Cass. com., 28 sept. 2022, n° 21-17.269.
La question s’est posée aux juges suprêmes, dans le cadre d’un contrat de distribution exclusif, de déterminer si les juges du fond peuvent apprécier la gravité des manquements contractuels reprochés, justifiant ou non l’indemnisation de la rupture anticipée dudit contrat. La Haute Cour répond par la négative, considérant que l’application de la clause résolutoire n’a pas à souffrir de l’appréciation d’une gravité suffisante qui exigée par les juges du second degré.
A l’origine du contentieux : Un contrat de distribution exclusive entre deux sociétés, s’agissant d’abri de piscine.
Invoquant un manquement à ses objectifs d’achats annuels, et la violation de l’interdiction de vendre des autres abris de piscine sur les secteurs relevant de l’exclusivité, le concédant adresse à son concessionnaire, une lettre valant mise en demeure d’avoir à se conformer aux stipulations contractuelles, sous peine de résiliation de plein droit du contrat. Celle-ci demeurera lettre morte, aboutissant à la résiliation promise.
Au-delà de la rupture unilatérale du contrat, le concédant considère qu’elle résulte des torts exclusifs de son concessionnaire, et décide de l’assigner en indemnisation du fait du préjudice subie de la résiliation anticipée de ce contrat de distribution.
Le concédant reproche à la Cour d’appel saisie de ce litige, de rejeter la demande d’indemnisation malgré le constat :
- que le contrat octroyait bien au concédant le droit de résilier en cas de violation de ses obligations par le concessionnaire, ce d’autant plus, qu’en cas de violation de l’exclusivité, le concédant pouvait résilier le contrat aux torts exclusifs de son cocontractant, et de manière automatique ;
- que cette clause résolutoire avait bien été actionnée par la lettre adressée avant la résiliation,
- et enfin, que la faute contractuelle était bien établie puisque le concessionnaire avait bien violé la clause d’exclusivité.
En effet, les juges du second degré ont considéré que les manquements reprochés ne présentaient pas de « gravité suffisante », refusant de constater la résolution du contrat aux torts exclusifs, justifiant l’indemnisation du concédant.
« cet acte isolé ne pouvait, à lui seul, justifier la résiliation du contrat aux torts exclusifs de la société [X] et qu’en l’absence de preuve d’une faute d’une particulière gravité, la société [Y] ne pouvait valablement dénoncer le contrat aux torts exclusifs du concessionnaire ».
Mais sont-ils véritablement en droit d’apprécier la gravité des fautes contractuelles reprochées au concessionnaire ?
Dans un arrêt, quoi qu’inédit, la Cour de cassation revient sur l’application de la clause résolutoire.
L’article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à la grande reforme du droit des obligations par ordonnance du 10 février 2016, prévoyait :
« Les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.
Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise.
Elles doivent être exécutées de bonne foi ».
Rappelant ce premier alinéa, les juges suprêmes cassent l’arrêt rendu par leur collègue du second degré, et considèrent :
« 6. Pour rejeter la demande d’indemnisation formée par la société P & M distribution au titre de la résiliation anticipée du contrat, l’arrêt, après avoir rappelé les termes de la clause prévoyant la résiliation automatique du contrat un mois après une mise en demeure restée sans effet, en cas de violation de l’un quelconque des engagements pris par les parties, puis relevé que la société Abris conseil avait proposé à la vente deux abris de marque concurrente, en violation de son engagement d’exclusivité, retient que cet acte isolé ne pouvait, à lui seul, justifier la résiliation du contrat aux torts exclusifs de la société Abris conseil et qu’en l’absence de preuve d’une faute d’une particulière gravité, la société P & M distribution ne pouvait valablement dénoncer le contrat aux torts exclusifs du concessionnaire.
7. En statuant ainsi, alors qu’à défaut de stipulation en ce sens, il n’appartient pas au juge d’apprécier la gravité du manquement justifiant la mise oeuvre d’une clause prévoyant la résolution de plein droit du contrat en cas d’inexécution par l’une des parties de l’une quelconque de ses obligations, la cour d’appel a violé le texte susvisé ».
Les juges du fond n’ont ainsi pas à prendre le compte une quelconque gravité pour appliquer la clause résolutoire, et ainsi constater le préjudice subi du fait de la violation de la clause d’exclusivité.
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