A l’origine de ce contentieux deux salariés quittent leur société pour constituer leur propre structure, outre un débat intéressant relatif à l’effectivité des détournements reprochés au titre de la concurrence déloyale, le débat est porté sur la responsabilité de la société, laquelle n’était pourtant pas encore constituée au moment des faits reprochés.
Source : Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 17 mai 2023, 22-16.031, Publié au bulletin
I – Une société nouvellement constituée est reconnue coupable d’actes de concurrence déloyale, et à ce titre, condamnée par les juges du fond au paiement d’une indemnité pour trouble commercial.
Elle se pourvoit en cassation pour contester d’une part, l’effectivité de l’acte des détournements et l’usage des données qui pourraient en résulter, et d’autre part, la responsabilité de la société qui n’avait, au moment des faits reprochés, aucune existence légale.
La contestation de l’éventuelle concurrence déloyale, sujet aussi riche qu’intéressant, n’est pas l’objet de cet article qui s’intéresse exclusivement à la recherche de la responsabilité de la société non constituée.
II – Le sujet s’était d’ores et déjà été posé aux juges de la Cour d’Appel de PARIS il y a quelques années, qui avaient considéré que la reprise par la société des engagements souscrits pour son compte par ses fondateurs ne pouvait concerner les faits de concurrence déloyale qui constituent des délits civils. (CA PARIS, 24 février 1977). La Cour de Cassation quant à elle, n’avait alors pas été saisie de cette problématique.
Dans ce nouvel arrêt qui reçoit les honneurs de la publication au bulletin, les juges suprêmes s’interrogent donc sur la responsabilité d’une société, pour des actes commis par son « futur dirigeant », avant même sa constitution.
III – La Cour de Cassation s’est donc penchée sur la possibilité de sanctionner une société nouvellement constituée, pour des faits commis par ses associés fondateurs ou son futur dirigeant avant même l’acquisition de la personnalité morale.
Le débat porte autant sur le nouvel article 1240 ( ancien 1382) du code civil relatif à la responsabilité délictuelle, que sur l’article L210-6 du code commerce qui prévoit :
« Les sociétés commerciales jouissent de la personnalité morale à dater de leur immatriculation au registre du commerce et des sociétés. La transformation régulière d’une société n’entraîne pas la création d’une personne morale nouvelle. Il en est de même de la prorogation.
Les personnes qui ont agi au nom d’une société en formation avant qu’elle ait acquis la jouissance de la personnalité morale sont tenues solidairement et indéfiniment responsables des actes ainsi accomplis, à moins que la société, après avoir été régulièrement constituée et immatriculée, ne reprenne les engagements souscrits. Ces engagements sont alors réputés avoir été souscrits dès l’origine par la société ».
Et en effet, la nouvelle société créée invoquait l’argument selon lequel il résultait des textes susmentionnés, que des faits juridiques de concurrence déloyale commis par un associé fondateur-dirigeant, avant l’immatriculation d’une société commerciale, ne pouvaient engager la responsabilité civile de celle-ci, dépourvue d’existence légale à la date de leur commission.
La Cour d’appel ayant constaté que l’acte reproché et retenu par elle, étant antérieur à la date d’immatriculation, il en résulterait nécessairement que la responsabilité de la société ne pouvait être recherchée.
Les demandeurs au pourvoi lui font donc grief d’avoir jugé « l’inverse au prétexte que “l’acte reproché à une personne morale s’analyse au travers de ceux qui sont commis par une personne physique qui lui est attachée par exemple son dirigeant”, quand, à la date des faits imputés à la société X, M. [T] était encore salarié de la société Y et n’était pas encore dirigeant de l’exposante, qui n’avait, à cette date, aucune existence légale ».
S’il est vrai que la faute de la personne morale résulte de celle de ses organes sociaux, elle ne peut cependant exister si à la date des faits litigieux, la société n’est ni constituée, ni immatriculée.
Ainsi, les agissements reprochés à « M.[T] » qui n’était donc pas encore dirigeant, ne peuvent engager la responsabilité de la société.
Une société ne peut donc être sanctionnée pour des faits commis antérieurement à sa constitution.
IV – Cet arrêt s’inscrit dans le stricte prolongement des décisions similaires.
En effet la jurisprudence avait d’ores et déjà pris position il y a quelques années, en considérant qu’une société, qui acquiert la personnalité juridique par l’effet de l’immatriculation, ne pouvait, faute d’existence, se voir reconnaitre la qualité de maitre de l’affaire pour des actes antérieurs à l’accomplissement de cette formalité (C.Cass, Com, 31 janvier 2006, N°03.16.280).
Par ailleurs, les juges considéraient également que, faute d’avoir une personnalité morale avant la constitution, une société ne peut être placée en procédure collective (C.Cass, Com, 10 Mars 1987 N°85.16.744), l’acquisition ultérieure de la personnalité morale ne peut justifier le prononcé de mesures relatives aux entreprises en difficultés.
La personnalité morale d’une société s’obtient donc au moment de l’immatriculation au greffe du tribunal, laquelle ne permet pas de ratifier les délits civils qui seraient éventuellement commis antérieurement par les associés fondateurs dirigeants.
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