SOURCE : CE, sect., avis, 25 sept. 2013, n° 365139
Ces éclaircissements étaient nécessaires, dès lors que leur statut était assez largement ignoré par la loi française.
Ce silence de la loi trouve son origine dans la circonstance, qu’en France, le fonctionnaire constitue le statut de référence des personnes placées au service de l’état. Traditionnellement, les agents contractuels n’occupent en effet, comme l’exprime le Professeur Gweltaz EVEILLARD, qu’une « place marginale dans la fonction publique, où ils n’étaient destinés qu’à suppléer temporairement des fonctionnaires manquants » (Droit Administratif n° 1, Janvier 2014, comm. 6).
On sait pourtant, aussi, que le recours aux agents contractuels de droit public s’est récemment – illustration d’un mouvement général de précarisation de l’emploi ? – considérablement développé.
Il s’est même développé au point de créer, entre le fonctionnaire et le contractuel de droit public voué à n’assurer qu’une mission temporaire, une catégorie intermédiaire : le contractuel de droit public à durée indéterminée.
Cette figure juridique paradoxale a été inventée par la loi n° 2005-843 du 26 juillet 2005 transposant la directive européenne du 28 juin 1999.
Ouvrir la possibilité de créer des contrats à durée indéterminée dans la fonction publique peut en effet sembler paradoxal ou à tout le moins étonnant. Le fonctionnaire ne constituait-il pas, déjà, “le” « salarié à durée indéterminée du secteur public » ?
Privilégié par rapport à l’agent contractuel à durée déterminée en ce que sa mission n’est pas a priori et nécessairement temporaire, l’agent sous CDI apparaît, en revanche, devant être moins protégé que le fonctionnaire car il ne dispose pas du statut protégé de la fonction publique.
Mais au-delà de cette considération, le régime juridique de ce statut intermédiaire de création récente laissait de nombreuses incertitudes.
L’avis récent du Conseil d’état du 25 septembre 2013 lève certaines de ces incertitudes et confirme que l’agent sous CDI est à la fois moins protégé que le fonctionnaire et mieux protégé que l’agent sous CDD.
L’hypothèse ayant donné lieu à la saisine pour avis du Conseil Etat mérite d’être rapportée.
Une dame ayant occupé pendant de longues années, en vertu de contrats à durée déterminée successifs, les fonctions de professeur contractuel de tapisserie, couture et décor dans l’éducation nationale, a ensuite, en vertu de la loi du 26 juillet 2005 précitée, conclu un contrat à durée indéterminée.
Se fondant sur l’absence de besoins d’enseignement dans sa discipline à compter de l’année scolaire 2007-2008, le recteur de l’académie de Paris a procédé, par une décision du 14 septembre 2007, à son licenciement.
S’agissant d’un CDI de droit public, le Conseil des prud’hommes ne dispose pas de la compétence juridictionnelle ; la professeure de couture a donc exercé un recours pour excès de pouvoir à l’encontre de la décision de licenciement.
Suite au rejet par le Tribunal administratif de ce recours, elle a interjeté appel.
La Cour administrative d’appel a, quant à elle, estimé ne pas être en mesure de statuer.
Au regard du caractère récent du dispositif de 2005, le conseil d’état n’avait pas encore eu l’occasion de préciser le régime de la loi. Il s’agissait d’une question nouvelle.
La question présentait en outre une difficulté sérieuse. Comment déterminer les droits du contractuel de droit public sous CDI ? Moins protégé que le fonctionnaire, mais jusqu’à quel point ? Mieux protégé que le contractuel de droit public sous CDD, mais jusqu’à quel point ?
La détermination de l’équilibre idoine ne pouvait être que l’œuvre du Conseil d’état d’autant que la question est, en outre, susceptible de se poser dans de nombreux cas.
Le recours de plus en plus fréquent à cette forme juridique nécessitait que les juges du Palais Royal soit saisi au plus vite de la question.
Or, l’on sait que, depuis la loi du 31 décembre 1987, les juges du fond de l’ordre administratif, en vertu de de l’article L. 113-1 du Code de justice administrative, sont en mesure de saisir le Conseil d’état afin que celui-ci rende un avis :
« Avant de statuer sur une requête soulevant une question de droit nouvelle, présentant une difficulté sérieuse et se posant dans de nombreux litiges, le tribunal administratif ou la cour administrative d’appel peut, par une décision qui n’est susceptible d’aucun recours, transmettre le dossier de l’affaire au Conseil d’Etat, qui examine dans un délai de trois mois la question soulevée. Il est sursis à toute décision au fond jusqu’à un avis du Conseil d’Etat ou, à défaut, jusqu’à l’expiration de ce délai. »
Les conditions de saisine pour avis du Conseil d’état étaient donc manifestement remplies en l’espèce.
Et c’est une double question qu’a choisi de poser la Cour administrative d’appel :
1°) l’Administration peut-elle remplacer par un fonctionnaire un agent contractuel bénéficiant, dans le cadre des dispositions de la loi n° 2005-843 du 26 juillet 2005, d’un contrat à durée indéterminée et, par suite, mettre fin à ses fonctions, eu égard à la nécessaire protection des droits qu’il a acquis en vertu de son contrat ? ;
2°) dans l’hypothèse où un agent bénéficiant d’un contrat à durée indéterminée, en application des dispositions ci-dessus rappelées, pourrait être évincé pour permettre le recrutement d’un fonctionnaire titulaire, l’Administration a-t-elle l’obligation de reclasser l’agent dans un autre emploi, alors qu’un principe général du droit imposant une telle obligation n’a été reconnu jusqu’ici par la jurisprudence du Conseil d’État qu’en faveur de l’agent contractuel atteint d’une inaptitude physique l’empêchant de manière définitive d’occuper son emploi ?
De façon mesurée, le Conseil d’état a considéré que l’agent public sous CDI, est moins protégé que le fonctionnaire et davantage que l’agent sous CDD.
Moins protégé que le fonctionnaire car, en effet, le Conseil d’état a considéré que l’agent sous CDD ne disposait pas d’un droit au maintien dans son emploi. Il peut être licencié :
« [Le] législateur a entendu que les emplois civils permanents de l’État, des collectivités territoriales et de leurs établissements publics à caractère administratif soient en principe occupés par des fonctionnaires et […]il n’a permis le recrutement d’agents contractuels qu’à titre dérogatoire et subsidiaire, dans les cas particuliers énumérés par la loi, que ce recrutement prenne la forme de contrats à durée déterminée ou, par application des dispositions issues de la loi du 26 juillet 2005, de contrats à durée indéterminée. Par suite, un agent contractuel ne peut tenir de son contrat le droit de conserver l’emploi pour lequel il a été recruté, lorsque l’autorité administrative entend affecter un fonctionnaire sur cet emploi. L’Administration peut, pour ce motif, légalement écarter l’agent contractuel de cet emploi. »
Mieux protégé que l’agent sous CDD car l’agent public dispose – et c’est l’apport principal de cet avis, d’un droit au reclassement qui n’était pourtant pas prévu par la loi.
Le conseil d’état a en effet répondu à la seconde question en « décidant de découvrir » un nouveau principe général du droit suivant lequel un principe général du droit celui selon lequel il incombe à l’Administration, avant de pouvoir prononcer le licenciement d’un agent contractuel recruté en vertu d’un contrat à durée indéterminée pour affecter un fonctionnaire sur l’emploi correspondant, de chercher à reclasser l’intéressé :
« Il résulte toutefois d’un principe général du droit, dont s’inspirent tant les dispositions du Code du travail relatives à la situation des salariés dont l’emploi est supprimé que les règles du statut général de la fonction publique qui imposent de donner, dans un délai raisonnable, aux fonctionnaires en activité dont l’emploi est supprimé une nouvelle affectation correspondant à leur grade, qu’il incombe à l’Administration, avant de pouvoir prononcer le licenciement d’un agent contractuel recruté en vertu d’un contrat à durée indéterminée pour affecter un fonctionnaire sur l’emploi correspondant, de chercher à reclasser l’intéressé ».
Outre qu’il montre la verdeur du principe général du droit comme source du droit administratif, cet avis illustre que, par le biais de la saisine pour avis, le Conseil d’état contribue « d’une nouvelle manière à la formation du droit du contentieux administratif » (Hafida Belrhali-Bernard, Les avis contentieux du Conseil d’Etat : remarques sur vingt années de pratique, AJDA 2010. 364).
Et cette nouvelle manière est utile, comme en l’espèce, pour permettre, selon l’expression du Professeur PACTEAU, un « rodage contentieux » des lois nouvelles (B. Pacteau, Traité de contentieux administratif, PUF, 2008, p. 330).
Et l’on s’associe à la prédiction suivant laquelle « la source des avis contentieux n’est certainement pas vouée à se tarir » (Hafida Belrhali-Bernard, op.cit.).
On rappellera, enfin, loin de se tarir, les saisines pour avis voient leur champ s’étendre, dès lors qu’en plus d’être prévue par le droit interne tant devant les juridictions de l’ordre administratif que devant celles de l’ordre judiciaire (article L. 151-1 du Code de l’Organisation judiciaire), elles pourraient le devenir en droit européen des droits de l’homme. En effet, un seizième protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales a été adopté par le Comité des ministres le 10 juillet 2013 et a été ouvert à la signature le 2 octobre 2013 et prévoit l’extension de la compétence de la Cour européenne pour donner des avis consultatifs.
Stéphanie TRAN
Vivaldi-Avocats