Quelles issues s’agissant de la réintégration du salarié déclaré apte à son poste avec réserves par le médecin du travail ?

Judith Ozuch
Judith Ozuch

Sources : Cour de cassation, Chambre sociale, 24 mai 2023, 21-23.971, Inédit

Lorsqu’un salarié est déclaré apte avec réserves, l’employeur doit appliquer les préconisations du médecin du travail. Si les réserves émises par celui-ci impliquent une modification du contrat de travail, alors l’employeur doit nécessairement recueillir l’accord du salarié en amont. Toute modification du contrat de travail, même au nom de la santé et la sécurité du salarié ne peut lui être imposée.

En l’espèce, un salarié était cadre dirigeant. Classé en invalidité 1ère catégorie, il avait été déclaré apte à la reprise de son poste par le médecin du travail avec des réserves à savoir d’exercer un travail « à mi-temps » et en limitant le périmètre de ses responsabilités.

Cette recommandation du médecin du travail était incompatible avec les fonctions de cadre dirigeant du salarié.  L’employeur a donc créé spécifiquement un poste de chargé de mission marketing à temps partiel, le poste ayant été approuvé par le médecin du travail.

Or, ce poste impliquant une diminution de sa rémunération, le salarié l’avait refusé. L’employeur lui a alors imposé la modification de son contrat de travail au nom de son obligation de sécurité lui imposant de tenir compte des préconisations du médecin du travail.

L’employeur avait simultanément sollicité du médecin du travail un nouvel examen de la situation du salarié. A l’issue d’une nouvelle étude de poste, le médecin du travail a déclaré le salarié inapte à son poste de directeur marketing, et apte à un poste de chargé de mission à mi-temps.

Le salarié a donc été licencié pour inaptitude physique et impossibilité de reclassement.

Entre-temps, il a pourtant sollicité la résiliation judiciaire de son contrat de travail en soutenant que la modification de ce dernier, qui lui avait été imposée, constituait un manquement de l’employeur suffisamment grave pour justifier la rupture du contrat à ses torts.

La Cour de cassation donne raison au salarié et inscrit sa décision dans sa ligne jurisprudentielle habituelle : l’employeur ne peut imposer au salarié la modification de son contrat de travail même si l’objectif est de se conformer aux préconisations du médecin du travail[1].

La Cour de cassation est d’ailleurs particulièrement sévère avec l’employeur qui se trouvait dans une impasse en considérant que, dans la mesure où la décision de modification unilatérale du contrat de travail du salarié reposait sur la prise en compte de l’état de santé du salarié, celle-ci était discriminatoire et impliquait les effets d’un licenciement nul.

On peut dès lors se demander comment l’employeur pouvait réagir face à une telle situation ?

En effet, l’article L.4624-6 du Code du travail lui impose en effet de prendre en considération l’avis et les indications ou les propositions émises par le médecin du travail. S’il ne le fait pas, il manque à son obligation de sécurité[2].

L’article L.4624-6 poursuit

« En cas de refus, l’employeur fait connaître par écrit au travailleur et au médecin du travail les motifs qui s’opposent à ce qu’il y soit donné suite ».

Plusieurs options s’offrent à l’employeur :

  • S’il n’est pas d’accord avec l’avis du médecin du travail, il peut exercer un recours devant le juge prud’homal en appliquant la procédure prévue par l’article L.4624-7 du Code du travail. Il pourrait ainsi obtenir soit une modification des préconisations de réintégration du salarié, si l’avis d’aptitude était maintenu, soit la transformation de l’avis d’aptitude en avis d’inaptitude. La procédure est longue. Durant ce temps, le salarié ne reprend pas son poste de travail mais il doit percevoir sa rémunération.
  • Solliciter le médecin du travail pour lui exposer les difficultés de mise en œuvre de son avis d’aptitude avec réserves. C’est, en définitive, l’option choisie par l’employeur, probablement trop tardivement. Dans une telle hypothèse, il ne peut qu’être conseillé à l’employeur de dispenser d’activité son salarié avec maintien de son salaire, dans l’attente du réexamen de sa situation par le médecin du travail.
  • Licencier le salarié qui refuse un emploi modifié pour tenir compte des préconisations du médecin du travail. L’option est risquée mais se justifie car ce refus rend impossible l’exécution du contrat de travail sauf à mettre en danger la santé et la sécurité du salarié. Il sera nécessaire pour l’employeur de justifier de l’exécution loyale du contrat s’agissant notamment de modifications de postes proposées et des démarches accomplies auprès de la médecine du travail.

[1] Cass. soc. 29-5-2013 n° 12-14.754

[2] Cass. soc. 27-9-2017 n° 15-28.605

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