LA RESOLUTION JUDICIAIRE D’UN CONTRAT NE DOIT PAS ETRE NECESSAIREMENT MOTIVEE PAR LA FAUTE DU COCONTRACTANT

Eric DELFLY
Eric DELFLY - Avocat associé

Par un Arrêt qui fait les honneurs de la publication au bulletin de la Cour de Cassation, la Chambre Commerciale juge qu’une résolution judiciaire peut être sollicitée et obtenue, sans démontrer l’existence d’un manquement fautif d’une des parties au litige.

Source :Cass. Com. 18 janvier 2023 n° 21-16.812 F – B

I –

La Cour de cassation avait à analyser la portée d’un Arrêt rendu dans un litige qui opposait un organisateur de salons à une société de traiteur, relative à la prestation qui aurait dû être exécutée du 09 au 13 mars 2020, c’est-à-dire en plein premier confinement.

L’annulation étant intervenue pour des causes sanitaires, l’organisateur du salon demande le remboursement de l’acompte versé au titre du contrat au traiteur. Sans succès toutefois puisque le traiteur lui opposera l’absence de résiliation du contrat, alors que l’absence de réalisation de la prestation n’étant pas imputable à un fait fautif dont il serait l’auteur.

L’organisateur du salon saisit alors la justice, sans succès en première instance comme en appel.

Pour rejeter la demande de résiliation judiciaire qui lui était présentée par l’organisateur de congrès, la Cour d’Appel d’AIX EN PROVENCE[1] juge que l’absence de réalisation de la prestation de traiteur commandée n’est pas imputable à un fait fautif du traiteur. Autrement dit, la Cour d’Appel conditionne la résolution judiciaire du contrat liant les parties à la démonstration d’une faute commise par l’une d’entre elles.

A tort, lui répond la Cour de Cassation.

II –

La décision commentée est intéressante en ce qu’elle s’inscrit dans le cadre du nouveau dispositif du droit des contrats issu de l’Ordonnance du 10 février 2016 qui, au regard du litige opposant les parties peut être abordé par la citation de trois articles du Code Civil :

  • Article 1217 du Code Civil :

« La partie envers laquelle l’engagement n’a pas été exécuté, ou l’a été imparfaitement, peut :

– refuser d’exécuter ou suspendre l’exécution de sa propre obligation ;

– poursuivre l’exécution forcée en nature de l’obligation ;

– solliciter une réduction du prix ;

– provoquer la résolution du contrat ;

– demander réparation des conséquences de l’inexécution.

Les sanctions qui ne sont pas incompatibles peuvent être cumulées ; des dommages et intérêts peuvent toujours s’y ajouter ».

  • Article 1222 du Code Civil :

« Après mise en demeure, le créancier peut aussi, dans un délai et à un coût raisonnable, faire exécuter lui-même l’obligation ou, sur autorisation préalable du juge, détruire ce qui a été fait en violation de celle-ci. Il peut demander au débiteur le remboursement des sommes engagées à cette fin.

Il peut aussi demander en justice que le débiteur avance les sommes nécessaires à cette exécution ou à cette destruction ».

  • Article 1228 du Code Civil :

« Le juge peut, selon les circonstances, constater ou prononcer la résolution ou ordonner l’exécution du contrat, en accordant éventuellement un délai au débiteur, ou allouer seulement des dommages et intérêts ».

Ces textes rapportés au litige entre les parties, il était difficile pour notre organisateur de congrès de se prévaloir des dispositions de l’article 1226 qui l’autorisait désormais à résoudre le contrat par voie de notification après mise en demeure du traiteur de satisfaire à son engagement puisque, précisément, cet engagement ne pouvait être satisfait à raison de l’annulation du congrès pour cause sanitaire.

En l’absence d’accord amiable avec le traiteur, celui-ci a donc, au visa de l’article 1227 du Code Civil, selon lequel la résiliation peut être en toute hypothèse demandée en justice, saisi le Juge qui tenait ses pouvoirs de l’article 1228 précité.

Le Juge devait donc faire application de l’article 1217 du Code Civil, puisque l’organisateur de congrès se trouvait face à un engagement qui n’avait pas été exécuté, ce qui l’autorisait à provoquer la résolution du contrat refusée par la Cour d’Appel d’AIX EN PROVENCE au motif que « l’inexécution du contrat a été totale et d’une gravité suffisante, elle ne peut pas être considérée comme fautive puisqu’elle a été causée par l’annulation du salon MPIM ».

Pour la Cour de Cassation, la constatation d’une faute de la partie défaillante est un élément non nécessaire à la résolution judiciaire qui semble désormais acquise dès lors qu’une des parties peut faire valoir qu’un engagement n’a pas été exécuté ou l’a été imparfaitement, quel qu’en soit le motif ou l’imputabilité.

III –

Doit-on comprendre que le traiteur qui a commandé les marchandises qui ont été perdues et a, éventuellement, versé des acomptes sur la location du matériel, doit porter en pertes et profits ces sommes dépensées pour le compte de l’organisateur puisqu’il peut lui être opposé la résolution judiciaire. Une réponse négative s’impose puisque s’il est reproché à la Cour d’Appel d’AIX EN PROVENCE de ne pas avoir ordonné judiciairement la résolution du contrat, la Cour de Cassation s’empresse de renvoyer à la loi des parties et notamment à son article 8 qui prévoit que dans une telle hypothèse, une retenue de 100 % du prix des prestations commandées en cas d’annulation tardive doit être appliquée.

Autrement dit, la Cour de Cassation censure la base légale de la décision de refus de restitution de l’acompte. Cependant, devant la Cour d’Appel de renvoi, si la résolution judiciaire sera vraisemblablement prononcée par la simple constatation de l’inexécution de la prestation de traiteur, le traiteur, lui, pourra opposer la clause pénale et ainsi obtenir une compensation entre la clause pénale stipulée au contrat et la restitution de l’acompte.

Injuste, répondront certains lecteurs de Chronos qui vous souhaiteraient à tort opposés à force majeure de l’article 1218 du Code Civil, notion que n’a pas souhaité retenir la Cour de Cassation, toutes chambres réunies à propos de la crise COVID. En revanche, les conditions sanitaires pourraient être appréciées par la Cour d’Appel de renvoi aux fins de réduire la clause pénale manifestement excessive.

Plus clairement dit, la clause pénale pourra compenser la restitution de l’acompte, mais dans des proportions qui seront appréciées en considérant les pertes effectivement subies par le traiteur du fait de cette annulation tardive.

Ce raisonnement s’applique en définitive et de la même manière à tout contrat signé entre deux parties, totalement ou partiellement inexécuté.


[1] CA AIX EN PROVENCE 18 mars 2021 n° 20/12607

Partager cet article