Abandon de créance : la reconnaissance par le Conseil d’Etat de relations commerciales entre une société holding et ses filiales

Clara DUBRULLE
Clara DUBRULLE

 

Source : Conseil d’Etat, 7 février 2018, n° 398676

 

Les aides de toute nature consenties à une autre entreprise ne peuvent être comprises dans les charges déductibles de la société qui les verse que si elles répondent à des motivations à caractère commercial. Ainsi, présente un caractère commercial l’abandon d’une créance trouvant son origine dans des relations commerciales entre deux entreprises et consenties soit pour maintenir des débouchés, soit pour préserver des sources d’approvisionnement[1].

 

La circonstance qu’un avantage soit consenti entre des sociétés appartenant au même groupe ne modifie pas les conditions d’appréciation de son caractère normal. Ainsi, l’intérêt général du groupe ne suffit pas, à lui seul, à justifier le caractère normal d’une aide et donc sa déductibilité[2].

 

Dans le cadre d’un groupe de sociétés, une société mère qui entretient des relations commerciales avec une filiale en difficulté est fondée à lui venir en aide, par exemple en vue de maintenir ses sources d’approvisionnement ou ses débouchés.

 

La particularité de l’arrêt rendu par le Conseil d’Etat le 7 février 2018 tient au fait qu’il se prononce pour la première fois en faveur du caractère commercial d’une aide consentie par une holding à certaines de ses filiales, bien que cette société n’exerce aucune activité d’achat revente au sein du groupe mais joue uniquement un rôle de centrale de référencement.

 

Rappel des faits et de la procédure :

 

La société requérante est une société holding contrôlant plusieurs sociétés de distribution dont elle détient 99,5% à 100% du capital et auxquelles elle facture diverses prestations. La holding a consenti des abandons de créance à certaines de ses filiales. A l’occasion d’un contrôle, l’administration fiscale a estimé que ces abandons de créance présentaient un caractère financier et n’a donc admis la charge correspondante en déduction des résultats de la société requérante que dans la mesure où ils correspondaient à la situation nette négative des filiales concernées et, pour le surplus, dans la proportion du capital de chacune des sociétés concernées détenues par des tiers.

 

La holding requérante soutient quant à elle que ces abandons de créance revêtent un caractère commercial et qu’en conséquence la perte correspondante est intégralement déductible de ses résultats imposables.

 

Tant le Tribunal administratif de Dijon que la Cour administrative d’appel de Lyon ont rejeté les arguments soulevés par la société requérante, laquelle s’est donc pourvue en cassation.

 

La position de la Cour administrative d’appel de Lyon :

 

La CAA a validé la position de l’administration au motif que la holding requérante ne réalisait que des opérations de courtage, sans prendre d’engagement s’agissant de la bonne exécution des contrats conclus entre ces filiales et leur fournisseur.

 

Comme le souligne le rapporteur public Yohann Bénard dans ses conclusions, l’analyse de la Cour est surprenante puisque l’activité de courtage est incontestablement une activité commerciale. Ainsi, la Cour ne peut à la fois constater que la holding fournit à ses filiales des services de courtage, et juger pourtant qu’elle n’entretient avec ses filiales aucune relation commerciale.

 

Cette position de la Cour peut s’expliquer par la conception étroite de la notion d’activité commerciale retenue par l’administration fiscale. En effet, la doctrine administrative considère que le fait qu’une société mère ou qu’une société d’un groupe assure, pour le compte de ses filiales ou des autres sociétés du groupe, des services internes d’intérêt commun, n’est pas, en principe, de nature à nouer des relations commerciales significatives[3].

 

La position du Conseil d’Etat

 

La Haute Juridiction censure l’arrêt rendu par la Cour administrative d’appel de Lyon et se prononce sur le fond du litige afin de déterminer si les aides litigieuses présentent ou non un caractère commercial.

 

En l’espèce, le Conseil d’Etat reconnaît l’intérêt commercial de la société requérante à consentir des abandons de créance à certaines de ses filiales en relevant les éléments suivants :

 

– Le chiffre d’affaires de la holding a principalement pour origine les prestations de service facturées à ses filiales ;

 

– La défaillance éventuelle des filiales aurait été de nature à amputer significativement l’activité de la holding.

 

En effet, il ressort des conclusions du rapporteur public que les revenus procurés à la société requérante par l’activité de référencement était substantielle (de l’ordre de 20 à 30 millions d’euros pour chacun des exercices vérifiés) et représentaient la quasi totalité de ses ressources. Ainsi, la défaillance des filiales aurait eu pour conséquence de mettre un terme à l’activité économique de la holding.

 

En conséquence, les abandons de créance ayant été consentis dans le cadre d’une gestion commerciale normale à des fins commerciales afin de préserver la propre activité de la holding, les sommes litigieuses sont intégralement déductibles des résultats de cette société.

 

Avec cette décision, le Conseil d’Etat réduit la portée de la doctrine administrative puisqu’il admet que la fourniture de services par une société mère à ses filiales est susceptible de caractériser l’existence de relations commerciales. Il est donc désormais légitime de s’interroger sur la possibilité de savoir si cette solution pourrait être étendue à d’autres types de prestations de service.

 

Cette décision a été rendue sous le régime des règles antérieures à l’intervention de la loi du 16 août 2012, elle a donc une portée d’autant plus importante que désormais l’article 39, 13 du Code Général des Impôts interdit la déduction des aides de toute nature consenties à une autre entreprise, à l’exception des aides à caractère commercial (comme en l’espèce) et des aides consenties dans le cadre d’une procédure collective.

 

Clara DUBRULLE

Vivaldi-avocats



[1] BOI-BIC-BASE-50-10 n° 120

[2] Conseil d’Etat 19 décembre 1988 n°55655

[3] BOI-BIC-BASE-50-10 n°160

 

 

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