Des faits anciens de harcèlement moral peuvent-ils légitimer une prise d’acte de la rupture aux torts de l’employeur ?

Christine MARTIN
Christine MARTIN - Avocat associée

  

SOURCE : Cass Soc, 11 décembre 2015, Arrêt n° 2162 F-D (n° 14-15-670).

 

Un salarié avait été embauché le 27 octobre 1986 en qualité de manœuvre chauffeur poids lourds par une entreprise de bâtiment niçoise au sein de laquelle il exerçait en dernier lieu les fonctions de chef d’équipe.

 

A partir de 2002, il y a eu un changement de direction dans l’entreprise, le fils de l’ancien patron ayant repris celle-ci. A partir de cette date, les conditions de travail au sein de l’entreprise et le climat social vont se dégrader, de nombreux salariés étant amenés à démissionner en raison de pressions exercées par l’employeur.

 

Dès le 04 novembre 2002, le nouveau dirigeant de l’entreprise va commencer à harceler le salarié. Au final, à force de subir des mesures vexatoires, discriminatoires et des pressions psychologiques, l’état de santé du salarié va se détériorer jusqu’à ce qu’il fasse un malaise sur son lieu de travail le 03 mars 2004, reconnu au titre d’un accident de travail, lequel va être suivi d’un arrêt maladie d’une durée de 1 an et demi.

 

A l’issue de l’arrêt, afin d’éviter de revenir dans l’entreprise, le salarié va prendre acte de la rupture de son contrat de travail et saisir la Juridiction Prud’homale de NICE.

 

Débouté par les Premiers Juges, cette affaire va être examinée par la Cour d’Appel d’AIX EN PROVENCE, laquelle, dans un Arrêt du 13 février 2014, va, au contraire, accueillir les demandes du salarié, reconnaissant qu’il avait été victime d’agissements répétés de harcèlement moral (pressions, mesures vexatoires, mise à pied disciplinaire abusive, refus de remplir un formulaire destiné au service locatif, refus d’une aide accordée immédiatement à son remplaçant, dénigrement de ses capacités devant ses collègues, mépris affiché par la hiérarchie), qui ont eu pour effet une dégradation de ses conditions de travail et son état de santé.

 

Au vu du harcèlement moral subi par le salarié, la Cour d’Appel va considérer que la prise d’acte de rupture du contrat de travail par le salarié est justifiée par les manquements graves de l’employeur et qu’elle produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

 

Ensuite de cette décision, l’employeur forme un pourvoi en Cassation.

 

A l’appui de son pourvoi, l’employeur, s’appuyant sur la Jurisprudence de la Chambre Sociale du 26 mars 2014, reproche à l’Arrêt d’Appel d’avoir, pour considérer que la prise d’acte de la rupture devait produire les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, pris en compte des faits anciens, le salarié étant absent de l’entreprise depuis plus d’un an et demi, faits qui n’avaient donc pu, ni perdurer, ni se reproduire et qui ne pouvaient selon lui constituer de manquement suffisamment grave pour empêcher la poursuite du contrat et justifier la requalification de la rupture en un licenciement.

 

Mais la Chambre Sociale relevant au contraire qu’ayant constaté qu’à la suite d’un accident du travail, le salarié avait été en arrêt de travail jusqu’à la prise d’acte, la Cour d’Appel en pu en déduire que les faits dénoncés par celui-ci, constitutifs d’un harcèlement moral, caractérisaient des manquements suffisamment graves de l’employeur pour empêcher la poursuite du contrat, nonobstant leur ancienneté.

 

Par suite, la Chambre Sociale rejette le pourvoi.

 

Par cet Arrêt, la Chambre Sociale semble atténuer la position qu’elle avait prise dans les Arrêts du 26 mars 2014 pour admettre que des faits anciens puissent justifier la prise d’acte de la rupture aux torts de l’employeur, dès lors qu’il s’agit d’agissements de harcèlement caractérisés, ayant de surcroît, entrainé un accident du travail.

 

Christine MARTIN

Associée

Vivaldi-Avocats

 

 

 

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