Bail commercial, cession de fonds de commerce et obligation de remise en état des locaux par le cessionnaire

Alexandre BOULICAUT
Alexandre BOULICAUT - Juriste

Dans son arrêt inédit du 25 janvier 2023,la troisième chambre civile de la Cour de cassation réaffirme le transfert au cessionnaire de l’obligation de remédier aux manquements du cédant ou à de précédents locataires, à moins que ce dernier et seul ce dernier n’apporte la preuve contraire. La sanction est lourde pour le cessionnaire qui peut se voir opposer l’acquisition de la clause résolutoire insérée au bail, s’il ne remédie pas aux manquements qui perdurent.

SOURCE : Cass. civ 3ème, 25 janvier 2023, n°21-22311, Inédit

I – L’arrêt commenté

A la base de ce contentieux, un bail commercial conclu pour l’exploitation de locaux à usage de restauration et d’habitation, est cédé en concomitamment au fonds exploité.

Postérieurement au renouvellement du bail commercial, les bailleurs ont reproché au locataire-cessionnaire la suppression sans autorisation d’un pilier de cheminée et d’ouvertures sur la cour commune de l’immeuble dont partie donnée à bail.

Les bailleurs ont délivré une sommation de faire les travaux de remise en état des locaux dans leur état antérieur aux travaux litigieux, visant la clause résolutoire insérée au bail.

Au cours du délai imparti par la sommation de faire aux fins de réalisation des travaux, le locataire a assigné ses bailleurs en opposition à cette sommation.

En cause d’appel, la Cour déboute les bailleurs au motif de l’absence d’offre probatoire de ces derniers, lesquels ne démontraient pas que les travaux litigieux avaient été réalisés après la cession du bail commercial.

Les bailleurs se pourvoient en cassation.

Les requérants exposent au soutien de leur pourvoi au visa de l’article 1732 du Code civil, que le locataire est tenu de répondre aux dégradation ou pertes qui arrivent en cours de jouissance, à moins qu’il ne prouve qu’elles ont eu lieu sans sa faute. Qu’en statuant qu’il incombe au bailleur de rapporter la preuve que le locataire-cessionnaire est à l’origine des travaux exécutés sans autorisation, que cette preuve ne peut en espèce être rapportée faute d’établir avec certitude la date d’exécution des travaux litigieux, la Cour a violé l’article 1732 du Code civil qui prive le preneur du bénéfice de la présomption de la prise de possession des locaux en bon état de réparations locatives.

Dans sa décision inédite du 25 janvier 2023, la Haute juridiction censure l’arrêt au motif qu’il revient au cessionnaire (et non au bailleur) d’apporter la preuve que les travaux litigieux ont été commis sous l’égide du cédant.

II – Un droit prétorien favorable à la transmission de l’obligation de remédier aux désordres, du cédant vers le cessionnaire

Cet arrêt inédit, s’inscrit en réalité dans un courant jurisprudentiel favorable à la transmission du cédant sur le cessionnaire, de la charge des travaux de remise en état des locaux, quand bien même les manquements contractuels seraient imputables au précédent locataire.

La solution peut surprendre, dans la mesure où la cession du bail commercial emporte transmission du bail pour l’avenir, et non pour le passé. On aurait donc légitimement pu imaginer que le cessionnaire n’ait pas à répondre des manquements commis par le cédant avant la cession, sauf clause de solidarité cédant-cessionnaire.

A l’inverse, il est vrai qu’à défaut de clause de solidarité, le cessionnaire semblerait être le mieux placé pour effectuer les travaux qui s’imposent puisque seul cocontractant du bailleur.

En réalité, la décision commentée n’est qu’une nouvelle illustration (d’où son caractère inédit) de la position de la jurisprudence, qui préserve les intérêts du bailleur en lui ouvrant un recours contre son locataire actuel.

La position doctrinale de la Cour de cassation résulte de deux arrêts publiés rendus les 30 septembre[1] et 8 octobre 2015[2], aux termes desquels la Cour reconnaît le cessionnaire responsable des dégradations imputables à l’un de ses précédents locataires, et le bailleur fondé à mettre en œuvre la clause résolutoire insérée au bail si le cessionnaire refuse de régulariser l’infraction.

Ces décisions affirmaient avec force le transfert au cessionnaire de l’obligation de remédier aux manquements du cédant, ou plus généralement à un précédent locataire.

Un arrêt rendu le 30 juin 2010[3] a semblé remettre en cause cette jurisprudence, en jugeant que le cessionnaire ne pouvait être sanctionné par la résiliation judiciaire en l’absence de faute de sa part.

III – Une remise en cause de la jurisprudence de la Haute juridiction par le nouvel article L140-40-1 du Code de commerce ?

Bien que la décision ait été rendue sous l’empire de la loi antérieure à la loi Pinel du 18 juin 2014, il est regrettable que les Hauts magistrats n’aient pas statué à l’aune des nouvelles dispositions d’ordre Public issues de la loi Pinel, et notamment de son article L145-40-1 du Code de commerce qui étend l’obligation de réaliser un état des lieux avec le bailleur à la prise de possession du cessionnaire dans le cadre d’une cession du bail avec ou sans le fonds de commerce.

Le législateur semblerait partir du postulat que le cessionnaire ne pourrait se voir opposer que l’état des locaux lors de la cession (et non l’état des lieux initial s’il existe).

La sanction du défaut d’état des lieux pour tous les baux conclus ou renouvelés après le 20 juin 2014 est l’inopposabilité au cessionnaire de la présomption de prise de possession des locaux en bon état, lesquels sont donc réputés être pris en mauvais état sauf preuve contraire du bailleur.

Le bailleur a donc tout intérêt à participer à cet état des lieux en compagnie du cédant dûment convoqué, car ce dernier pourrait avoir à répondre envers le bailleur du mauvais état des locaux au jour de la cession.

Ce texte pose en filigrane la problématique des baux n’imposant pas l’information préalable du bailleur en cas de cession. Le bailleur pourrait dans ces conditions, n’en être informé que postérieurement à l’entrée en jouissance du cessionnaire, lors de la signification de la cession. Toutefois, celui-ci n’encourt de sanction que s’il ne fait pas diligences pour réaliser l’état des lieux, ce qui ne peut lui être reproché tant qu’il n’a pas été informé.

En synthèse, le bailleur a désormais intérêt à exiger immédiatement du cédant les travaux de remise en état qui se révéleraient lors de l’état des lieux de cession.


[1] Cass. civ 3ème, 30 septembre 2015, n°14-21237, FS – B

[2] Cass. civ 3ème, 8 octobre 2015, n°14-13179, FS – B

[3] Cass. civ 3ème, 30 juin 2010, n°09-13754, FS – B

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