La saisine du Conseil d’état par les associations anti mariage pour tous : dernier round du combat contre le mariage homosexuel ?

Stéphanie TRAN
Stéphanie TRAN

  

Question politique, évidemment. Question éthique, bien entendu. Question juridique, peut-être…

 

C’est en tout cas un fait incontestable que la communauté des juristes s’est largement emparée de cette question.

 

On rappellera ainsi que, lors de la manifestation du 24 mars 2013 à Paris, les juristes de toutes professions (avocats, magistrats, universitaires, notaires, étudiants en Droit) se sont rassemblés et ont manifesté ensemble pour demander le retrait du projet de loi sur le mariage, l’adoption et le bouleversement de la filiation. En robe et Code civil à la main, ils ont entendu s’opposer fermement au marché des enfants qu’ouvre ce projet de loi sur le mariage et l’adoption des personnes de même sexe.

 

Pas moins de 170 Professeurs de droit, parmi les plus reconnus, avaient, auparavant, aux termes d’une pétition datée du 15 mars 2013, entendu exprimer leur plus vive inquiétude, et leur opposition forte, contre le projet de loi (http://www.cadureso.com/actualite/actualite-sante/3331-170-professeurs-de-droit-rentrent-en-resistance-face-au-projet-de-loi-taubira).

 

D’autres Professeurs de droit ont, depuis NANTERRE (ce n’est pas un détail…), quant à eux opposé que « s’il s’agit de refuser, par principe, l’adoption d’une réforme dont nul ne se dissimule l’importance, il n’est pas besoin de faire profession de juriste : celle de moraliste suffit amplement » (P. BRUNET, V. CHAMPEIL-DESPLATS, S. HENNETTE-VAUCHEZ, E. MILLARD, « Mariage pour tous : les juristes peuvent-ils parler « au nom du Droit » ? », D. 2013 p. 784).

 

L’ouverture du mariage pour tous est-elle exclusivement une question de politique et de morale ?

 

Dans l’affirmative, le juriste doit-il s’abstenir de prendre part à ce débat, en tant que juriste, pour la raison qu’il ne serait qu’un technicien du droit, un légiste froid et désincarné ?

 

C’est l’opposition entre le droit positif et le droit naturel qui, une fois encore, refait surface.

 

Pour un juriste, raisonner en positiviste revient, en simplifiant, à envisager le droit abstraction faîte de son contenu, tandis qu’il y aurait, pour les tenants du droit naturel, à accorder de l’importance au contenu des normes.

 

Durant l’occupation, DUVERGER, illustre juriste, a publié dans la Revue du droit public, un long article sur « La situation des fonctionnaires depuis la Révolution de 1940 » dans lequel il évoquait, en pur technicien, c’est-à-dire en positiviste, les mesures d’épuration prises à l’encontre des Juifs. Aurait-il du prendre parti, s’indigner (pour reprendre une terminologie en vogue) ? Aurait-il du s’abstenir ?

 

Aujourd’hui, on l’aura compris, il peut sembler paradoxal que l’on adresse à des juristes le reproche de s’intéresser au contenu de la loi, alors qu’au lendemain de la guerre, on fît procès à DUVERGER d’envisager la loi en pur technicien du droit, sans en apprécier le contenu.

 

C’est d’ailleurs ce que n’ont pas de manqué d’invoquer certains, en réponse à l’article des Professeurs de NANTERRE : « Il n’est pourtant jamais venu à l’esprit des 170 signataires de la lettre aux sénateurs d’enjoindre aux collègues de Paris Ouest de se taire, ni de les accuser de « méthodes fallacieuses », ni encore de leur reprocher de « parler au nom du droit », comme ceux-ci viennent de le faire, en s’abritant derrière un paravent méthodologique et déontologique qui cache très mal leur évident soutien au projet de loi Taubira. D’une part, parce que les 170 sont des universitaires tolérants et que certains d’entre eux auraient d’ailleurs fort bien pu signer quelques pétitions des collègues de Nanterre, d’autre part, parce que c’est précisément de Nanterre qu’est un jour venue une opportune piqûre de rappel contre « les mésaventures du positivisme » (B. Daugeron, A.-M. Le Pourhiet, J. Roux, Ph.Stoffel-Munck « Droit de réponse Mariage pour tous, silence pour quelques-uns… Tu patere legem quam ipse fecisti L. 29 juill. 1881, art. 13 », D. 2013, p. 784).

 

Le grand sage Alain SUPIOT, Professeur au Collège de France, qu’il n’est guère possible de taxer de conservatisme, a lui aussi pointé l’attitude quelque peu contestable des Professeurs de NANTERRE : « enjoindre de se taire à ceux qui ne pensent pas comme vous n’est pas une méthode très prometteuse du point de vue heuristique » (A. SUPIOT, « Ontologie et déontologie de la doctrine », D. 2013, p. 1421).

 

Alors, « le mariage pour tous » est-il une question qui relève de la « science des juristes » ?

 

L’occasion sera en tout cas donnée au Juges du Palais Royal de se pencher sur la question, le décret d’application de la loi Taubira venant en effet de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir par l’Union des Familles en Europe (UFE), cette dernière considérant que la loi viole le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, adopté par l’ONU le 16 décembre 1966 et ratifié par la France le 28 mai 1981.

 

La loi sera-t-elle paralysée via son décret d’application ?

 

Belle question de société… et de juriste !

 

Stéphanie TRAN

Vivaldi-Avocats

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