Inopposabilité de la prescription biennale

Kathia BEULQUE
Kathia BEULQUE - Avocat associée

  

SOURCE : Cass.2èmeciv. 18 avril 2013, n°12-19.519

 

C’est ce qu’à précisé la 2nde chambre civile de la Cour de Cassation dans cet arrêt du 18 avril 2013, comme suit :

 

« Attendu qu’aux termes de ce texte, les polices d’assurance relevant des branches 1 à 17 de l’article R. 321-1 du même code doivent rappeler les dispositions des titres Ier et II, du livre Ier de la partie législative du code des assurances concernant la prescription des actions dérivant du contrat d’assurance ; qu’il en résulte que l’assureur est tenu de rappeler dans le contrat d’assurance, sous peine d’inopposabilité à l’assuré du délai de prescription édicté par l’article L. 114-1 de ce code, les causes d’interruption de la prescription biennale prévues à l’article L. 114-2 du même code ;

 

Attendu, selon l’arrêt attaqué, que le fonds de commerce de boulangerie exploité par la société l’Epi d’or (l’assurée) a subi successivement deux incendies ; que la société AXA France IARD, assureur de ce fonds, a réglé à l’assurée des sommes relatives à ces sinistres ; qu’à la suite de la résiliation du bail commercial en raison de l’impossibilité de reconstruction de l’immeuble dans lequel était exploité son fonds de commerce, l’assurée a sollicité de l’assureur une indemnité complémentaire en raison de la perte d’exploitation et de valeur vénale du fonds ; que l’assurée a assigné l’assureur en paiement de cette indemnité complémentaire ;

 

Attendu que pour confirmer le jugement en ce qu’il a déclaré irrecevables comme prescrites les demandes formées par la société Epi d’or, l’arrêt énonce, par motifs propres et adoptés, qu’il est indiqué à l’article 7.4 des conditions générales de la police multirisques professionnels souscrite par l’assurée, intitulé « Période au-delà de laquelle aucune demande n’est plus recevable », que : « Toute action dérivant du présent contrat est prescrite par deux ans à compter de l’événement qui y donne naissance, dans les conditions déterminées par les articles L. 114-1 et L114-2 du code. La prescription est interrompue par une des causes ordinaires d’interruption de la prescription ainsi que par : la désignation d’un expert à la suite d’un sinistre, l’envoi d’une lettre recommandée avec avis de réception par nous-mêmes en ce qui concerne le paiement de la cotisation et par vous-même en ce qui concerne le règlement de l’indemnité. La simple lettre n’interrompt pas la prescription. » ; que l’assureur a donc reproduit l’énumération exhaustive des causes d’interruption de la prescription prévues à l’article L. 114-2 du code des assurances, lequel ne liste pas les causes ordinaires d’interruption et ne procède à aucun renvoi sur ce point au code civil ; que le contrat d’assurance énonce clairement la cause ordinaire d’interruption de la prescription biennale résultant de la désignation d’expert à la suite d’un sinistre, en sorte que l’assurée ne peut soutenir que le délai biennal ne lui serait pas opposable en raison d’une lacune de la police à cet égard ;

 

Qu’en statuant ainsi, alors qu’il résulte de ses constatations que le contrat ne précisait pas les causes ordinaires d’interruption de la prescription, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

 

Par ces motifs, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur la première branche du premier moyen et sur le second moyen :

 

Casse et annule, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 15 mars 2012, entre les parties, par la cour d’appel de Rouen (…) »

 

Il faut ici rappeler, qu’aux termes des dispositions de l’article R 112-1 du Code des Assurances, les polices d’assurance doivent rappeler les dispositions de la loi concernant la prescription des actions dérivant du contrat d’assurance.

 

L’inobservation de ces dispositions est sanctionnée par l’inopposabilité à l’assuré du délai de prescription biennale par l’article L114-1 du même code.

 

A ce titre, la jurisprudence exige pour que la prescription biennale puisse être invoquée par l’assureur à l’encontre de son assuré, que l’assureur démontre avoir remis à l’assuré[1] une police :

 

Reproduisant l’ensemble des dispositions de l’article L114-1 (et notamment la prescription biennale proprement dite ainsi que les différents points de départ du délai de la prescription biennale figurant aux alinéas 2 et 3 de l’article L114-1 du Code des assurances[2]) et L114-2 du Code des assurances (les causes d’interruption de la prescription biennale prévue à l’article L114-2 du Code des assurances[3]) ;

 

Reproduisant également, suivant un Arrêt de la seconde Chambre Civile de la Cour de Cassation en date du 18 avril 2013[4], les causes ordinaires d’interruption de la prescription c’est-à-dire : reconnaissance par le débiteur du droit de celui contre lequel il prescrivait ; demande en justice même en référé ; acte d’exécution forcée.

 

 

Cette obligation d’information s’inscrit dans le devoir général d’information de l’assureur qui lui impose de porter à la connaissance des assurés une disposition qui est commune à tous les contrats d’assurance[5].

 

Cette jurisprudence fait écrire aujourd’hui à la doctrine que :

 

« Le champ d’application de la prescription biennale déjà limité par les effets de la désignation d’un expert depuis la réforme du 17 juin 2008, risque avec cette nouvelle décision de voir son domaine réduit à peau de chagrin. »[6] ;

 

Ou encore « autant dire que la prescription biennale risque de devenir lettre morte pour le passé dans la mesure où en pratique l’intégralité des dispositions est rarement rappelée aux termes des polices, et pour l’avenir, depuis que l’article 2239 du Code Civil réformant la prescription est venu consacrer le principe selon lequel la prescription est suspendue lorsque le Juge fait droit à une demande de mesure d’instruction présentée avant tout procès[7] ;

 

Ou enfin « l’article R112-1 du Code des assurances, dans sa version actuelle dispose « les polices d’assurance relevant des branches 1 à 17 de l’article R231-1 doivent (…) rappeler (…) la prescription des actions dérivant du contrat d’assurance. »

 

  1. Un problème s’est posé en cas de manquement à cette obligation. Pratiquement pas sanctionnés à l’origine en jurisprudence, ils sont aujourd’hui      littéralement traqués par la Cour de Cassation, de sorte que les concepteurs de police ne doivent pas lésiner sur le contenu des clauses… »[8].
 
 
Kathia BEULQUE
Vivaldi-Avocats


[1] Cass. 2ème Civ. 30 juin 2011 n°10-23.223

 

[2] Cass. 2ème Civ. 28 avril 2011 n°10-16.403

 

[3] Cass. 2ème Civ. 03 septembre 2009 n°08-13.094 ; Cass. 3ème Civ. 28 avril 2011 n°10-07.269; Cass. 3ème Civ. 18 octobre 2011 n°10-19.171; Cass. 3ème Civ. 16 novembre 2011 n°10-25.246

 

[4] Cass. 2ème Civ. 18 avril 2013 n°12-19.519

 

[5] Cass. 2ème Civ. 17 mars 2011 n°10-15.067

 

[6] Revue construction urbanisme n°7 juillet 2013 « article R112-1 et rappel des causes ordinaires d’interruption » par Marie-Laure PAGES DE VARENNE

 

[7] Construction urbanisme n°1 janvier 2012 commentaire 14 « prescription et non respect des dispositions de l’article R112-1 du Code des assurances » par Marie-Laure PAGES DE VARENNE

 

[8] Responsabilité civile et assurance n°1 janvier 2012 formule 1 « clause relative à la prescription biennale dans une police d’assurance dommages » par Hubert GROUTEL

 

 

 

 

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