Dans une nouvelle illustration jurisprudentielle, la Cour d’Appel de VERSAILLES juge que la seule procuration sur les comptes bancaires est insuffisante pour considérer qu’un salarié accomplissait des actes positifs de gestion en toute indépendance, permettant de le promouvoir en dirigeant de fait.
CA Versailles, 13e ch., 24 mai 2022, n° 21/07083.
I – La notion de « dirigeant de fait » fait régulièrement la une sur Chronos (par exemple : https://vivaldi-chronos.com/lassocie-majoritaire-indirect-caracterise-de-dirigeant-de-fait-sanctionne-dune-interdiction-de-gerer/) pour une raison simple : Elle n’est pas légalement définie.
En pratique, la jurisprudence et la doctrine définissent le dirigeant de fait comme celui qui, sans avoir été régulièrement désigné en qualité de dirigeant de droit, se sera distingué par une activité positive dans la direction et la gestion de la personne morale, exercée en toute indépendance.
Non désigné par les statuts, ou lors d’une Assemblée générale, il n’est pas sensé avoir les pouvoirs pour agir puisque non mandaté, mais tellement investi dans la conduite générale de l’entreprise, activement, régulièrement, avec prise de décision dans l’intéret de la société, qu’il sera mis à sa charge la responsabilité d’un dirigeant de droit.
Source de contentieux abondants, la notion de dirigeant de fait est encore sous le feu des projecteurs.
II – Au cas d’espèce, une SARL de surveillance et assistance sécurité, est mise en liquidation judiciaire puisqu’en état de cessation des paiements.
C’est souvent en pareilles circonstances que le liquidateur, considérant que des fautes de gestion ont été commises, recherche la responsabilité, outre du dirigeant de droit, celle du dirigeant de fait qu’il tente donc de caractériser.
En effet, le législateur a prévu, au sein du Code de commerce prévoit, à l’article L 653-1 que lorsqu’une procédure de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire est ouverte, les dispositions du chapitre relatif aux sanctions de faillite personnelle et autres mesures d’interdiction sont applicables :
« 1° Aux personnes physiques exerçant une activité commerciale ou artisanale, aux agriculteurs et à toute autre personne physique exerçant une activité professionnelle indépendante y compris une profession libérale soumise à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé,
2° Aux personnes physiques, dirigeants de droit ou de fait de personnes morales ;
3° Aux personnes physiques, représentants permanents de personnes morales, dirigeants des personnes morales définies au 2° ».
Article L653-1 Code de commerce
Les dispositions précitées ont pour conséquence que, le dirigeant de fait, s’il est caractérisé, peut, se voir condamner à :
« l’interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, soit toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale, soit une ou plusieurs de celles-ci ».
Article L653-8 Code de commerce
Les juges doivent donc apprécier, si les circonstances de fait permettent d’établir l’existence d’un dirigeant de fait, à charge pour le liquidateur de tenter de l’établir.
Au cas d’espèce, le liquidateur assigne entre autre le responsable commerciale, en sa qualité de dirigeant de fait, en comblement de l’insuffisance d’actif, et sanction personnelle devant le tribunal de commerce, qui fait droit à sa demande.
Les sanctions sont lourdes puisque le dirigeant de droit comme le dirigeant de fait sont condamnés à 150 000 euros et se voient prononcé à leur encontre une faillite personnelle pour une durée de 15 ans.
Les fautes reprochées, classiques en pareille circonstance, étaient les suivantes :
- Défaut de déclaration de cessation des paiements dans le délai légal,
- Tenue d’une comptabilité incomplète, justifiant la sanction personnelle du dirigeant de droit.
- Non-paiement des dettes fiscales et sociales
- Détournement d’actifs, justifiant la sanction personnelle du dirigeant de fait.
Le dirigeant de fait, considéré comme tel par les juges du premier degré interjette appel, invoquant les déclarations mensongères du dirigeant de droit, voir des dénonciations calomnieuses.
III – Le liquidateur déploie le faisceau d’indice qui ayant permis de considérer le salarié comme véritable dirigeant de fait, pour tenter de démontrer l’exercice d’actes positifs de gestion e toute indépendance ; conformément à la jurisprudence constante en la matière.
C’est justement ce que la Cour rappelle aux prémices de ces constatations :
« La direction de fait d’une personne morale ou physique suppose de démontrer l’exercice en toute indépendance d’une activité positive de direction »
La responsable commerciale, considéré comme chef de poste, ou Directeur administratif et financier selon ses fiches de postes, avait de toute évidence procuration sur le compte bancaire ouvert au nom de la SARL, puisque l’intéressé n’apporte aucun élément permettant de démontrer que la signature dont il s’agit n’est pas la sienne.
Pour autant, les autres indices ayant été rejeté, la Cour d’appel considère que le seul fait que l’intéressé disposait d’une procuration sur le compte bancaire est insuffisant à démontrer qu’il accomplissait des actes positifs de gestion en toute indépendance, de sorte que la dirigeance de fait n’est pas établie.
Une nouvelle pierre est apportée à l’édifice prétorien relatif à la caractérisation d’un dirigeant de fait, qui, manifestement, ne peut être établie avec la seule procuration d’un salarié sur les comptes de la société.