Revirement de jurisprudence s’agissant de la notion de désordre évolutif

Amandine Roglin
Amandine Roglin

La Cour de cassation semble s’orienter vers une position plus souple du désordre évolutif considérant comme évolutif le désordre apparu après le délai d’épreuve mais présentant la même pathologie que le désordre dénoncé à l’assureur dommages-ouvrage dans le délai de 10 ans de la réception.

Cass. 3e civ., 25 mai 2023, n° 22-13410, publié au Bulletin.

I –

Des particuliers confient la construction de leur maison d’habitation à une entreprise.

A cette occasion, ils souscrivent une police d’assurance dommages-ouvrage.

Postérieurement à la réception, des désordres apparaissent.

Il s’agissait notamment de la fissuration du carrelage au 1er étage.

Une déclaration de sinistre a été adressée à l’assureur dommages ouvrages qui, après expertise amiable, a fait une position d’indemnisation partielle.

Insatisfaits, les maîtres d’ouvrage s’en sont remis à justice.

II –

Après expertise judiciaire, les maîtres d’ouvrage ont assigné l’assureur dommages-ouvrage en réparation de leurs entiers préjudices.

L’assureur s’y est opposé au motif qu’une partie des dommages n’était pas susceptible d’être garantie car apparue au-delà du délai d’épreuve.

En l’espèce, les maîtres d’ouvrage avaient déclaré, dans le délai de garantie, les fissurations constatées au niveau du carrelage du 1er étage mais, dans le cadre des opérations d’expertise, l’expert judiciaire avait constaté, plus de 10 ans après la réception, que le carrelage du rez-de-chaussée était cassé et fissuré à certains endroits.

III –

Les Juges du fond ont condamné l’assureur dommages-ouvrage à indemniser les maîtres d’ouvrage de leurs préjudices matériels et immatériels.

Ils ont en effet considéré que l’expert judiciaire avait indiqué que ce désordre était intrinsèque à la construction existant depuis la date de réalisation de l’ouvrage pour être imputable à la chape mal exécutée, cette chape ayant servi de support à la pose du carrelage était identique au 1er étage et au rez-de-chaussée, la maigreur de cette chape causant les mêmes effets (fissures et casse des carreaux), que devait être traité de même manière le désordre affectant le carrelage du rez-de-chaussée, survenu après expiration du délai de dix ans, et le désordre affectant le 1er étage apparu avant expiration de ce délai.

IV –

L’assureur a formé un pourvoi en cassation, la question étant de savoir si les désordres du rez-de-chaussée constituaient ou non des désordres évolutifs et donc indemnisables au titre de la DO.

La Cour cite comme précédent jurisprudentiel un arrêt de 2006 (Cass. 3e civ., 18 janvier 2006, n° 04-17400, publié au Bulletin). Celui-ci rappelle la définition des désordres évolutifs : « De nouveaux désordres constatés au-delà de l’expiration du délai décennal qui est un délai d’épreuve, ne peuvent être réparés au titre de l’article 1792 du Code civil que s’ils trouvent leur siège dans l’ouvrage où un désordre de même nature a été constaté et dont la réparation a été demandée en justice avant l’expiration de ce délai ».

La notion de siège des désordres est donc cruciale. Dans cette affaire de 2006, la Cour n’avait pas admis l’identité de sièges des désordres, s’agissant de « désordres survenus en 1997 [qui] affectaient d’autres “corbeaux” que ceux qui avaient déjà été réparés au cours du procès clos en 1988 ».

La Cour de cassation a toutefois choisi de prendre une direction différente en statuant ainsi :

« La cour d’appel, qui a constaté que le désordre affectant le carrelage fissuré et cassé du premier étage avait été pris en charge par l’assureur dommages-ouvrage, a relevé, par motifs propres et adoptés, que l’expertise diligentée par celui-ci avait conclu que deux carreaux sur trois du carrelage du rez-de-chaussée sonnaient creux et que l’expert judiciaire avait imputé ces désordres à un même défaut d’exécution lié au délitement de la chape résultant d’un insuffisant dosage de la colle et au passage de fourreaux dans la chape de support sans chape de ravoirage.

Ayant souverainement retenu que les pathologies affectant le carrelage du rez-de-chaussée étaient identiques à celles du premier étage, ce dont il résultait que les désordres constatés par l’expert affectant le carrelage du rez-de-chaussée trouvaient leur siège dans un même ouvrage où un désordre identique avait été constaté avant l’expiration du délai de garantie décennale, elle en a exactement déduit que la garantie de l’assureur dommages-ouvrage au titre des désordres du carrelage du rez-de-chaussée était due ».

La Cour s’attache donc ici à l’identité de pathologies pour admettre une identité de siège des désordres.

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