La mise en réserve systématique des bénéfices d’une société constitue-t’ elle un abus de majorité ?

Christine MARTIN
Christine MARTIN - Avocat associée

SOURCE : arrêt de la Chambre Commerciale de la Cour de Cassation du 10 juin 2020 n° 18-15.614 (F-D) Cassation partielle

 

Dans une société anonyme créée en 1963 ayant à l’origine pour objet social les activités de transport et de transit, mais n’exerçant plus que la gestion de son patrimoine immobilier, un associé minoritaire détenant 43,36 % du capital social s’estimant victime d’un abus de majorité, a fait assigner les actionnaires majoritaires et la société, demandant l’annulation de deux assemblées générales et en particulier de la résolution ayant décidé de la mise en réserve des bénéfices de la société pour une somme de 550 346€ et demandant la condamnation de la société à lui verser une provision de 500 000€ à valoir sur sa participation aux bénéfices.

 

En cause d’appel, cette affaire arrive par devant la Cour d’Appel d’Aix en Provence, laquelle dans un arrêt du 8 février 2018, va accueillir la demande de l’actionnaire minoritaire soulignant :

 

  Que la société ayant une activité foncière est en principe tenue de procurer à ses actionnaires un revenu périodique,

 

  Que la société n’a actuellement aucun endettement et pas de projet d’investissement,

 

  Que si une gestion prudente peut justifier la constitution de réserves confortables au regard de l’éventualité d’une vacance prolongée des locaux et de la nécessité de faire face à ses charges, la légitimité d’une mise en réserve de 550 000€ environ, alors que les réserves de la société s’élevaient déjà à 624 284€, n’était pas établie, les biens immobiliers appartenant à la société étaient loués ou susceptibles de l’être par une vingtaine de locataires différents dont un au service des archives du Conseil Régional, de sorte que la nécessité de se prémunir contre un risque de vacance massif et subit devait être fortement relativisé et ne pouvait justifier la constitution de réserves représentant plus de 5 fois le montant des charges externes de la société constatées au cours de l’exercice concerné,

 

  Qu’en outre les disponibilités de la société s’élèvent à 744 249€ alors que les valeurs mobilières de placement n’étaient que de 6 106€, de sorte qu’il apparaissait ainsi que la politique de mise en réserves suivie était une politique de pure thésaurisation non productive de revenus, et donc contraire à l’intérêt social.

 

Par suite la Cour d’Appel considère qu’en privant l’actionnaire minoritaire, sans justification au regard de l’intérêt social de son droit aux bénéfices alors qu’aucun dividende n’avait été distribué depuis de nombreuses années, les actionnaires majoritaires ont commis un abus de majorité.

 

Par suite, la Cour d’Appel prononce la nullité de la résolution litigieuse, sans toutefois octroyer à l’actionnaire minoritaire la provision qu’il sollicitait sur la répartition des bénéfices.

 

En suite de cette décision, les actionnaires majoritaires et la société forment un pourvoi en Cassation.

 

A l’appui de leur pourvoi, les actionnaires majoritaires et la société reprochent à l’arrêt d’appel d’avoir retenu l’abus de majorité sans expliquer en quoi l’absence de distribution de dividende faisant suite à la mise en réserve litigieuse, favorisait les seuls actionnaires majoritaires au détriment du minoritaire, alors que cette absence de dividende concerne tous les associés qu’ils soient majoritaires ou minoritaires.

 

La Chambre Commerciale de la Haute Cour va accueillir cette argumentation.

 

Examinant une à une les motivations retenues par l’arrêt d’appel pour justifier l’abus de majorité, la Chambre Commerciale relève que la Cour d’Appel n’a pas expliqué en quoi la résolution litigieuse avait été prise dans l’unique dessein de favoriser les majoritaires au détriment des minoritaires, de sorte qu’elle a privé sa décision de base légale.

 

Par suite, la Chambre Commerciale casse et annule l’arrêt d’appel sur ce point.

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