Au visa de l’article 32 du Code de procédure civile (droit d’agir) et de l’article 1844-10 du Code civil (nullité des délibérations), la Haute Cour casse l’arrêt et juge que la demande d’annulation de délibérations fondée sur l’abus de majorité n’a pas à être dirigée contre l’associé majoritaire si cette demande se borne à demander l’annulation :
« Il résulte de la combinaison de ces textes [les articles précités] que la recevabilité d’une action en nullité d’une délibération sociale pour abus de majorité n’est pas, en l’absence de demande indemnitaire dirigée contre les associés majoritaires, subordonnée à la mise en cause de ces derniers. »
En d’autres termes, l’action en Justice fondée sur l’abus de majorité qui tend uniquement à l’annulation d’une délibération d’assemblée générale se soutient contre la seule société, charge à elle de défendre la validité de l’assemblée générale et de la délibération qui en découle.
III –
La solution de la Cour de cassation est limpide et ne souffre pas d’interprétation mais cantonne la portée de l’arrêt à des cas d’espèce remplissant une double condition :
- (i) L’abus de majorité comme fondement de la demande en justice ;
- (ii) L’absence de demande indemnitaire à l’encontre du majoritaire.
La solution a néanmoins le mérite de mettre un terme à une certaine confusion entre la demande en annulation de délibérations fondée sur un abus de majorité et la demande de réparation du préjudice née de la fraude des associés. La première doit donc bien être portée à l’encontre de la société là où la seconde doit être portée à l’encontre des associés dont le vote a constitué un abus de majorité.
Certains arrêts peuvent d’ailleurs être cités comme ayant alimenté cette confusion et donné lieu à des interprétations juridiquement fausses :
- L’arrêt de la chambre commerciale du 6 juin 1990[1] : « après avoir retenu que les délibérations litigieuses avaient été adoptées par abus du droit de majorité, a décidé à bon droit que seuls les associés majoritaires qui avaient commis cet abus devaient en répondre à l’égard des demandeurs et qu’en conséquence, l’action dirigée contre la société Huber n’était pas recevable ».
L’arrêt consacre bien le principe de la responsabilité des associés dans un abus de majorité mais pas de la société. Autrement dit, la demande d’annulation doit être portée contre la société et la réparation du préjudice lié à l’abus de majorité contre les associés auteurs de la fraude.
- L’arrêt La Vierge de 2023[2] « L’action en nullité des délibérations de l’assemblée générale des actionnaires portant sur une augmentation de capital et la suppression du droit préférentiel de souscription n’a pas vocation à être dirigée contre la seule société et les actionnaires sont susceptibles d’avoir un intérêt légitime au rejet de la demande d’annulation quel que soit son fondement ».
L’arrêt juge qu’une demande d’annulation de délibération peut également être portée contre les actionnaires de la société puisque ces derniers ont un intérêt à défendre la validité de ladite délibération, mais a pourtant déclaré recevable l’action dirigée contre la société et un actionnaire de la société ayant participé au vote mais qui avait perdu cette qualité à la date à laquelle la juridiction du premier degré avait statué.
IV –
La solution édictée par la Cour de cassation est revêtue du bon sens puisqu’en visant l’article 1844-10 du Code civil ce dernier a vocation à s’appliquer à tous types de société, et notamment à la Société Anonyme cotée sur un marché réglementé ou organisé dont l’obligation d’attraire à la cause les associés ayant voté la délibération visée par l’abus de majorité se heurterait à des difficultés d’ordre pratique évidentes.
Enfin, s’il semble évident qu’une demande en annulation de délibération fondée sur un abus de majorité qui contiendrait une demande d’indemnisation à l’encontre des majoritaires nécessiterait la mise en cause de ces derniers, il peut être ici intéressant de rappeler, pour ceux qui s’interrogeraient sur l’abus de minorité, que la caractérisation d’un abus de minorité ne peut entraîner la validité d’une résolution adoptée à une majorité insuffisante en raison de cet abus. De jurisprudence constante en la matière, la sanction d’un abus de minorité ne peut jamais revêtir la forme d’un jugement valant vote[3].
[1] Cass. Com. 6 juin 1990, numéros 88-19.420 et 88-19.783, publiés au Bulletin
[2] CA Paris, 4 avril 2023, n°22/05320
[3] Com. 15 juill. 1992, n° 90-17.216, Civ. 3e, 21 décembre 2017, n° 15-25.627