Exonération de la responsabilité de l’employeur en matière de harcèlement : la prévention au cœur du débat.

Christine MARTIN
Christine MARTIN - Avocat associée

  

SOURCE : Cass Soc., 1er juin 2016, Arrêt n°14-19.702, FS+B+R+I.

 

Un salarié avait été embauché en qualité d’agent de fabrication de radiateurs tubulaires par une société sidérurgique dans le cadre d’un contrat à durée indéterminée le 27 janvier 1997.

 

En 2011, alors qu’il était devenu agent de qualité, il a fait valoir qu’il était victime au sein de l’entreprise de faits de harcèlement moral de la part de son supérieur hiérarchique direct, de sorte qu’il a saisi le 22 mars 2011 le Conseil des Prud’hommes d’ARRAS en vue d’obtenir la résolution judiciaire de son contrat de travail aux torts de l’employeur, ainsi que la condamnation de ce dernier à lui verser diverses indemnités.

 

Alors que cette instance était en cours et qu’il avait été placé en arrêt maladie, le salarié a fait l’objet auprès de la médecine du travail de deux visites de reprise et le médecin du travail a été amené, au terme de ces deux visites, à établir successivement deux fiches d’inaptitude datées des 05, puis 21 juillet 2011, qui constataient l’une et l’autre d’une inaptitude de l’intéressé à son poste d’agent de qualité en ajoutant que le salarié était apte à un poste similaire dans un environnement de travail différent.

 

Ensuite de ces deux avis, et après avoir été convoqué à un entretien préalable, le salarié a reçu de la société une lettre recommandée avec accusé de réception le 27 décembre 2011, lui notifiant son licenciement pour inaptitude.

 

Le Conseil des Prud’hommes d’ARRAS, le 28 septembre 2012, va rendre un Jugement déboutant le salarié de sa demande en résiliation judiciaire de son contrat de travail, mais condamnant la société à lui verser une somme au titre de dommages et intérêts au titre du préjudice subi du fait de harcèlement moral.

 

Insatisfait, le salarié fait appel de ce Jugement.

 

Saisie de cette affaire, la Cour d’Appel de DOUAI, dans un Arrêt du 20 décembre 2013, va considérer que la question qu’il y a lieu de trancher est celle de savoir si, à supposer les faits établis de harcèlement moral imputés par le salarié, la société avait bien pris toutes les mesures nécessaires qui lui incombait en vue de prévenir et remédier aux faits de harcèlement dont il s’agit.

 

Relevant que s’il est établi que le supérieur hiérarchique du salarié remettait sans cesse en cause ses compétences et lui reprochait un manque d’efficacité dans son travail, s’adressant continuellement à lui sur un ton irrespectueux, méprisant, ce qui est attesté par les courriels, ainsi que les diverses attestations des collègues de travail du salarié, et constatant en outre que l’intéressé avait, à l’égard du salarié, une attitude particulièrement agressive et vexatoire, mais relevant que dès que l’entreprise avait été saisie de la difficulté par la lettre circonstanciée adressée par le salarié à la direction de l’entreprise le 07 décembre 2010, la direction de l’entreprise avait diligenté une enquête interne, convoqué les intéressés à un entretien, informé l’Inspection du Travail des diligences accomplies et mis en œuvre la procédure de médiation en application de l’article L.1152-6 du Code du Travail, la Cour va considérer que la société avait effectivement bien mis en œuvre les mesures nécessaires pour remédier et mettre fin au harcèlement dont se plaignait le salarié.

 

Par suite, la Cour d’Appel estime qu’il est établi que la société avait bien pris les mesures nécessaires lui incombant en vue de prévenir de tels faits de harcèlement moral et pris ensuite toutes les mesures utiles pour y remédier, de sorte qu’elle confirme que la demande du salarié en résiliation judiciaire de son contrat de travail n’était pas fondée, que le licenciement prononcé repose sur une cause réelle et sérieuse et déboute le salarié de sa demande de dommages et intérêts pour harcèlement moral.

 

Ensuite de cette décision, le salarié forme un pourvoi en Cassation.

 

Bien lui en prit puisque la Chambre Sociale, au visa des articles L.1152-1, L.4121-1 et L.4121-2 du Code du Travail, énonçant que l’employeur ne peut d’exonérer de sa responsabilité en matière de harcèlement moral que s’il est établi qu’il a pris toutes les mesures de prévention visées aux articles L.4121-1 et l.4121-2 du Code du Travail et, notamment, qu’il a mis en œuvre des actions d’information et de formation propres à prévenir la survenance de faits de harcèlement moral, casse et annule l’Arrêt de la Cour d’Appel de DOUAI et renvoie les parties par-devant la Cour d’Appel d’AMIENS.

 

La Cour de Cassation a d’ores et déjà publié le commentaire qu’elle destine au rapport annuel afin d’éclairer ses intentions, commentaires rédigés en ces termes :

 

« La solution adoptée le 25 novembre 2015 marquant une évolution jurisprudentielle dans l’application de l’obligation de sécurité de résultat est étendue à la situation de harcèlement moral, en ce sens que l’employeur peut désormais s’exonérer de sa responsabilité en matière de harcèlement moral, quand un tel harcèlement s’est produit dans l’entreprise, mais pas à n’importe quelle condition. En particulier, la seule circonstance qu’il a pris toutes les mesures immédiates propres à faire cesser le harcèlement moral et qu’il l’a fait cesser effectivement, circonstance nécessaire n’est pas suffisante. Il importe également qu’il ait pris toutes les mesures de prévention visées aux articles L.4121-1 et L.4121-2 du Code du Travail et notamment qu’il ait préalablement mis en œuvre les actions d’information et de formation propres à prévenir la survenance de faits de harcèlement moral ».

 

Les entreprises sont donc averties, la prévention des faits de harcèlement (par des actions d’information et de formation) devient la pierre angulaire de l’exonération de responsabilité des employeurs en matière de harcèlement moral.

 

Christine MARTIN

Associée

Vivaldi-Avocats

 

 

 

 

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