Démembrer les parts d’une SCI pour combiner les avantages des revenus fonciers et l’impôt sur les sociétés : c’est possible ! Mais attention à l’abus de droit !

Eric DELFLY
Eric DELFLY - Avocat associé

Si la société à qui l’on apporte les titres démembrés de la SCI ou qui les acquière n’a aucune activité économique autre que celle de porter l’usufruit, l’absence de substance économique permet d’identifier un montage exclusivement destiné à éluder le paiement de l’impôt caractérise un abus de droit.

Source :CAA LYON 09 février 2023 n° 21LY01699

I – L’INTERET DU DEMEMBREMENT DE PROPRIETE DANS LES SOCIETES IMMOBILIERES

L’acquisition d’un immeuble, avec comme véhicule juridique une société civile immobilière, peut obéir à deux régimes fiscaux distincts :

  • En l’absence d’option à l’impôt sur les sociétés, le régime des revenus fonciers qui plafonne les déficits fonciers à 10 700 € par an[1].

En contrepartie, outre l’exonération des plus-values constatées sur la revente de la résidence principale, les associés de la SCI fiscalement translucide, bénéficient d’un abattement progressif de l’assiette pour l’impôt sur le revenu et des prélèvements sociaux, à compter de la sixième année jusqu’à la vingt-deuxième année où les plus-values sont exonérées de plus-value et trentième année pour les prélèvements sociaux.

Ce régime a pour effet, si l’on tient compte des charges déductibles incluses et du plafonnement des déficits à ce que, très rapidement, l’associé doive supporter sur les loyers perçus qu’il affecte au paiement de sa dette bancaire, le paiement de l’impôt foncier.

Il s’en déduit que pour bénéficier d’un avantage fiscal de l’exonération fiscale (au terme de 22/30 ans), le contribuable doit supporter, chaque année, sur ses deniers personnels puisque les recettes sont consacrées au remboursement de la dette, le paiement de l’impôt.

Le régime foncier est donc pénalisant en cours d’amortissement du prêt. Il peut être intéressant au terme de la période de détention fiscale ou en cas de revente ou de succession.

  • La SCI peut opter pour le régime de l’impôt sur les sociétés et ainsi déduire les frais d’acquisition et l’amortissement de son immeuble, sans plafonnement fiscal.

Il s’ensuit la comptabilisation d’un déficit foncier important qui permet de couvrir, en général, pratiquement toute la période d’amortissement du prêt, de sorte que dans ce régime, la contribution financière personnelle de l’associé à l’opération est faible, voire, dans certains cas, nulle.

C’est lors de la cession de l’immeuble que le régime perd de son intérêt puisque la comptabilisation d’une année sur l’autre des charges d’amortissement va permettre de calculer la valeur nette comptable. La plus-value est alors calculée sur le prix de vente, déduction faite de la valeur nette comptable, auquel il est pratiqué, à date, l’impôt sur les sociétés à hauteur de 25 %.

Encore faut-il ajouter que cet argent est encore dans les comptes de la SCI, de sorte que pour arriver dans la poche de l’associé, il faut procéder à une distribution de dividendes et payer le prélèvement forfaitaire unique de 30 %.

Ainsi, par exemple, pour un immeuble vendu 100 000 € et une valeur nette comptable réduite par un terrain évalué, pour l’exemple, 20 000 €, la plus-value avant impôt sera de 80 000 € et après le paiement de l’impôt sur les sociétés (au taux de 25 %) de 60 000 €.

Si l’associé veut récupérer ses 60 000 €, il devra procéder à une distribution de dividendes et payer le prélèvement forfaitaire unique de 30 %, soit 18 000 €. Ainsi pour un prix de vente de 100 000 €, l’associé ne percevra, in fine, après le prélèvement fiscal que 42 000 €, soit un frottement fiscal de l’ordre de 58 %.

Il est cependant possible de combiner l’avantage du revenu foncier avec celui de l’impôt sur les sociétés qui consiste pour l’associé d’une société civile immobilière soumise à l’impôt foncier, à céder ou apporter temporairement[2] pour une durée ne pouvant excéder 30 ans si c’est une personne morale, l’usufruit de ses parts sociales à une autre société soumise à l’impôt sur les sociétés.

Dans cette hypothèse, la fiscalité des revenus de l’immeuble appartenant à la SCI est soumise à l’article 238 bis K-I du CGI[3], de sorte que les revenus locatifs seront taxables à l’impôt sur les sociétés.

Au terme de la période temporaire d’apport ou de cession, l’usufruit revient dans le patrimoine de l’associé, toujours soumis, pour sa part, au régime de l’impôt foncier qui lui permet de bénéficier de l’exonération de l’abattement pour durée de détention, des plus-values et des charges sociales lors de la revente de l’immeuble.

Ainsi, notamment, pendant toute la période d’amortissement du prêt bancaire, la société détentrice de l’usufruit dans le patrimoine duquel les loyers vont être taxés, pourra imputer, au titre des charges, l’amortissement de l’immeuble et, donc vraisemblablement, échapper au paiement de l’impôt sur les sociétés.

Et il est vraisemblable que notre associé, qui contrôle tout autant la SCI dont il est nu-propriétaire des parts sociales et la société détentrice de l’usufruit temporaire, attendra que l’usufruit temporaire soit revenu dans la SCI pour pouvoir bénéficier de l’abattement pour durée de détention.

Fondamentalement, l’opération n’est pas critiquable, sauf lorsqu’il peut être révélé comme au cas d’espèce, un abus de droit.

II – DEMEMBREMENT DE PROPRIETE DES TITRES D’UNE SCI ET ABUS DE DROIT

Le grief unique qu’oppose l’Administration au contribuable qui veut requalifier l’opération, consiste à dénoncer une opération constituée d’un montant mettant en œuvre deux sociétés dépourvues de substance économique, dont l’une d’entre elles (celle qui doit recevoir l’usufruit temporaire) est dépourvue de substance économique et poursuit le but exclusivement fiscal d’atténuer la charge fiscale des associés par une application littérale des dispositions de l’article 238 bis K du CGI, contraire à l’intention du législateur.

Mais la preuve de l’absence de substance économique de la société qui reçoit l’usufruit temporaire n’est pas toujours évidente. Ainsi, dans un avis du 23 juin 2016[4], le Comité de l’abus de droit fiscal a émis l’avis que l’Administration n’était fondée à mettre en œuvre la procédure de l’abus de droit fiscal aux motifs essentiels que :

  • la SCI propriétaire de l’immeuble comme la SCI détentrice de l’usufruit démembré disposaient « chacune d’un compte bancaire et d’une trésorerie abondante résultant des résultats dégagés par la SCI » ;
  • la société détentrice de l’usufruit a utilisé les bénéfices constatés pour continuer à acquérir une participation dans la société civile immobilière, propriétaire de l’immeuble ;

de sorte que l’activité était réelle et sérieuse. L’Administration ne démontrait la fictivité de l’une ou l’autre des sociétés.

Dans l’Arrêt commenté, l’abus de droit est retenu par la constatation de l’absence de substance économique de la société détentrice de l’usufruit démembré des parts sociales de la SCI, propriétaire de l’immeuble, pour les motifs suivants :

  • absence d’Assemblée Générale ;
  • absence de compte bancaire ;
  • absence de comptabilité (dans la SCI titulaire de l’immeuble) ;
  • et surtout absence d’autres investissements dans la société détentrice de l’usufruit des parts démembrées qui manifestait de la volonté du contribuable de créer artificiellement un véhicule destiné à éluder l’impôt.

Nous ne pouvons que partager cette analyse. S’il est permis au contribuable de choisir le chemin fiscal le moins imposé, il lui est naturellement interdit de procéder à des opérations dont le seul but est d’éluder l’impôt.

Cette Jurisprudence ne remet pas en cause l’utilité et le bien fondé du démembrement de propriété. Elle constitue un simple rappel sur la nécessité de donner au montage une consistance économique. Ainsi et sans aucun doute, le démembrement de propriété n’aurait-il pas été contesté si la cession ou l’apport de l’usufruit temporaire avait bénéficié à la société d’exploitation, par ailleurs locataire de l’immeuble.

On sait, en effet, qu’en FRANCE, faire cohabiter une activité économique avec une activité patrimoniale peut poser des difficultés. Ainsi, l’endettement constaté au bilan, pour un investissement patrimonial, peut gêner, voire empêcher, un nouveau recours à la dette bancaire, destiné à financer un investissement se rattachant à l’activité économique. De la même manière, le financement de l’acquisition des parts ou actions d’une société est beaucoup plus difficile lorsque sa valeur tient compte de l’actif économique traditionnellement financé par un prêt sur sept ans, avec un actif immobilier, dont le retour d’amortissement financier peut prendre quinze ans.

La cohabitation d’un actif économique et d’un actif patrimonial au sein d’une même entité est-il donc possible grâce à la technique du démembrement temporaire de l’usufruit, permettant notamment à la société économique, par ailleurs temporairement propriétaire de l’usufruit démembré, de bénéficier d’un retour sur investissement sur les loyers qu’elle paie à la SCI.

Evidemment en l’absence de substance économique de l’activité qui reçoit l’usufruit temporaire, le montage tombe sous le coup de l’article 64 du LPF.

III – L’ABUS DE DROIT ET L’ARTICLE 64 DU LPF

L’article 64 du LPF définit l’abus de droit afin de restituer le véritable caractère d’une opération. Il permet ainsi à l’Administration d’écarter, comme ne lui étant pas opposable, les actes constitutifs d’un abus de droit, soit que ces actes ont un caractère fictif, soit que, recherchant le bénéfice d’une application littérale des textes ou de décisions à l’encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n’ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d’éluder ou d’atténuer les charges fiscales que l’intéressé, si ces actes n’avaient pas été passés ou réalisés, aurait normalement supportées eu égard à sa situation et à ses activités réelles.

En pratique, la fictivité juridique est constituée par la différence existant entre l’apparence juridique créée par l’acte en cause et la réalité en particulier économique sous-jacente à cet acte.

Au cas particulier, cette fraude résulte du caractère totalement artificiel de la société constituée spécialement et dans le seul but de recevoir l’usufruit démembré des parts de la SCI.

La sanction d’une telle qualification est sévère puisque, outre l’inopposabilité des actes inclus dans l’assiette de l’abus de droit qui va permettre à l’Administration de remettre le contribuable dans l’état dans lequel il aurait dû se trouver d’un point de vue fiscale, les omissions relevées dans la déclaration (du chef de l’abus) à retenir pour l’assiette ou la liquidation de l’impôt vont être majorées au visa de l’article 1729 du CGI d’une pénalité de :

  • 40 % dès lors qu’il y a eu abus de droit ;
  • 80 %, si le service établit que le contribuable est l’investigateur principal ou le bénéficiaire principal de l’abus de droit.

Or, la plupart du temps, dans ce type de montage, l’associé, personne physique, est débiteur de l’impôt sur les bénéfices reconstitués dans la SCI soumise au régime de l’impôt foncier. Il contrôle et dirige par ailleurs la société qui a reçu, en abus de droit, l’usufruit temporaire des titres démembrés de la SCI, de sorte que la réunion de ces conditions suffit à appliquer la pénalité de 80 %.

L’interposition des membres de la famille (enfants, épouse, compagne) ne constitue pas une assurance contre de telles pénalités. Ainsi ont été considérés comme les principaux bénéficiaires et les principaux instigateurs, tous les participants à une opération abusive au sens de l’article L.64 du LPF, bien que chacun soit actionnaire minoritaire, dès lors que la mise en place de la société litigieuse ne trouve sa raison d’être que dans la participation de plusieurs associés minoritaires[5]


[1] Les déficits supérieurs à 10 700 € sont reportés sur l’année suivante d’imposition dans la limite de 10 ans et ne permettent pas l’amortissement de l’immeuble ou l’imputation de certaines charges, comme les frais de Notaire ou certains travaux.

[2] Articles 13 du CGI (cession) et 150 O B Ter du CGI (apports) et article 619 du Code Civil

[3] Article 238 bis K-I du CGI : Lorsque des droits dans une société ou un groupement mentionnés aux articles 8,8 quinquies239 quater239 quater B, 239 quater C ou 239 quater D sont inscrits à l’actif d’une personne morale passible de l’impôt sur les sociétés dans les conditions de droit commun ou d’une entreprise industrielle, commerciale, artisanale ou agricole imposable à l’impôt sur le revenu de plein droit selon un régime de bénéfice réel, la part de bénéfice correspondant à ces droits est déterminée selon les règles applicables au bénéfice réalisé par la personne ou l’entreprise qui détient ces droits.

Si les droits en cause sont détenus par une société exerçant une activité agricole créée avant le 1er janvier 1997 ou un groupement d’exploitation en commun mentionné à l’article 71 qui relèvent de l’impôt sur le revenu selon le régime prévu à l’article 64 bis ou, sur option, selon le régime du bénéfice réel simplifié d’imposition, les modalités d’imposition des parts de résultat correspondantes suivent les règles applicables en matière d’impôt sur les sociétés. Il en va de même lorsque cette société ou ce groupement a pour activité la gestion de son propre patrimoine mobilier ou immobilier. Toutefois, si le contribuable apporte la preuve qu’une fraction des droits dans cette dernière société ou ce dernier groupement est elle-même détenue directement ou indirectement par des personnes physiques ou entreprises, qui entrent dans le champ d’application du II, cette règle ne s’applique pas à la part de bénéfice correspondante.

Un décret fixe les conditions d’application du deuxième alinéa, notamment en ce qui concerne les obligations déclaratives.

[4] CADF/AC n°5/2016

[5] CE 27 juillet 2009 n°295358 Caisse Interfédérale de Crédit Mutuel

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