Source : Cass. com. 3 mai 2016, n°14-28.962, FS-P+B
I. – Liminairement : le fonctionnement de la garantie autonome
Un donneur d’ordre, cocontractant au titre d’un contrat de base, donne l’ordre à un garant (la banque dont il est client) de payer à première demande une certaine somme à son cocontractant, bénéficiaire de la garantie.
Souvent utilisée dans les contrats internationaux, la garantie autonome combine généralement deux garanties:
– Une garantie de premier rang : la banque du fournisseur, le donneur d’ordre, garantie le cocontractant de ce dernier, le bénéficiaire ;
– Une contre-garantie : la banque du fournisseur demande à la banque du cocontractant étranger d’accorder à ce dernier la garantie de premier rang, moyennant sa propre contre-garantie. Le garant de premier rang est en même temps le bénéficiaire de la contre-garantie.
Autrement dit, les banques des parties contractantes se contre-garantissent mutuellement.
La garantie autonome est un engagement particulièrement rigoureux pour le garant. Contrairement à une caution, le garant ne peut opposer aucune exception tenant à l’obligation garantie, pour s’opposer au paiement : ni la nullité du contrat de base, ni sa résolution ou résiliation, ni son exécution ou inexécution ne peuvent être opposées par le garant au bénéficiaire.
C’est en cela que l’on qualifie cette garantie « d’autonome », car sa souscription comme son exécution sont totalement indépendantes du contrat de base.
Néanmoins, pour tempérer cette rigueur – et remettre en cause cette autonomie – l’article 2321 alinéa 2 du Code civil dispose que :
« Le garant n’est pas tenu en cas d’abus ou de fraude manifestes du bénéficiaire ou de collusion de celui-ci avec le donneur d’ordre. »
Cette disposition prévient donc toute demande en paiement fallacieuse de la part du bénéficiaire de la garantie. La garantie ne peut plus dans ce cas être appelée, le donneur d’ordre adressant concrètement une défense de payer au garant, au besoin en l’assignant devant le juge des référés.
Comment appliquer cette « exception à l’autonomie » lorsqu’à une garantie autonome se superpose une contre-garantie ? L’arrêt commenté apporte une réponse logique, et donne les éléments clés permettant de caractériser un appel en conte-garantie abusif.
II. – La caractérisation d’un appel en contre-garantie abusif
Par un attendu explicite, la Cour de cassation précise que :
« Le caractère manifestement abusif de l’appel de la contre-garantie ne peut résulter du seul caractère manifestement abusif de l’appel de la garantie de premier rang, mais suppose de démontrer l’existence, au moment de l’appel de la contre-garantie, d’une collusion entre le garant de premier rang, bénéficiaire de la contre-garantie, et le bénéficiaire de la garantie de premier rang. »
Ainsi, pour que l’appel en contre-garantie soit considéré comme « manifestement abusif », il faut démontrer à la fois le caractère manifestement abusif de l’appel en contre-garantie, mais aussi une collusion frauduleuse entre le garant de premier rang et le bénéficiaire de la garantie de premier rang.
En d’autres termes, on ne peut pas supputer que l’appel en contre-garantie est abusif lorsque l’appel en garantie l’est également. Les Hauts magistrats sont plus exigeants, et imposent que soit cumulativement prouvé le caractère manifestement abusif de l’appel en contre-garantie, et une collusion frauduleuse entre le garant de premier rang et le bénéficiaire de la garantie de premier rang.
« La fraude corrompt tout » (en latin « Fraus omnia corrumpit »).
Comment prouver la collusion frauduleuse ? Il faut que le donneur d’ordre apporte la preuve que le garant de premier rang n’a pas été appelé par le bénéficiaire, alors qu’il a appelé sa contre-garantie. En effet, tant que la garantie n’est pas appelée, la contre-garantie ne peut pas l’être, même si la jurisprudence estime que, parce que la contre-garantie est autonome par rapport à la garantie de premier rang ainsi qu’au contrat de base, le garant qui appelle la contre-garantie n’a pas à justifier du paiement de la garantie de premier rang[1]. Cette preuve ne peut pas résulter de simples allégations, non assorties de preuves concrètes définitivement et irrévocablement établies[2]. En outre, un simple risque d’abus ou de fraude n’autorise pas la suspension de l’exécution de l’obligation[3]
La jurisprudence s’est montrée un temps incertaine sur la question, mais semble désormais acquise à la caractérisation stricte d’une collusion frauduleuse entre le garant de premier rang et le contre-garant[4]. Elle a déjà pu préciser également que la connaissance du caractère abusif ou frauduleux de l’appel par le garant de premier rang s’apprécie au jour de la mise en jeu de la contre-garantie[5].
Le juge saisi ne peut donc adopter que deux attitudes :
– Soit il retient la fraude et il doit suspendre l’exécution de la garantie ;
– Soit il ne retient pas la fraude et il doit laisser la garantie s’exécuter.
Il ne peut pas assortir sa décision de modalités. Il ne peut pas, notamment, autoriser l’exécution de la garantie sous la condition que le bénéficiaire du paiement fournisse préalablement une caution garantissant le reversement éventuel des sommes perçues par lui[6].
La doctrine est aujourd’hui majoritairement favorable à cette solution, que la Cour de cassation semble consacrer un peu plus par cet arrêt du 3 mai 2016. Certes elle est protectrice pour les donneurs d’ordre, mais elle est contraire à la pratique internationale, attachée à ce que la garantie soit délivrée dès qu’elle est appelée.
Thomas LAILLER
Vivaldi-Avocats
[1] Cass. com., 27 nov. 1984 ; Cass. civ. 1ère, 27 juin 2000, n°98-18.747, FS-P+B
[2] Cass. com., 28 nov. 1995, n°n° 94-12.233
[3] Cass. com, 7 juin 1994, n°92-16.358
[4] Cass. com., 9 oct. 2001, n°99-10.485, FS-P+B
[5] Cass. com., 26 nov. 2003, n°01-10.062, FS-P
[6] Cass. com., 6 nov. 1990, n°88-19.449