L’acte anormal de gestion qui ne dit pas son nom

Caroline DEVE
Caroline DEVE - Avocat

 

 

Source : CE, 23/12/2013, n°350075 (3e, 8e, 9e et 10e sous sections réunies).

 

L’acte anormal de gestion est un acte qui est accompli dans l’intérêt d’un tiers par rapport à l’entreprise ou qui n’apporte à cette entreprise qu’un intérêt minime, hors de proportion avec l’avantage que le tiers peut en retirer.

 

Cette notion est une construction jurisprudentielle permettant à l’administration fiscale de rehausser le résultat d’une entreprise (société ou entreprise individuelle) ayant engagé une dépense dans l’intérêt d’un tiers ou ayant renoncé à percevoir une recette s’il n’est pas démontré que cette dépense ou cette renonciation présente un intérêt pour l’entreprise.

 

En l’espèce, un notaire (titulaire de bénéfices non commerciaux) a accordé des remises au profit de ses clients ce qui a été remis en cause par l’administration fiscale au motif que cette pratique constituait un acte anormal de gestion.

 

La Cour Administrative d’Appel saisie du litige a estimé que le rehaussement n’était pas justifié : « eu égard aux conditions d’exercice de l’activité d’un contribuable dont les revenus sont imposables dans la catégorie des BNC, l’administration ne pouvait en invoquant l’existence d’un acte anomal de gestion, réintégrer dans les bénéfices imposables d’un tel contribuable les montants de remise d’honoraires consenties à certains clients au motif qu’elles n’étaient pas justifiées par une contrepartie ou par les usages de la profession concernée  ».

 

En d’autres termes, les contribuables titulaires de BNC ne peuvent commettre d’acte anormal de gestion.

 

La jurisprudence est en effet frileuse en la matière. Elle estime que dès lors qu’un contribuable exerce une activité non commerciale, il peut effectuer des actes désintéressés qu’on ne pardonnerait pas à un commerçant : on pense à l’avocat, au médecin qui doivent pouvoir exercer leurs fonctions gratuitement pour les plus démunis dans le respect de leurs serments sans encourir un contrôle fiscal.

 

Pourtant, le Conseil d’Etat censure l’arrêt de la Cour Administrative d’Appel.

 

Dans cet arrêt, la juridiction souhaite mettre un terme à la pratique qui refuse d’appliquer la théorie de l’acte anormal de gestion de façon automatique dès lors que le contribuable visé est titulaire de BNC.

 

Le Conseil d’Etat prend cependant des précautions et refuse l’appellation d’acte anormal de gestion (sans pour autant en donner une autre) pour sanctionner les titulaires de BNC renonçant sans bonne raison à une recette ou faisant preuve d’une trop grande largesse au profit d’autrui.

 

Il pose le principe du contrôle et en définit les contours.

 

Au visa des articles 12, 92 et 93 du CGI, le Conseil d’Etat juge que l’administration fiscale est fondée à réintégrer dans les résultats des contribuables titulaires de BNC le montant des recettes non déclarées qu’ils n’auraient normalement pas dû renoncer à recevoir. Cette possibilité est une exception à la non immixtion de l’administration fiscale dans la gestion des contribuables. C’est le caractère anormal de l’opération qui justifie cependant cette intervention.

 

Dans cet arrêt, le Conseil d’Etat définit le contrôle qui doit être opéré par les juridictions du fond.

 

Celles-ci doivent rechercher si la renonciation à recette ou la dépense est justifiée par une contrepartie équivalente pour le contribuable, si elle conforme aux règles ou usages de la profession du contribuable ou si elle est justifiée par tout autre motif légitime.

 

Ces exigences ne semblent pas cumulatives mais alternatives c’est-à-dire que les cas de figure énoncés doivent être examinés successivement.

 

Ainsi, si le contrôle exercée sur une renonciation à recette ou une dépense ne permet pas de déterminer tout d’abord quelle contrepartie le contribuable retire de cet acte, il convient de l’analyser ensuite à la lumière des règles ou usages de la profession du contribuable. Si ce contrôle n’est pas plus concluant, il reste à se demander si cet acte est justifié par tout autre motif légitime avant de rejeter la dépense ou de réintégrer la recette.

 

Le Conseil d’Etat prend ainsi en compte les spécificités des contribuables titulaires de BNC exerçant des professions réglementées.

 

Pour les titulaires de BNC l’appréciation de l’acte anormal de gestion est plus élastique.

 

Reste maintenant à trouver une appellation spécifique…

 

Caroline DEVE

Vivaldi-Avocats

 

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