La fin au contrat de travail en raison de l’exercice d’un mandat social : tout est dans la nuance et le formalisme

Eric DELFLY
Eric DELFLY - Avocat associé

La volonté de mettre fin au contrat de travail en raison de l’exercice d’un mandat social doit être claire et non équivoque. Tel n’est pas le cas lorsqu’il est uniquement constaté que l’intéressé avait cessé d’exercer des fonctions techniques distinctes du mandat social et que sa désignation dans les statuts comme président pour une durée indéterminée confirmait l’absorption des fonctions salariales par les fonctions sociales.

Cass. soc., 12 févr. 2025, no 23-11369, F–D

I-

Si un salarié nommé mandataire social peut pleinement cumuler les deux statuts, encore faut-il qu’il continue d’exercer, postérieurement à sa nomination, des fonctions techniques dans un état de subordination.

Ces conditions étant souvent difficiles à remplir en fait, la Cour de cassation a su adopter une solution protectrice pour le salarié, en considérant que le contrat de travail est suspendu pendant le mandat social, sauf volonté contraire des parties1.

Plus exactement, et pour reprendre la formule rappelée dans l’arrêt sous examen :

« Sauf novation ou convention contraire, le contrat de travail d’un salarié devenu mandataire social et qui cesse d’exercer des fonctions techniques dans un état de subordination à l’égard de la société est suspendu pendant la durée du mandat, pour retrouver tous ses effets lorsque le mandat social prend fin »[1]

 Pour être solidement ancrée en jurisprudence, la solution n’en continue pas moins de susciter des difficultés de mise en œuvre tenant à la caractérisation de la volonté contraire des parties. L’affaire ayant conduit à la décision commentée en porte à nouveau témoignage.

II-

En l’espèce, un salarié engagé en qualité de chef d’équipe en avril 2018 avait été nommé président de la société employeur au mois de mars 2019. Consécutivement à la liquidation judiciaire de la société, l’intéressé avait été licencié pour motif économique le 14 octobre 2019.

Il avait alors saisi la juridiction prud’homale pour se voir reconnaître la qualité de salarié depuis son embauche jusqu’à la date d’expiration du préavis et obtenir fixation de diverses sommes au passif de la liquidation judiciaire de la société. Le « salarié » reprochait à l’arrêt attaqué d’avoir dit que le contrat de travail avait été nové en contrat de mandataire social et d’en avoir tiré diverses conséquences.

À l’appui de son pourvoi, il soutenait que la cour d’appel aurait privé sa décision de base légale au regard de l’article 1330 du Code civil en considérant, notamment, que l’intention de nover le contrat de travail en mandat social « résultait de l’article 11 des statuts mis à jour de la société qui dispose que le Président est nommé pour une durée indéterminée et confirme que les fonctions sociales ont effectivement absorbé les fonctions salariales qui n’existaient donc plus postérieurement au 3 mars 2019 ».

La décision est censurée par la Cour de cassation au visa des articles L. 1221-1 et L. 1231-1 du Code du travail. Après avoir rappelé la teneur de ces textes et énoncé la formule de principe rappelé précédemment, la chambre sociale relève que « pour débouter l’intéressé de ses demandes liées à la poursuite du contrat de travail, l’arrêt retient que celui-ci a été nové en mandat social à compter du mois de mars 2019, en relevant que l’intéressé n’exerçait plus de fonctions techniques distinctes du mandat social et que sa désignation dans les statuts comme président pour une durée indéterminée confirmait l’absorption des fonctions salariales par les fonctions sociales et démontrait cette intention novatoire ». Elle conclut en affirmant qu’« en se déterminant ainsi, sans caractériser la volonté claire et sans équivoque des parties de mettre fin au contrat de travail en raison de l’exercice du mandat social, la cour d’appel a privé sa décision de base légale ».

On remarquera d’emblée que là où les juges du second degré s’étaient placés sur le terrain de la novation, la Cour de cassation emprunte la voie de ce qu’elle nomme elle-même la « convention contraire », ainsi qu’en atteste le visa des seuls textes du Code du travail.

Cette « convention contraire » doit s’entendre de l’hypothèse dans laquelle les parties conviennent de mettre purement et simplement fin au contrat de travail, sans que cette extinction soit à mettre en relation avec la naissance d’un contrat nouveau4 ; ce qui caractérise la novation. Ainsi qu’il est en effet souligné, il y a, dans la novation, « l’établissement d’un lien d’interdépendance entre la création de l’obligation nouvelle et l’extinction de celle préexistante » Il est vrai que, d’un point de vue concret, les deux situations ne sont pas toujours évidentes à distinguer. D’ailleurs, et pour en revenir au cas d’espèce, la stipulation des statuts sur laquelle les juges du fond s’étaient fondés pouvait laisser entrevoir un lien entre la nomination au mandat et la fin du contrat de travail.

Il reste que la novation et la « convention contraire » ont en commun d’être soumises à de strictes conditions. Pour ce qui est de la première, on sait qu’il résulte de l’article 1330 du Code civil qu’elle ne se présume pas et que la volonté de l’opérer doit résulter clairement de l’acte. S’agissant de la « convention contraire », elle exige, ainsi que le rappelle la Cour de cassation, « la volonté claire et sans équivoque des parties de mettre fin au contrat de travail ». Pour autant, cette volonté n’a pas nécessairement besoin d’être formalisée6, la chambre sociale ayant, par le passé, approuvé des juges du fond pour avoir déduit l’intention de mettre fin au contrat de travail du remplacement immédiat de l’intéressé dans les fonctions salariales7. Cette volonté claire et sans équivoque de mettre fin au contrat de travail faisait en l’espèce défaut. Outre que le salarié avait été licencié, ce qui, on l’admettra, se concilie mal avec une précédente rupture amiable du contrat de travail, la stipulation des statuts pouvait tout aussi bien traduire le constat que les fonctions de salarié et de mandataire social étaient incompatibles, faute pour l’intéressé d’exercer des fonctions techniques dans un rapport de subordination8 ; ce à quoi correspond « l’absorption » du contrat de travail par le mandat social. Au-delà, on ne voit pas comment une stipulation des statuts, à laquelle un salarié est par hypothèse tiers, pourrait être interprétée comme la volonté de sa part de mettre fin un terme à son contrat de travail9.

Au demeurant, on est tenté de dire que la volonté des parties de mettre fin au contrat de travail devrait forcément être claire et sans équivoque. Il convient en effet de rappeler qu’il résulte de la jurisprudence de la Cour de cassation que, sauf dispositions légales contraires, la rupture du contrat de travail par accord des parties ne peut intervenir que dans les conditions prévues par l’article L. 1237-11 du Code du travail relatif à la rupture conventionnelle homologuée10. Une telle exigence n’exclut toutefois pas des ruptures amiables « hors-la-loi »11. À supposer qu’elles procèdent de volontés claires et sans équivoques, elles seront sanctionnées par le juge, pour ne pas s’être coulées dans le moule de la rupture conventionnelle homologuée12.


[1] Cass. soc. 12-11-2008 n° 07-44.636 F-D Cette suspension intervient de plein droit (Cass. soc. 19-3-1991 n° 87-45.110…

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